Avant-propos
Téléchargement du document PDF
Introduction à la controverse des Karmapa
Quelques données historiques
1959 : Le Karmapa s'exile en Inde
Les difficultés au temps du 16ème Karmapa
Les années 80 à 90
Les évènements de 1992
Les évènements de mai et juin 92
Campagne de propagande
Orgyen Trinley, le Karmapa de Sitou Rinpoché
Les événements de novembre et décembre 1992 à Rumtek
Informations concernant le Sikkim
Année 93 : la situation dégénère à Rumtek
Identification du 17ème Karmapa Trinley Thayé Dorje
L’année 1994
La controverse : confrontation des points de vues
Les rapports entre Shamar Rinpoché et le Dalaï-Lama
Survol des événements des années 1994 à 1999
Année 2000
Année 2001
Chronologie des événements
Bibliographie et sources d’informations
Accès pages en anglais
Pour recevoir des mises à jours
écrire

Les évènements de début 1992

Les événements précédant le 19 mars 1992

Les quatre Régents prévoient de se rencontrer à Rumtek
La mauvaise santé de Jamgueun Kongtrul
La lettre du "Dergué Comité "

La fameuse journée du 19 mars 1992

Sitou Rinpoché annonce l’existence d’une lettre
Shamar Rinpoché demande une expertise
Sitou Rinpoché rompt le secret

Analyse de la lettre de prédiction de Sitou Rinpoché

Analyse de la Lettre de Sitou Rinpoché par le Khenpo Chodrak

Le décès de Jamgueun Kongtrul

Le choc - Pourquoi Jamgueun Kongtrul ?
Shamarpa est accusé d’avoir tué Jamgueun Kongtrul Rinpoché

Les événements précédant le 19 mars 1992

La mort de Dabzang Rinpoché

Début 92, Dabzang Rinpoché, un grand lama Kagyu du Népal, mourut soudainement à Hongkong dans des circonstances plutôt étranges. Grand consommateur de thé au beurre, il souffrait d'hypertension, sans que cela ne nécessite néanmoins une intervention chirurgicale. Cependant, ses disciples chinois avaient arrangé une opération du cœur, en insistant sur l'importance d'une telle intervention, expliquant que la colonie britannique était le lieu idéal. Pour dissiper tous les doutes, Sitou Rinpoché - le disciple de Dabzang Rinpoché - fut consulté. Le jeune Rinpoché fit une divination qui coupa nette toute hésitation : Lama Dabsang devait passer sous le bistouri. Dabsang Rinpoché a certainement voulu, dans sa grande compassion, ne pas décevoir ses étudiants très orientés vers la santé. Peut-être n'a-t-il pas eu envie de contredire Tai Sitou non plus. Toujours est-il qu'il s'est retrouvé sur une table d'opération, subissant une opération du cœur dont il n'avait pas vraiment besoin. L'opération semblait bien se dérouler. Néanmoins, le chirurgien, dans son ardeur à achever rapidement la tâche, laissa une paire de ciseaux à l'intérieur de la poitrine du Rinpoché. C'était un évènement plutôt fâcheux. Une nouvelle intervention fut nécessaire pour récupérer les ciseaux du bon docteur. L'épreuve supplémentaire se révéla trop lourde pour son cœur affaibli et Dabsang Rinpoché mourut durant l'opération.

Jamgueun Kongtrul fut profondément choqué et en fit presque une dépression. Il continuait à murmurer que cette mort n'aurait jamais dû arriver et que cette perte était une énorme catastrophe. C'était, bien sûr, un incident malheureux et triste, mais la réaction de Kongtrul semblait tout à fait hors de proportion. Après tout, il s'agissait d'un grand lama qui avait certainement surmonté le processus de mort et lui-même était un grand tulkou qui pouvait surmonter une telle disparition. Néanmoins, cette extrême tristesse de Jamgueun Kongtrul donnait le sentiment que les ennuis étaient à venir.

 

Les quatre Régents prévoient de se rencontrer à Rumtek

Les quatre détenteurs de lignée convinrent de se rencontrer à Rumtek le 16 mars. La dernière réunion des quatre Régents à Rumtek remontait à 1986, quand ils avaient déclaré avoir retrouvé la lettre de prédiction du Karmapa. Depuis cette annonce, un mur de silence était tombé et les Régents ne se sont pas revus à Rumtek. Considérant la portée de ces rencontres, leurs contacts étaient anormalement rares et irréguliers. Après tout, il leur avait été confié l'énorme responsabilité de trouver la nouvelle incarnation du Karmapa. On pouvait s'attendre à ce qu'une charge si importante exige une communication plus régulière. Les quatre Régents daignèrent finalement se réunir à Rumtek.

Cependant, la raison qui amena cette réunion était beaucoup plus mitigée que le simple désir de résoudre ensemble la question du Karmapa. En 1989 Sitou Rinpoché informa les trois autres Régents qu'il était en possession "de bonnes nouvelles semblables aux cris joyeux des paons." C'était en effet une déclaration des plus optimiste. Pourtant, Sitoupa dut conclure que ces nouvelles étaient trop joyeuses pour que ses pairs puissent apprécier et ne divulgua rien aux autres régents, lors de leur réunion à Delhi en 1990 qui s’avéra peu concluante. Il leur faudra encore deux années pour se rencontrer à nouveau. Et bien que Shamarpa ait eu l'intention de questionner son pair à propos des fameux" paons", la communication mutuelle ne parvenait pas à s'établir. Quand Tobga intervint et appela les lamas à unifier leurs efforts, il fut ignoré par Sitoupa. Finalement, Tai Sitou a accepta de voir les autres détenteurs de la lignée le 16 mars à Rumtek.

Les dissensions entre les Régents était un secret bien caché. Personne ne soupçonna que certains des vénérables étaient en rivalité et le monde Occidental Kagyu vivait sous l'illusion d'une grande harmonie. Le voile couvrant les vies des lamas était toujours assez dense pour cacher la vérité.

 

Le Bouddha pleure

Shamar et Jamgueun Rinpoché avaient sponsorisé la construction d'une grande statue de Bouddha pour le temple principal du monastère de Rumtek. Peinte en or, la précieuse statue dominait majestueusement la grande salle de prière de ses quatorze pieds de haut. Pendant la cérémonie de consécration, un signe peu commun apparut. Un liquide commença soudainement à couler du corps de la statue. Pour un esprit moderne et sceptique, de si extraordinaires phénomènes apparaissent plutôt soupçonneux. Pour des tibétains et la plupart des Asiatiques, ces histoires miraculeuses sont leur pain quotidien. Que de l'eau ait vraiment commencé à suinter de la statue en question, cela reste à prouver. Cependant, à Rumtek, personne n'eut de doute et cela fut perçu comme très peu propice. La dernière fois qu'une statue "avait pleuré" c'était à Lhassa avant l'invasion chinoise. Cela apparaissait à l'évidence comme l'annonciation d'un événement catastrophique et que des obstacles majeurs allaient arriver. Pour confirmer ce fait, une statue de Manjushri, le Bouddha de la Sagesse, située à l'institut Nalanda au-dessus du monastère laissa inexplicablement tomber son épée. Sans attendre de plus funestes présages, les deux Rinpochés commencèrent à accomplir des pujas pour dissiper les obstacles. Une photo prise révèle l'inquiétude d'alors. Shamarpa et Kongtrul Jamgueun sont assis, un à côté de l'autre, regardant fixement l'objectif de l'appareil, le visage très pâle et l'expression contrariée.

 

La mauvaise santé de Jamgueun Kongtrul

Lors son dernier voyage au Tibet, la santé de Kongtrul Rinpoché s'était sérieusement détériorée. Aux festivités du Nouvel An tibétain, il semblait malade et faible. Quelque temps après, à la suite d'une petite coupure au doigt, il développa une infection du sang. À peine capable de se déplacer, avec une forte fièvre, il dut se rendre à Katmandu pour aider aux obsèques du Lama Dabsang Rinpoché. Sitoupa, le disciple le plus proche de Dabsang Rinpoché, supposé être le responsable des rituels, ne s'était pas donné la peine d'arriver à temps. Pourtant, c'était la divination positive de Tai Sitou qui avait persuadé Dabsang Rinpoché de se faire opérer. Après la désastreuse opération, le jeune tulkou n'a peut-être pas eu envie de se montrer à l'incinération de son enseignant. Les longs rituels ont été à la charge des frêles épaules de Jamgueun Kongtrul.

 

La lettre du "Dergué Comité "

Début mars 92, tous les centres Kagyu du monde entier recevaient une mystérieuse lettre écrite par un groupe de commerçants tibétains du Népal, fonctionnant sous le nom de "  Comité Dergué". Cette lettre s’adressait à tous les disciples du Karmapa afin de se rebeller contre la direction collective des quatre Régents et ignorer le Régent senior du Karmapa (Shamarpa). Les paroles les plus dures étaient réservées à Shamarpa et au Secrétaire général Tobga, qui étaient accusés de retarder constamment le processus d'identification du Karmapa. Dans un contraste flagrant avec ses pairs, Sitoupa était décrit comme le seul capable de reconnaître la 17ème incarnation du Karmapa. L’accusation frappait durement et sans appel. Etait-ce un appel à un coup d'état ? Quelqu'un essayait-il de bouleverser la hiérarchie Kagyu et placer Sitoupa aux commandes de la lignée ?

Le fondateur de ce groupe serait un certain T.N. Gyuchen, qui avait été autrefois pendant de nombreuses années, ministre du Gouvernement tibétain en exil, période pendant laquelle il était en opposition avec Sa Sainteté le 16ème Karmapa. Il a travaillé dans différents ministères comme les relations publiques, la religion et l'éducation. Plus tard, il est devenu ministre senior. Après sa démission de cette fonction, lui et des membres de plusieurs familles originaires de Dergué au Tibet Oriental, fondèrent le "Comité Dergué" à Katmandu. Nombre des membres fondateurs sont connus pour être des hommes d'affaires qui font le commerce d'objets religieux et de tapis. Le principal commanditaire du groupe serait Karge, qui est le bras droit de Sitou Rinpoché.

Précisions de "Siege of Karmapa"

(Témoignage des moines de Rumtek)

En février 1992, Sitou Rinpoché visita la Chine quelques jours. Ensuite, via HongKong et Delhi, il alla voir le Dalaï Lama à Dharamsala. Il y demeura deux jours avant de retourner à son monastère.

En mars nous (les moines de Rumtek) fument témoins du rapprochement de Sitou et Gyaltsab Rinpoché. Ils eurent une réunion à Rumtek avec le Parti politique Sikkim Sangram Parischad à laquelle assistèrent deux membres puissants et influents de ce parti, Messieurs Kunzang Sherab et Karma Topden. Pendant cette réunion, Sitou fonda le Joint Action Committee. Après la clôture de cette réunion, Monsieur Sherab Tarchin vint nous expliquer ceci : " Ce Comité est maintenant spécialement conçu pour remplir les intérêts de trois gouvernements ". Plus tard, nous apprenions que le concept de " les trois gouvernements " faisait référence aux gouvernements du Sikkim, du Dalaï Lama et de la Chine.

La fameuse journée du 19 mars 1992

Ambiance générale

La réunion prévue de longue date pour le 16 mars 1992 sera finalement repoussée au 19 de ce mois.

Au matin du 19 mars, les quatre détenteurs de lignée se réunirent à Rumtek. A son grand étonnement, Shamarpa remarqua un grand et bruyant rassemblement de Khampas, se tenant résolument devant la salle de réunion, comme s’ils essayaient de faire pression sur les régents. Un tel rassemblement était assurément étrange, et Shamarpa se demandait comment ces Tibétains - certains semblaient venir de Katmandu- avaient pu être informés de cette réunion.

Dans la foule, il reconnut même Akong - comme si venir d'Ecosse pour rendre visite à Rumtek était une chose des plus naturelles. D'autres invités en vue qui habitaient les Etats-Unis étaient présents : Lama Norlha de New York et Tenzin, l'administrateur de Woodstock. De toute évidence, quelqu'un avait convié toutes ces hautes personnalités. L'humeur était devenue agressive. "Vous devez vous décider maintenant !" entendit Shamarpa juste avant de pénétrer dans la salle de réunion.

Sitou Rinpoché annonce l’existence d’une lettre

Sitou Rinpoché a commença, d'abord en demandant à chaque régent s'il était en possession ou avait connaissance d’instructions venant du Karmapa. Quand il s'assura que personne ne pourrait produire rien nouveau, Sitoupa prit une écharpe blanche, s’inclina devant l'autel et, solennellement, annonça la nouvelle longuement attendue : Oui, il avait la lettre de prédiction de Sa Sainteté !

Les trois régents virent une enveloppe avec une inscription en rouge écrite dessus. Immédiatement Gyaltsab Rinpoché et Jamgueun Kongtrul exprimèrent leur approbation. Le premier, avec les larmes aux yeux, se prosterna même entièrement sur le sol. Toutefois, Shamarpa resta circonspect et regarda toute la scène avec quelque doute. Mais quand la lettre fut extraite de son enveloppe, il fut immédiatement sur ses gardes ; ce qui avait été placé sur la table devant lui ressemblait beaucoup à une contrefaçon.

La lettre semble suspecte

D'abord l'écriture - elle semblait instable et s'étendait partout sur la page comme si elle provenait d'une main chancelante et peu sûre.

C'était une claire différence avec l’écriture élégante et assurée du 16ème Karmapa.

Deuxièmement, le texte n'avait aucun point commun avec le style littéraire du Karmapa. Étant familier avec le caractère des poésies de Sa Sainteté, Shamarpa ne pouvait pas masquer sa déception. Les phrases étaient maladroitement réunies ; elles n’avaient pas la chaleur et la compréhension qu'il admirait tant chez son maître.

De plus, il y avait plusieurs contradictions surprenantes. La septième phrase disait : "il naîtra en l’année du Bœuf de terre". Shamar Rinpoché se rendit immédiatement compte que c'était une impossibilité absolue. Si l'enfant annoncé dans la lettre été né en l’année du Bœuf de terre, il aurait eu soit trente-deux ans quand le 16ème Karmapa est mort en 1981, soit il serait né vingt-six ans après la mort du Karmapa. L’année du Bœuf de terre n’offrait uniquement que ces deux possibilités.

Finalement, venait la signature ! Il était clair que quelqu'un avait essayé d'imiter la calligraphie caractéristique du Karmapa, mais l'imitation etait plutôt mauvaise. Bien que la signature ait été couverte par un grand cachet rouge, on pouvait voir le tracé incertain, presque cassé et les extrémités mal définies qui prétendaient être le nom de Sa Sainteté, sans aucun rapport avec la signature personnelle rapide et vive du Karmapa.

Cela apparaissait comme si le Karmapa, dans ce document fondamental pour lui et la lignée, avait tout oublié de sa maîtrise de la calligraphie et du style, et avait griffonné négligemment les paroles cruciales, totalement indifférent à la forme et obscur sur le contenu.

Sans attendre, Shamarpa questionna rapidement pour mettre en doute Sitoupa. Il affirma d'abord être incapable d'accepter ce document comme le testament véritable du Karmapa et voulut savoir comment Sitou Rinpoché s'était procuré un si douteux document.

A ce moment là, Jamgueun Kongtrul commença lui aussi à exprimer quelques doutes. En dépit de sa bienveillance et sa nature conciliante, la signature confuse et l'écriture lui semblaient trop maladroite.

Seul Gyaltsab Rinpoché approuvait inconditionnellement ces nouvelles importantes et, jetant à peine un coup d’œil à la lettre, acquiesçait en hochant la tête, chaque fois que Sitoupa s’exprimait, ce qui arriva très souvent durant cette longue réunion. Finalement, avec le regard critique de Shamarpa fixé sur lui, Sitou Rinpoché a raconta son histoire.

Il avait reçu la lettre juste avant le décès de Sa Sainteté en 1981, sans aucune indication de son contenu. Il ne savait même pas que c'était une lettre. Enveloppé dans la soie, le paquet lui avait été donné comme une protection. Pendant des années, il l'avait porté avec dévotion autour du cou, totalement inconscient qu'il se déplaçait avec l’avenir de la lignée accroché sur la poitrine.

Par une chaude soirée d'été de 1989, Sitou Rinpoché décida de changer le tissu usé, protégeant son talisman. Ayant ôté le vieux tissu et jetant un coup d’œil à l'intérieur, il découvrit un document scellé. Une mention était apposée : "À ouvrir en l’année du Cheval de Fer ".

Que Tai Sitou ait, de fait, attendu l'année prescrite pour ouvrir le cachet de la lettre, cela n’était pas très clair. En revanche, il est certain qu'il n'avait pas invité les autres régents à assister à la procédure. Une fois connu le contenu du document, il a effectivement informé ses pairs qu'il était en possession de nouvelles semblables "aux cris joyeux de paons" mais n’a pas révélé pourquoi les paons étaient soudainement si joyeux.

Ayant suscité des espérances, Sitoupa a soudainement changé d'avis et pendant les deux années suivantes a minutieusement évité de rencontrer les trois autres détenteurs de lignée. Par deux fois, quand les circonstances les ont rassemblés à Delhi en 1990, il est resté silencieux. A la question concernant la raison de son silence, il expliqua calmement qu’il aurait été inopportun de montrer la lettre à Delhi.

Shamar Rinpoché demande une expertise

Tout cela sentait manifestement la tricherie. Le régent senior restait très soupçonneux et nullement convaincu par les explications de Sitoupa.

Il voulut savoir pourquoi l'enveloppe semblait moins usée que son contenu.

Il exigea que la lettre soit soumise à une expertise scientifique et annonça que sans une telle expertise il accepterait pas cette lettre en tant que testament spirituel de Karmapa.

Le dos au mur, et de plus en plus mal à l’aise, Tai Sitou se lança dans une description détaillée de ce que coûterait un tel test extravagant. Il attira l’attention de ses pairs sur le fait que le seul endroit pour réaliser un tel test était Londres et ajouta que cela prendrait des années pour avoir les résultats. Ils ne disposaient certainement pas d’autant d'années devant eux. Comment et où Sitoupa avait obtenu ce genre d’information était un réel mystère mais personne ne le lui demanda. Pour le moment, il avait semblé avoir convaincu les régents de l'idée qu'une expertise était une opération scientifique aussi complexe que, disons, la fusion nucléaire dans des conditions de laboratoire. Mais pas pour longtemps ! Avant la fin de la réunion, l’instinct de méfiance de Shamarpa reprit le dessus et il réussit à obtenir une photocopie de la lettre contestée.

Jamgueun Kongtrul Rinpoché doit arbitrer

Quand Tai Sitou acheva son monologue, les régents commencèrent à analyser mot à mot le texte. Il s’avéra que le contenu était aussi peu clair que la forme extérieure. Bien que les noms de l'enfant et des parents ainsi que d'autres détails soient inscrits, il semblait que quelqu'un avait aligné ces détails dans une formulation sans aucun enchaînement d’une idée à une autre.

Des heures de lecture fastidieuse et d’interprétations tirées par les cheveux n'apportèrent aucun résultat concluant et comme le jour s’écoulait, les quatre lamas conclurent un compromis.

Pendant sa prochaine visite au Tibet, Jamgueun Kongtrul essayerait d’évaluer lui-même la situation. Il devrait prendre contact avec le garçon, sur la base de la description de la lettre. S’en remettre au jugement de Jamgueun Rinpoché était le choix idéal, acceptable pour tous, car il était le lama qui symbolisait la voie du milieu.

Tobgala conteste l’authenticité de la lettre

Tobga, le secrétaire général de Rumtek et le président de la fondation Karmapa Charitable Trust fut appelé.

Les Éminences l'accueillirent avec une bonne nouvelle : le testament spirituel du Karmapa avait été finalement trouvé. On montra la lettre au secrétaire général. Cependant, après l'examen du texte, Tobga sembla tout aussi affligé et déçu que Shamarpa. Plus il regardait avec attention la lettre, moins il l’appréciait et, à la fin, il fut convaincu que les rinpochés l'avaient écrite eux-mêmes. Ayant trouvé un candidat mais incapable de trouver les instructions écrites, ils ont simplement composé un document approprié, pensa-t-il. Malheureusement, le document semblait peu convenable et Tobga, horrifié par ce qu'il voyait, exprima ses inquiétudes.

Voyant l'embarras croissant de Sitou Rinpoché, il déclara qu'il ne croyait pas que cette lettre soit les instructions authentiques du Karmapa.

Il demanda aux rinpochés à présenter la réelle réincarnation et fit remarquer à Jamgueun Kongtrul qu'il était peu avisé de poursuivre une piste clairement erronée.

Sitou Rinpoché rompt le secret

La réunion se termina tôt dans la soirée. Les quatre détenteurs de lignée consentirent à tenir confidentiel leur désaccord et à ne pas faire aucune révélation précipitée.

Ils devaient se rencontrer de nouveau en juin après le retour de Jamgueun Kongtrul du Tibet. En quittant la pièce, ils se heurtèrent à la foule bruyante qui avait pris position devant la porte de leur conférence. Immédiatement, Gyaltsab Rinpoché saisit l'occasion et montra l'enveloppe à distance, déclarant calmement qu’elle contenait les mots saints de Sa Sainteté.

Sitoupa sortit la lettre de l’enveloppe et l’exhiba pour que tous puissent admirer, faisant ainsi étalage de leur accord secret. L’accord longuement négocié n’avait duré que quelques minutes.

Encouragés par la vue du document, les Tibétains commencèrent à crier leur approbation pour le geste de Sitoupa, mais exigèrent des résultats plus rapides des autres lamas. Une bruyante ovation s’ensuivit pour honorer Sitou Rinpoché et Shamarpa se demanda un instant, s'il n'était pas tombé sur la place d’un marché.

Le jour suivant, comme si le pacte qu'il avait scellé avec ses pairs ne signifiait rien, Sitoupa fila à toute vitesse à Dharamsala pour révéler tous les détails au Dalaï-lama. Quelques jours plus tard, en complet mépris de sa parole, il informa tous les centres du Dharma au Népal sur le groupe de recherche formé.

 

Analyse de la lettre de prédiction de Sitou Rinpoché

Extrait des Karmapa Papers

(…) Il y a eu des doutes exprimés sur la lettre présentée par Situ Rinpoche le 19 mars 1992. Est—elle le testament authentique de S. S. le 16ème Gyalwa Karmapa? Malheureusement, nous avions seulement une copie de la lettre, pas l'original. Néanmoins nous avons examiné la copie pour voir ce qui aurait pu provoquer ces doutes. Certains semblent suspecter Situ Rinpoche d'avoir écrit la lettre lui-même, donc nous avons inclus dans notre analyse celles de ses lettres disponibles.

 

Remarques générales sur la lettre

En plusieurs places, le texte semble être endommagé par l'humidité. On peut voir les traces d'un pli vertical au milieu du papier. Horizontalement la lettre semble avoir été pliée au moins trois fois : au-dessous de la troisième et de la huitième ligne du texte et au-dessus du cachet. Ce dernier pli peut aussi être déduit parce que des traces du cachet sont trouvées au dessus.

Bien que l'écriture dans la partie au-dessus du cachet soit floue au point d’être illisible, il semble n’y avoir aucune trace d'encre sur le cachet lui-même.

 

Voici la copie de cette fameuse lettre

Heureusement, nous avions plus de 30 lettres écrites à la main par S. S. le 16ème Karmapa et datant des années 1970 à 1981, juste avant son décès. Nous avons demandé à plusieurs Tibétains de comparer et ils ont confirmé que " La lettre ", à première vue, semble avoir été écrite par Sa Sainteté. Mais cette impression a semblé disparaître dés qu’ils sont entrés dans les détails, particulièrement pour les gens très familiers avec l'écriture de S. S. le 16ème Karmapa. Ce qui suit sont des comparaisons quant à :

1°) la signature,

2°) l'écriture et orthographe,

3°) l’en-tête.

 

1) Signature :

La signature sur la lettre est presque entièrement couverte par le cachet. Du peu qui est visible sur notre copie, la signature pourrait différer de celles trouvées sur les lettres de S. S. le 16ème Karmapa. Cette impression est renforcée quand les signatures sont affichées l’une sur l’autre par ordinateur.

2) Écriture et orthographe. Seule une expertise de la lettre originale pourrait certainement dire si l'écriture sur la lettre est celle de S. S. le 16ème Karmapa ou non.

Néanmoins nous avons comparé l'écriture de la lettre avec celles de Karmapa et Situ Rinpoché : il semble y avoir des différences entre l’écriture dans la lettre et l'écriture dans les lettres de Karmapa que nous avions. D'autre part, on pourrait trouver des ressemblances en comparant l’écriture de la lettre avec l'écriture de Situ Rinpoche (voir deux exemples dans les tables ci-dessous; les syllabes employées pour la comparaison sont marquées dans chacune des lettres).

Pour la différence de l'orthographe du mot, "drub" voyez la table ci-dessous. A la ligne 6 de la lettre, ce mot est écrit avec le second suffixe "sa". Nous n'avons pas trouvé cette faute d'orthographe dans aucune des lettres de S. S. Karmapa, tandis qu'elle se trouve dans une lettre par Situ Rinpoche.

 

Les exemples ci-dessus des lettres figurant ci-dessous

 

3) L'En-tête :

Nous avons trouvé des en-têtes différents sur les lettres de S. S. Gyalwa Karmapa en notre possession. Sur plusieurs exemples, l'emblème au milieu (deux antilopes et la roue du dharma) était comme sur le document T27. Dans quelques cas, il était multicolore, dans d'autres monochrome rouge. Sur la plupart des lettres cependant, on peut voir un emblème plus complexe comme celui de la lettre. Parfois les mots "Sa Sainteté Gyalwa Karmapa" ont été écrits en italique comme indiqué dans doc. T27. Dans d'autres cas, ces mots et l'adresse ont été légèrement mis en italique comme indiqué ci-dessous dans l'exemple III, Dans peu de cas les mots "Sa Sainteté Gyalwa Karmapa" ont été écrit au milieu de la page, juste au-dessous de l'emblème.

Aucune des lettres de Karmapa en notre possession n'avait un en-tête identique à celui de la lettre, bien que son emblème plus complexe soit souvent employé :

Dans aucun cas, nous trouvons les mots "Sa Sainteté Gyalwa Karmapa" imprimés comme dans la lettre, où la distance entre les mots est exceptionnellement grande.

Dans notre copie de la lettre les mots "Son" et " le " ne sont pas au même niveau que le reste du texte. Peut-être c'était juste un problème avec le photocopieur.

Les caractères eux-mêmes dans la lettre diffèrent de ceux dans les lettres originales de Karmapa. Particulièrement les lettres "S" comme dans " Sa Sainteté " et " P " dans Karmapa sont plus larges dans l'en-tête de la lettre que dans n'importe lequel des en-têtes de Karmapa en notre possession. En fait, seulement dans certains des en-têtes du Quartier général Kagyu International (voir l'exemple IV ci-dessous) nous trouvons exactement le même graphisme que dans la lettre.

 

Analyse de la Lettre de Sitou Rinpoché par le Khenpo Choedrak

Extraits de la Conférence Kagyu de 1996

Voici les différentes traductions de la lettre :

Traduction de la lettre originale

C'est la lettre présentée par Sitou Rinpoché en 1992 comme la lettre de S. S. le 16ème Karmapa contenant les instructions sur sa 17ème réincarnation :

Emaho. Prendre conscience de soi-même est toujours le bonheur;

le dharmadhatu n'a aucun centre, ni bord.

D'ici au nord vers l’est de la terre des neiges

Est un pays où le tonnerre divin explose spontanément.

(Dans) la demeure d'un beau nomade avec le signe de la vache,

la méthode est Dondrup et la sagesse est Lolaga.

(Né dans) l'année de celui utilisé pour la terre

(Avec) le son miraculeux, tout puissant du blanc :

(Il) est connu comme Karmapa.

Il est soutenu par le Seigneur Amoghasiddhi,

Étant non-sectaire, il remplit toutes les directions;

ne restant pas proche de certains et loin des autres,

il est le protecteur de tous les êtres :

le soleil du Dharma de Bouddha pour que le bienfait de tous flamboie toujours.

Traduction de la lettre modifiée

Voici la version rectifiée de cette lettre diffusée par la Radio tibétaine nationale en 1993 :

(les changements ont été marqués avec *)

* Emaho, notre pays est une place très plaisante.

* le Dharmadhatu est exempt de lumière artificielle.

* En la partie sud de l’est du nord neigeux,

Est un pays où le tonnerre divin explose spontanément .

* J’ai vu un beau jardin sur la terre des nomades.

* L’esprit accomplit tout, et l’esprit de sagesse est blanc.

* L’année favorable qui favorise la terre

(Avec) le son miraculeux, tout puissant du blanc :

(Il) est connu comme Karmapa.

* Un homme qui accomplit bien les choses sera le guide.

Étant non-sectaire, il remplit toutes les directions;

ne restant pas proche de certains et loin des autres,

il est le protecteur de tous les êtres :

le soleil du Dharma de Bouddha pour le bienfait de tous flamboie toujours.

Extraits de l'analyse

(…)

Cependant, l'authenticité de cette lettre, comme vous le savez tous, n'a pas encore été établie. J'aimerais dire quelques mots des doutes que j’ai sur cette lettre.

Par exemple, la septième phrase dans cette " lettre de prédiction" dit : " (Né dans) l'année de celui utilisé pour la terre " (NdT : désigne l’année du Bœuf de Terre). Si Orgyen Trinley était né l'année du Bœuf de Terre, cela signifie ou bien qu'il devait avoir trente-deux ans quand le défunt Karmapa est décédé, ou bien qu’il serait né vingt-six ans après la mort de Sa Sainteté, le 16ème Karmapa. Ce sont les deux seules possibilités. Pour une personne qui connaît le calendrier tibétain, c'est évident. Si la " lettre de prédiction" est affirmée authentique, les prédictions ne peuvent pas concerner Orgyen Trinley.

Si nous continuons en vérifiant la géographie du Tibet par rapport aux instructions, la "lettre de prédiction", dit : "d'ici au Nord ..." ("D'ici" se réfère vraisemblablement à l’Inde) "... vers l'Est de la Terre de Neige... " (Le Tibet). Le lieu de naissance d'Orgyen Trinley n'est pas dans la partie complètement à l’est du Tibet, mais dans le sud-est. Pour ceux au courant des événements entourant la nomination d'Orgyen Trinley, il est devenu évident que ces instructions ne cadrent pas avec la réalité

C’est pourquoi, en 1993, la Radio nationale tibétaine diffusa la nouvelle version dans laquelle les erreurs ont été rectifiées. La " lettre de prédiction " de la Radio tibétaine dit maintenant que le nouveau Karmapa est né dans le sud-est du Tibet et pas à l'est du Tibet.

Le commentateur de la radio a continué en disant qu'il est né dans " L’année favorable qui favorise la terre ", en tant que nouvelle version de la "lettre de prédiction", éliminant le signe astrologique de l'animal associé à cause de la non-conformité.

De plus, l'examen minutieux de la première phrase dans la prétendue " lettre de prédiction" à la lumière des différentes écoles bouddhistes de pensée, soulève de nouveau certaines questions. Cette phrase dit : " Prendre conscience de soi-même est toujours le bonheur ;". Cette prise de conscience de soi-même se réfère-t-elle à l'école Sautrantika ou bien à l'école Cittamatra, ou bien est-ce la prise de conscience de soi-même que l'école Madhyamika réfute ? Mais en plus, cette première phrase contredit la deuxième phrase ("le dharmadhatu n'a aucun centre, ni bord. ") qui parle d'un état libre de fabrication mentale, libre de points de référence.

La première phrase affirme l'existence d'un état de félicité de l’esprit, la prise de conscience de soi-même ; la deuxième phrase parle de liberté à l’égard des fabrications mentales (posant en principe que l'existence d’une prise de conscience de soi-même est une fabrication mentale). Si on considère le contenu de la présumée " lettre de prédiction" de ces points de vue différents, il devient plutôt difficile de croire que la lettre est authentique. En outre, l'analyse du style de la lettre montre qu’elle est tout à fait peu convaincante : le style est très pauvre d'un point de vue linguistique. Cette question a été discutée en détail dans l’ouvrage "Karmapa Papers".

Cependant, c'est toujours une bonne idée d'effectuer une enquête. Qui plus est, le cachet de Karmapa et sa signature sont tachés. Sitou Rinpoché prétend que c'est parce qu'il a porté la feuille autour de son cou pendant un certain nombre d'années et la sueur de son corps a causé les taches. Cependant, d'autres parties sur la même feuille ne sont pas tachées. De plus, l'enveloppe dans laquelle elle a été conservée n'a aucune trace de sueur. Même une enquête simple de la prétendue "lettre de prédiction" mettra probablement en lumière la preuve claire qu’elle ne peut pas être authentique. Il serait plutôt étrange qu’une lettre à l'intérieur d'une enveloppe soit partiellement trempée par la sueur, sans que l'enveloppe n’ait été salie.

Le décès de Jamgueun Kongtrul

Annonce de sa mort

Comme il avait été décidé pendant la réunion des Régents du 19 mars, Jamgueun Kongtrul devait se rendre au Tibet pour mener à bien sa délicate mission. Une semaine avant son départ, un extravagant cadeau arriva à Rumtek pour Rinpoché : une toute nouvelle BMW 525. Jamgueun Kongtrul, tomba subitement conquis par son nouveau jouet et, sans beaucoup réfléchir s’est mis dans l'idée d'aller au Tibet dans sa voiture dernier cri.

Dans des mains expérimentées, une BMW est un véhicule puissant sur les bonnes autoroutes occidentales. Il devient, cependant, un article somptueux et plutôt inutile sur les routes indiennes et népalaises horriblement défoncées, encombrées de rickshaws, de chariots, de bus, de villageois et d’animaux domestiques. Qu’allait-il arriver à un tel véhicule et son intrépide conducteur dans les cols à 5000 m et les mauvaises pistes montagneuses du Tibet ? . Rinpoché allait être le premier à tester une BMW luxueuse dans les conditions extrêmes et inhospitalières du haut plateau tibétain.

De plus, Jamgueun Kongtrul allait au Tibet avec la mission secrète d'entrer en contact avec le 17ème Karmapa. Le choix du dernier modèle de la BMW 525 comme moyen de transport était un choix plutôt imprudent. Il n’est pas difficile d’imaginer que les Tibétains et des Chinois auront les yeux braqués sur un tel véhicule, inconnu au Pays des Neiges. Le voyage de Rinpoché serait suivi par des milliers de personnes, et il risquait de devenir célèbre. Si Rinpoché avait nourri l’illusion d'une opération secrète dans son Tibet natal en conduisant sa BMW blanche, il allait sûrement être déçu. Il est cependant difficile d’imaginer qu'il était ainsi naïf et inexpérimenté pour ne pas voir l'absurdité d’un tel plan. Malheureusement, Jamgueun Kongtrul n'a jamais eu l’occasion de mener à terme son affaire clandestine ni d'évaluer sa BMW au Tibet.

Un jour avant son départ, Kongtrul Rinpoché décida d'essayer sa nouvelle possession sur les routes familières du Sikkim et du Bengale du Nord. Il partit pour une journée à Kalimpong, visiter sa mère et essayer la voiture. On attendait également un mécanicien BMW de Delhi pour faire un contrôle final sur le véhicule. Au petit matin du 26 avril, Kongtrul apprit que les vols du jour venant de Delhi avaient été retardés et pourraient même être annulés. Le spécialiste BMW arriverait trop tard. Impatient de se mettre en route, Jamgueun Kongtrul décida de partir sans lui. Ses deux serviteurs assis à l'arrière, ils quittèrent Kalimpong.

Comme l’a ensuite raconté Tenzin Dorje, seul survivant de l’accident, la BMW roulait à vive allure, sur une route étroite, légèrement humide, vers Siliguri. Soudain, quelques oiseaux noirs se posèrent sur la route, juste devant la voiture. Le conducteur, dans une tentative désespérée d’éviter les oiseaux, dévia violemment la voiture, ce qui la fit déraper. N’a-t-il pas eu le temps ou l'habileté pour redresser le véhicule, ceci restera un mystère. La voiture partit ainsi en tête-à-queue à grande vitesse sur trente à quarante mètres jusqu'à ce qu'il heurte, avec une grande violence, un des arbres poussant sur le bas-côté de la route. Tout cela ne dura qu’un instant, mais l'impact fut d’une rare violence. Tout le monde fut projeté hors de la voiture. Rinpoché fut tué sur le coup. Un des aides de Rinpoché et le conducteur ont succombé à leurs blessures plus tard à l'hôpital. Tenzin Dorje, le secrétaire de Kongtrul, fut projeté par la fenêtre arrière et atterrit dans les champs à côté de la route avec seulement des blessures légères. L'aiguille du compteur s'était bloquée à 180 km/h.

Shamarpa se précipita sur le lieu de l'accident et s’occupa du corps de Rinpoché. Gyaltsab, sous le choc, eu un début de crise cardiaque. Ils décidèrent qu'il n'y aurait pas d'incinération, mais que le corps de Jamgueun Kongtrul serait préservé et les traditionnels quarante-neuf de rituels funéraires jours commencèrent le soir même.

Le choc - Pourquoi Jamgueun Kongtrul ?

"Pourquoi Jamgueun Kongtrul ?"

"Comment cela pouvait-il lui arriver ?"

On croyait que les grands yogis réalisés avaient le contrôle total non seulement de leurs processus mentaux, mais aussi sur la plupart des incidents dans leurs vies, qu’ils pourraient librement choisir quand et comment quitter leurs corps. Le meilleur exemple était la mort du 16ème Karmapa. Pourquoi alors, Jamgueun Kongtrul a-t-il voulu quitter la scène à un moment si inattendu et apparemment prématuré ?

Dans cette énigme du 17ème Karmapa qui durait depuis si longtemps, alors qu’après onze ans d'incertitude, une lueur d'espoir s'était finalement manifestée, Jamgueun Rinpoché tirait sa révérence et disparaissait.

Maintenant, avec un Régent de moins, les trois autres pourraient-il trouver une solution satisfaisante ? Tous ces doutes devenaient un sujet de préoccupations pour tous sans que rien ne puisse mettre fin à ce genre de spéculations.

Des Lamas déclarèrent que les actions des disciples pouvaient avoir une influence sur la durée de la vie de leur lama, soulignant que si le lama tolérait des exemples de mauvaise conduite, donnant de hautes initiations à de telles personnes, cela pouvait raccourcir sa vie. Les étudiants qui endommagent leurs engagements pouvaient être la plus grande entrave pour l'activité des Bodhisattvas dans ce monde. Lentement, la notion que même de grands tulkous pouvaient faire des erreurs commença à s’établir dans l’esprit du public. C'était une découverte plutôt surprenante, mais cela amena les lamas intouchables un cran plus bas, sur un niveau plus accessible et humain.

Cependant, la plupart des personnes n'ont pas su que, en plus d’être un incident tragique, la mort du Régent mettait la lignée Karma Kagyu dans une situation très difficile.

Après le malheureux épisode du procès de Shamarpa en 1983, Jamgueun Kongtrul était devenu le lubrifiant qui maintenait la cohérence entre les Régents. Ayant fait des excuses à Shamarpa pour la bévue de cette histoire de procès, il s'est rapproché du régent senior, jusqu’à développer, sinon une amitié intime, au moins un excellent rapport. Il était, en même temps, le confident de Gyaltsab Rinpoché et le seul à qui, lui qui était si solitaire, pouvait vraiment s'ouvrir. Messager entre deux partis, il souriait à tout et était d'accord avec chacun. Son activité a maintenu l'illusion d'une harmonie dans la lignée Kagyu durant plusieurs années.

Shamarpa est accusé d’avoir tué Jamgueun Kongtrul Rinpoché

Alors que le corps de Rinpoché était encore chaud, les ennemis de Shamarpa et Tobga commencèrent leurs attaques. Leurs accusations étaient si absurdes qu’elles en devenaient grotesques, se manifestant comme le simple produit d'une imagination dérangée. Le secrétaire général et ainsi que Shamar Rinpoché furent accusés d'avoir caché une bombe dans la voiture de Jamgueun Kongtrul Rinpoché. Ce dernier aurait contrecarré leur plan de couronner une marionnette en tant que 17ème Karmapa et les deux complices malveillants auraient simplement décidé de le tuer.

Une autre rumeur prétendait que les deux compères auraient secrètement durant la nuit versé du sel ou le sucre dans le réservoir d'essence de la BMW, causant ainsi une défaillance du moteur devenu capable, à grande vitesse, de faire capoter la voiture.

N’importe qui, même doué de peu de connaissance mécanique avec une petite dose de bon sens et de bienveillance refuserait un tel non-sens si flagrant. Le moteur d'une voiture pollué par du sucre ralentirait progressivement jusqu’à s’immobiliser complètement En aucun cas, ce genre de sabotage permettrait à une voiture d’atteindre la vitesse plutôt impressionnante de 180 km/h.

Quant à la mystérieuse bombe, le compte-rendu détaillé de Tenzin Dorje, le seul survivant de ce dramatique événement, contredit cette accusation grotesque. Le conducteur a dévié la voiture qui roulait à grande vitesse pour éviter des oiseaux qui étaient sur la route, perdant ainsi le contrôle de son véhicule. Finalement un expert de chez BMW fut appelé pour mettre fin à toutes ces médisances. Son témoignage catégorique aurait dû clore la question une fois pour toutes. Malheureusement, "il n'y a pas plus aveugle que ceux qui ne veulent pas voir," et malgré la preuve scientifique et les déclarations des témoins, la calomnie contre Shamarpa et Tobga a continué, s'étendant sur des cercles de plus en plus larges.