Avant-propos
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Introduction à la controverse des Karmapa
Quelques données historiques
1959 : Le Karmapa s'exile en Inde
Les difficultés au temps du 16ème Karmapa
Les années 80 à 90
Les évènements de 1992
Les évènements de mai et juin 92
Campagne de propagande
Orgyen Trinley, le Karmapa de Sitou Rinpoché
Les événements de novembre et décembre 1992 à Rumtek
Informations concernant le Sikkim
Année 93 : la situation dégénère à Rumtek
Identification du 17ème Karmapa Trinley Thayé Dorje
L’année 1994
La controverse : confrontation des points de vues
Les rapports entre Shamar Rinpoché et le Dalaï-Lama
Survol des événements des années 1994 à 1999
Année 2000
Année 2001
Chronologie des événements
Bibliographie et sources d’informations
Accès pages en anglais
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Survol des événements des années 1994 à 1999

Grève de la faim des moines de Rumtek

Le bannissement de Sitoupa est levé

Raisons du bannissement de Sitou Rinpoché

Pawan Kumar Chamling, le Premier ministre du Sikkim

Lettre ouverte de Shamarpa à tous les Kagyu du 14/10/99

Précisions apportées par Khenpo Choedrak Tenphel


 

Grève de la faim des moines de Rumtek

Le 8 août 1995, Tobga Yugyal accompagné de moines marchaient paisiblement vers Rumtek pour regagner leur monastère. Sitou Rinpoché a invoqué que Tobga Yugyal avait en fait, amené un convoi de huit camions, bourrés d’environ 200 hommes pour Rumtek par la force. Les intrus avaient auparavant coupé toutes les lignes téléphoniques. Ils ont pu être repoussés et l'entrée du monastère leur a été interdite.

La version de Sitou Rinpoché est différente. Selon lui, lorsque les hommes amenés par Tobga sont arrivés à l'entrée du monastère, les résidents ont tout de suite compris ce qu'il se passait. Ils se sont alors alignés le long de la route et sont restés debout, devant les attaquants, chantant des prières. La police du Sikkim est intervenue et leur a interdit l'accès au monastère. Protestant contre l'occupation permanente de Rumtek, les moines ont entamé une grève de la faim aux portes au temple. Deux mois plus tard, ayant abonné tout espoir, ils ont cessé leur grève.

La nuit du 11 septembre, Tsewang Chorden, le représentant des laïcs à Rumtek, serviteur du 16ème Karmapa et de sa famille, âgé d’une soixantaine d’années, retournait à sa maison. Soudain trois moines ont débusqué en criant : "c’est lui, c’est lui". Puis ils l'ont attaqué. Il s’est alors écroulé, et lorsqu'il a repris connaissance, il était couché dans le fossé avec des nombreuses blessures. Il a été transporté à l'hôpital où il est resté une quinzaine de jours. Le vieil homme a reconnu l'un des ses assaillants comme le dénommé Patru.

Rumtek demeure aujourd'hui dans les mains d'étrangers, tandis que les moines réfugiés, ne peuvent toujours pas retourner chez eux.

En mars 1996, une "International Karma Kagyu Conference" a été organisée au KIBI, à New Delhi, suite à la demande de la communauté monastique de Rumtek. Les représentants de quelques monastères Kagyu de la région, ainsi que de nombreux centres Kagyu du monde entier, ont participé à la réunion. Shamar Rinpoché a informé les participants de sa reconnaissance de Thayé Dorje comme la 17ème incarnation du Karmapa.

(Voir le rapport de cette conférence, livre jaune intitulé "International Karma Kagyu Conference", dont de larges extraits ont été utilisés dans cette présente étude).

En décembre 1996, Thayé Dorje a présidé le Meunlam Chenmo, les grandes prières de souhaits, à Bodhgaya, le lieu d'illumination du Bouddha. Pour la première fois dans l'histoire, un Karmapa a coupé ses cheveux à Bodhgaya. Cette cérémonie a formellement introduit son activité dans le monde. Plus de 6.000 moines et nonnes, un grand nombre de lamas de la région de l'Himalaya, ont également suivi l'événement. Thayé Dorje réside actuellement à Kalimpong, dans l'Himalaya oriental, en Inde et seulement à quelques heures de voiture de Rumtek. Il reçoit un nombre croissant de disciples locaux et internationaux, ainsi que des amis.

En septembre 1997, Tobga Rinpoché est mort d’un cancer du foie. Lors de son incinération à Thimphu (Bhutan), Trinley Thayé Dorje a été officiellement accueilli par la famille royale du Bhutan, comme le 17ème Karmapa.

Les 29 et 30 janvier 1997, une délégation de 79 membres menée par Sitou et Gyaltsab Rinpochés, et comprenant les activistes du "Joint Action Committee", a rencontré le Dalaï-lama et le Kashag (le cabinet) du Gouvernement tibétain en exil à Dharamsala. La délégation a émis des réserves quant à l'audience promise à Shamar Rinpoché par le Dalaï-Lama. Ce dernier avait accepté la demande mais n'a finalement pas accordé d’audience à Shamar Rinpoché. Le bureau du Dalaï-Lama lui a envoyé une lettre, le 3 février. Toutefois, bien que Shamar Rinpoché affirme qu'il tient toujours le Dalaï-Lama en haute estime, il ajoute néanmoins, que la réincarnation du Karmapa n'a pas besoin de la reconnaissance du Dalaï-Lama.

En novembre 1997, Orgyen Trinley, le Karmapa de Sitou Rinpoché, a reconnu un garçon de quatre ans vivant à Chushul près de Lhassa, comme la réincarnation de Jamgueun Kongtrul Rinpoché. Sitou Rinpoché et son secrétaire Ngoche Kargyay ont amené clandestinement la prétendue réincarnation à Kalimpong, dans la zone indienne de Darjeeling. Ils ont ensuite conduit l'enfant au centre de retraite du monastère de Jamgueun Kongtrul Rinpoché, à Lava, près de Kalimpong. De son côté, en 1996, Trinley Thayé Dorje, le Karmapa de Shamar Rinpoché, avait reconnu le fils de Beru Khyentse Rinpoché comme la réincarnation de Jamgueun Kongtrul Rinpoché. Ce garçon étudie actuellement au monastère de son père.

Sitou Rinpoché a également recherché la réincarnation de Kalou Rinpoché. Il a reconnu le fils de Gyaltsen, précédent secrétaire du Kalou Rinpoché. Le Dalaï-lama a reconnu officiellement cette réincarnation. En avril 1993, lors de la consécration du stupa de Kalou Rinpoché à Salugara, dans les faubourgs de Siliguri S.S. le Dalaï-Lama a procédé à la cérémonie de la coupe de cheveux de la réincarnation de Kalou Rinpoché. Il a aussi suivi une autre cérémonie à Sonada, dans le monastère de Kalou Rinpoché.

La fille de Beru Khyentse Rinpoché a, quant à elle, été reconnue comme la réincarnation de la nonne Gelongma Pag-Mo.

Puis, en janvier 2000, la guerre de succession s’est amplifiée.

Le bannissement de Sitoupa est levé

La droite du parti Bharatiya Janata qui mène le gouvernement d'alliance, a levé l'interdiction de séjour de Sitou Rinpoché, en 1998. Ram Jethmalani, un ministre du gouvernement indien a, en effet, plaidé son cas. Dugo Bhutia, ancien MLA du Sikkim, a signé une demande spéciale à la cour suprême de l'Inde, défiant la révocation de l'ordre d'interdiction. Une assignation devant la haute cour de Delhi avait été écartée précédemment, le 26 août 1998. La haute cour avait conclu qu'elle n'était pas appropriée pour considérer un litige d'intérêt public concernant les rapports politiques du gouvernement indien avec ses voisins.

La cour suprême a également écarté la demande, en concluant qu'aucune cour n’était habilitée à revenir sur la décision du gouvernement indien lorsque celui-ci refuse l'entrée du pays à une personne.

Raisons du bannissement de Sitou Rinpoché

N. D. George, directeur du ministère de l'intérieur et représentant du gouvernement indien, a déclaré sous serment, que la situation au Sikkim était devenue fragile. Des éléments anti-nationaux et des agents extérieurs pourraient tenter de diviser les communautés. La situation, extrêmement délicate et sensible, présentait un danger imminent d'infraction à l’ordre public et à la paix, comme le montrent les fréquents heurts entre les deux groupes rivaux.

En 1994, Sitou Rinpoché s'est rendu à l'étranger sans en aviser le gouvernement indien. Par le passé, il avait à maintes reprises, voyagé à l'étranger comme au Népal ou en Chine, sans demander l'autorisation du gouvernement. Conformément aux lois, avant de se rendre dans n'importe quel pays étranger, les réfugiés tibétains résidant en Inde doivent obligatoirement obtenir un certificat portant la mention "pas d’objection au retour en Inde".

Au même moment, des plaintes ont été enregistrées concernant la participation de Sitou dans une affaire de terrain situé en Gurgaon, dans Haryana. Il n'aurait pas obtenu de permission de la "Reserve Bank of India" et aurait violé les dispositions du FERA. Le Bureau central des recherches (CBI) a ouvert une enquête. En outre, Sitou Rinpoché serait en possession d'un passeport diplomatique bhoutanais.

Après avoir considéré ses fréquentes visites au Népal et au Tibet (Chine), sans visa ou sans autorisation, son rôle dans la reconnaissance de la réincarnation du Karmapa avec vraisemblablement l'aide active des autorités chinoises, couplée de la possession d'un passeport diplomatique bhoutanais le rendant susceptible de perdre son statut de réfugié tibétain, le gouvernement indien a donc décidé de mettre Sitou Rinpoché sur la liste des suspects. La circulaire d'avertissement n° 28/94 datée du 2 août 1994, l’a placé dans la "catégorie de référence préalable". C'est-à-dire qu'il ne lui sera pas délivré de visa d'entrée, de transit ou de tourisme, sans référence antérieure au gouvernement indien.

Le gouvernement indien a reçu un certain nombre de demandes pour réexaminer ces restrictions. La question a même été régulièrement étudiée lors des différentes réunions interdépartementales. Elle a finalement été abordée par le ministère de l'intérieur, où les services de renseignements ont mentionné qu'ils s'étaient opposés à la révocation de la circulaire d'avertissement et ce, afin d'éviter un sérieux trouble de l'ordre public si Sitou Rinpoché se rendait au Sikkim. Il est en revanche, toujours interdit de séjour dans le Jammu et le Cachemire, les états du Nord-Est et le Sikkim. Une circulaire de surveillance a remplacé la circulaire d’avertissement pour les raisons suivantes : l'enquête du CBI sur l'achat du terrain et les activités anti-indiennes.

N. D. George a affirmé que ces raisons avaient été données par mégarde par une division différente du ministère de l'intérieur. La véritable raison serait : l'appréhension de problèmes d'ordre publics. Les deux circulaires ont été respectivement publiées le 5 août et le 31 août 1998. Elles ont interdit Sitou Rinpoché de quitter l'Inde sans autorisation préalable du CBI. La dernière circulaire mentionne également que le district de Darjeeling, dans l’Ouest Bengale, en plus des autres états cités, lui est interdit.

 

Sitou Rinpoché de retour en Inde

Sitou Rinpoché est retourné en Inde le 25 août 1998. Il fut accueilli à l'aéroport Indira Gandhi, à New Delhi par quatre de ses partisans. Une réception a été tenue en son honneur par l'Association Culturelle des Bouddhistes de l'Himalaya et le jour suivant, au centre de l'habitat de l'Inde. Le Dalaï-Lama l'a reçu le 3 septembre. Huit jours après, le Dalaï-Lama lui donnait un certificat, levant tous les doutes quant à ses activités anti-indiennes.

Sitou Rinpoché a nié sa participation dans l'affaire de l’achat des terrains. Il a affirmé qu'aucun terrain n'avait été acheté par lui ou quiconque le représentant. Aucun document n'avait été rédigé ni par lui, ni par aucune autre personne le représentant donc, la question de la violation d’une quelconque loi était tout à fait fictive. Cependant, il a admis qu'il avait eu une proposition. On reçoit toujours des propositions d'acheter du terrain pour construire un centre de retraite, a-t-il dit. Cette retraite ferait partie de la Fondation Palpung au même titre que l'Institut d'Études Bouddhistes de Sherab Ling. La fondation a une origine indienne et n'a aucun rapport avec le gouvernement chinois, a-t-il revendiqué. Il a cependant admis qu'Interpol l'aurait questionné à ce sujet.

 

Pawan Kumar Chamling, le Premier ministre du Sikkim

Peu de temps après son retour en Inde, Sitou Rinpoché a rencontré Pawan Kumar Chamling, le Premier ministre du Sikkim, à New Delhi. Il lui a expliqué qu'il était arrivé en Inde, lorsqu’il avait à peine six ans et que depuis lors, il avait toujours considéré l'Inde comme son propre pays. Il jugeait que son estampille d’anti-indien ou de pro-chinois était seulement liée à certains intérêts personnels, afin de ternir son image auprès de ses disciples. Même le Dalaï-Lama s’était porté garant de lui, en septembre 1998, en soutenant qu'il n'était pas l'instrument d'intrigues politiques chinoises.

Sitou Rinpoché a demandé au Premier ministre du Sikkim de faire entrer le 17ème Karmapa Orgyen Trinley en Inde et de résoudre ainsi cette épineuse question. Il a informé le Premier ministre que le Dalaï-Lama avait aussi incité le Premier ministre de l’époque, P.V. Narasimha Rao, à agir dans ce sens. Le Premier ministre lui a alors répondu que le rôle du gouvernement du Sikkim était limité au maintien de l'ordre public et qu'il le faisait de façon juste et impartiale. Quant à faire entrer Orgyen Trinley en Inde, le Premier ministre l’a informé que personne ne devait chercher à tirer profit de la religion et que tous les partis politiques du Sikkim devaient solidairement demander au gouvernement d'union de faire entrer le 17ème Karmapa en Inde.

Chamling a demandé plus tard au Premier ministre indien, de reconnaître le candidat de Sitou Rinpoché comme le 17ème Karmapa de la lignée Kagyu. Dans une lettre adressée au Premier ministre, Chamling annonçait que la réincarnation du 17ème Karmapa avait été reconnue par le Dalaï-Lama, en 1992. Il a expliqué qu'il était nécessaire de prendre des mesures immédiates afin de clarifier les doutes dans l'esprit des disciples de la lignée, tant à l’intérieur qu’à l'extérieur du pays. Ces mesures mettraient fin une fois pour toutes, à cette controverse vieille d’une décennie et chargée d’implications internationales. Il a également demandé l'aide du gouvernement indien pour faire venir le 17ème Karmapa du Tibet au monastère de Rumtek, au Sikkim. Il a rappelé que, malgré la succession difficile du Gyalwa Karmapa, le gouvernement du Sikkim avait maintenu une politique claire et transparente, limitée au maintien de l'ordre public au monastère de Rumtek, de façon juste et impartiale.

Le Premier ministre Chamling a aussi exigé la levée de l'interdiction d’entrée au Sikkim de Sitou Rinpoché, assurant que "Sitou Rinpoché ne peut en aucun cas être montré comme 'un agent' du gouvernement chinois". Dans une lettre de trois pages, il a expliqué le contexte de la controverse liée à la réincarnation du 17ème Karmapa.

 

Lettre ouverte de Shamarpa à tous les Kagyu

Le 14 octobre 1999.

"En ma qualité de Shamarpa, le deuxième plus haut leader spirituel de la tradition Karma Kagyu, j'écris pour expliquer certaines circonstances liées à la réincarnation de S.S. le 16ème Gyalwa Karmapa. Par les pratiques spirituelles séculaires de l'école Karma Kagyu, j'ai reconnu Trinley Thayé Dorje comme le véritable 17ème Karmapa. Il est né en 1983, premier fils du 3ème Mipham Rinpoché, son père et de Dechen Wangmo, sa mère, tous deux originaires de Dzakhog, au Tibet oriental. Après leur fuite du Tibet en mars 1994, j'ai formellement reconnu l'enfant comme le 17ème Karmapa, au cours d'une cérémonie d'accueil à New Delhi.

Depuis la mort du 16ème Karmapa en 1981, et jusqu'à mon identification du 17ème Gyalwa Karmapa Trinley Thayé Dorje, beaucoup d'obstacles, lamentables et inutiles, ont été rencontrés dans le processus d'identification. Ils sont de nature politique, et non spirituelle. J'ai, depuis longtemps, préconisé la séparation de la politique et de la religion dans la culture tibétaine. L'intrusion de la politique, tant au niveau individuel que national, peut seulement mener à la corruption des valeurs spirituelles et des traditions. L'histoire l'a prouvé à maintes reprises.

À mon humble avis, la première cause du trouble associé à l'identification de la réincarnation du défunt Karmapa, est liée à son défi intransigeant à la politique de S.S. le Dalaï-Lama et du Gouvernement tibétain en exil. Ces derniers désiraient effectivement unifier toutes les différentes écoles religieuses du Tibet. Malgré leur accord avec l'unification politique et ethnique, le 16ème Karmapa et de nombreux autres leaders religieux tibétains, ont cependant craint que la politique religieuse n’éteigne la riche et significative diversité spirituelle tibétaine. Le rôle phare du défunt Karmapa dans l'opposition à cette politique, a soumis le Dalaï-Lama à une pression considérable.

En conséquence, il est compréhensible que le Gouvernement tibétain en exil ait voulu utiliser l'identification du 17ème Karmapa à son propre avantage politique. Et ce, afin d’éviter tout défi futur d'un puissant leader spirituel indépendant comme l’était le 16ème Karmapa. Sans entrer dans les détails, nous savons que, derrière l’identification d’Orgyen Trinley comme le Karmapa du Tibet, se cachent des revendications concurrentes et frauduleuses. En outre, nous regrettons de vous informer que depuis 1990, M. Juchen Thubten, le Ministre senior du Gouvernement tibétain en exil, accompagné de plusieurs lamas Karma Kagyu, notamment Sitou Rinpoché, ont conspiré avec le gouvernement chinois pour identifier une réincarnation du Karmapa au Tibet.

De cette façon, le nouveau Karmapa serait sous le contrôle chinois et ne menacerait en aucun cas le Gouvernement tibétain en exil. Il permettrait en même temps à Sitou Rinpoché, d’être dans une position dominante au sein de l’école Karma Kagyu, à l'extérieur même du Tibet. Le but de ces manœuvres était de priver l'accès du Gyalwa Karmapa aux communautés bouddhistes de l'Himalaya, et de saper parallèlement l'administration du 16ème Karmapa à Rumtek, au Sikkim. Je peux comprendre les raisons du Gouvernement en exil concernant l'administration du défunt Gyalwa Karmapa. Cependant, je ne peux pas comprendre comment des rinpochés de la lignée Kagyu qui avaient soutenu le défunt Gyalwa Karmapa lors de son vivant, ont ensuite trahi sa politique et ses idéaux religieux après sa mort.

J'attribue des intentions pures au Dalaï-Lama. Je ne peux donc pas croire qu'il était derrière les actions de M. Juchen Thubten. Cependant, Sa Sainteté a reconnu officiellement Orgyen Trinley, sachant qu'il serait sous le contrôle du gouvernement chinois. J’y trouve une contradiction ironique. Le Dalaï-Lama s'oppose à la réincarnation du Panchen Lama au Tibet qui est, au même titre qu’Orgyen Trinley, soumise à l'autorité chinoise. Depuis le paranirvâna du 16ème Karmapa et jusqu'à aujourd’hui, j'ai toujours évité les conflits avec le Dalaï-Lama. Je suis même sorti de ma voie - rétrospectivement, peut-être trop loin de ma voie - afin de coopérer aux recherches de la nouvelle incarnation du Karmapa. En effet, en mai 1992, à la demande d'Urgyen Tulkou Rinpoché, et par respect envers le Dalaï-Lama, j'ai tout d’abord consenti au choix d'Orgyen Trinley.

Après le début de la controverse des Karmapa, en mai 1992, j'ai rencontré S.S. le Dalaï-Lama à maintes reprises. Je lui ai demandé de ne pas s’impliquer dans cette affaire, de rester neutre. Il m'a répondu favorablement, mais les politiciens qui l’assistent n'étaient pas si conciliants. Je tiens Sa Sainteté en haute estime, non certains de ses fonctionnaires. Afin de maintenir l'harmonie dans l'école Karma Kagyu, j’ai non seulement donné mon consentement initial en faveur d'Orgyen Trinley, mais j'ai aussi abandonné mes demandes d'expertise de la lettre de prédiction que Sitou Rinpoché a désespérément produit en mars 1992. Il prétendait que le défunt 16ème Karmapa l'avait écrite afin de donner des instructions pour identifier sa réincarnation. J'ai agi de la sorte, dans le but d’empêcher Sitou Rinpoché de causer de nouveaux ennuis. Bien qu'il n'ait pas tenu ses engagements de maintenir la paix dans la Sangha, j'ai quant à moi, toujours essayé de le faire jusqu'à présent.

Je n’ai aucune mauvaise intention dirigée contre Orgyen Trinley. Je le soutiens et lui adresse mes prières afin que ses efforts pour diffuser le Dharma profitent à sa nation ainsi qu’à tous les êtres sensibles. Néanmoins, je ne peux pas et je ne veux pas sacrifier notre tradition spirituelle et nos valeurs Karma Kagyu, en ne nommant pas et ne reconnaissant pas le véritable leader spirituel Karma Kagyu. En outre, je ne participerai pas à la contamination de la pure tradition Karma Kagyu en trompant les disciples avec une fausse et mauvaise interprétation de notre histoire sacrée. J'ai reconnu Trinley Thayé Dorje comme la véritable réincarnation du 16ème Gyalwa Karmapa, conformément à la tradition Karma Kagyu et à l'autorité spirituelle du Shamarpa depuis de nombreuses générations. Les précédents rôles du Shamarpa dans la reconnaissance du Karmapa sont mentionnés dans "l'Histoire du lignage d'or des Karma Kagyu", écrite par le 8ème Tai Sitoupa Choeki Jungney. Les copies de cet ouvrage sont disponibles en Chine, au Tibet et dans de nombreuses bibliothèques du monde entier. Le monastère de Palpung, de Sitou Rinpoché, a même les bois originaux pour imprimer ce célèbre texte.

Mes prières les plus profondes vont aux Trois Joyaux. Je souhaite que les mauvaises attaques de ces dernières années qui ont visé à la destruction de la tradition Karma Kagyu par l'argent, le pouvoir et la malveillance cessent enfin. J’espère ardemment et je prie pour que la tradition Karma Kagyu retrouve la paix, pour que la politique se sépare de la religion, enfin pour que le désintéressement remplace l'avidité de certains lamas. C’est seulement dans une telle atmosphère que les enseignements véritables du grand Bouddha pourront refleurir.

J’adresse une prière spéciale pour que cessent toutes les contradictions et toutes les tensions amères entre le camp du défunt Karmapa et celui de S.S. le Dalaï-Lama. Nous devons travailler ensemble pour retrouver une véritable amitié. Nous devons nous unir dans le Dharma pour diffuser le Bouddhisme et permettre à tous les êtres sensibles de ne plus connaître la souffrance.

Je demeure fidèlement vôtre dans la pratique et dans l’expansion du Dharma.

Shamar Rinpoché."

Précisions apportées par Khenpo Choedrak Tenphel

"Concernant la revendication selon laquelle la plupart des tibétains ne reconnaisseraient pas Thayé Dorje comme le Karmapa, il faut souligner que, seule une minorité des tibétains est Kagyupa. La majorité d'entre eux, reste donc neutre dans la reconnaissance d'un Karmapa. Ils respectent les deux candidats, espérant ainsi éviter les questions politiques, et souhaitant que la controverse ait une fin prochaine. Bien entendu, cela n'inclut pas les militants du "Tibetan Youth Congress" dont les membres, soutenant la politique de S.S. le Dalaï-Lama, reconnaissent pour le moment Orgyen Trinley comme le Karmapa. La rumeur selon laquelle le Karmapa Thayé Dorje ne serait pas respecté par les Tibétains est tout simplement non fondée. En effet, lorsqu’en 1996 il intègre la communauté monastique, environ 12 000 tibétains sont venus lui témoigner leur respect. Une vidéo a d’ailleurs largement diffusé l’événement. Il est en fait, suivi par des milliers de bouddhistes du Bhoutan et du Népal. Cela ne signifie pas que la situation est facile pour les Tibétains disciples de Thayé Dorje. De nombreux réfugiés tibétains nous ont effectivement rapporté que les partisans de Sitou Rinpoché lancent régulièrement des pierres sur les maisons où les photos de Thayé Dorje sont exposées. Ainsi, Shamar Rinpoché demande aux gens de ne plus afficher ces photos. La dévotion vient du cœur, l'important est d'avoir un Karmapa authentique".

Propos recueillis dans une interview de Khenpo Choedrak Tenphel.