Avant-propos
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Introduction à la controverse des Karmapa
Quelques données historiques
1959 : Le Karmapa s'exile en Inde
Les difficultés au temps du 16ème Karmapa
Les années 80 à 90
Les évènements de 1992
Les évènements de mai et juin 92
Campagne de propagande
Orgyen Trinley, le Karmapa de Sitou Rinpoché
Les événements de novembre et décembre 1992 à Rumtek
Informations concernant le Sikkim
Année 93 : la situation dégénère à Rumtek
Identification du 17ème Karmapa Trinley Thayé Dorje
L’année 1994
La controverse : confrontation des points de vues
Les rapports entre Shamar Rinpoché et le Dalaï-Lama
Survol des événements des années 1994 à 1999
Année 2000
Année 2001
Chronologie des événements
Bibliographie et sources d’informations
Accès pages en anglais
Pour recevoir des mises à jours
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Les évènements de mai et juin 1992

Sitou et Gyaltsab lancent la recherche du Karmapa

Shamarpa cherche des experts graphologues

Sitou et Gyaltsab vont solliciter l’aval du Dalaï Lama

Shamar Rinpoché conteste le choix de Sitoupa

Discours de Shamarpa à Rumtek le 8 juin

L’incident du 12 juin 1992

Déclarations publiques de Sitoupa du 12 juin
Discours de Sitoupa interrompu par Shamarpa

Journées du 16 et 17 juin 92

Annonce de l’arrivée du Karmapa à Tsurphou
Médiation de Tulkou Orgyen entre Shamarpa et Sitoupa
Shamarpa signe la reconnaissance du Karmapa de Sitoupa
Question à Shamar Rinpoché concernant le rôle du Dalaï Lama

Sitou et Gyaltsab lancent la recherche du Karmapa

Le 17 mai, prenant tout le monde au dépourvu, Sitou et Gyaltsab annoncèrent publiquement que leurs représentants avaient été expédiés au Tibet pour chercher la dix-septième incarnation de Karmapa. Exprimant leur regret que Shamarpa n'ait pas été disponible pour une concertation, mais incapables d'attendre plus longtemps le retour du Régent senior, ils ont été forcés de faire leur devoir. Akong Tulkou représentant Sitoupa et Sherab Tharchin représentant Gyaltsab étaient déjà bien en chemin. Les gens dans Rumtek eurent le souffle coupé. Ramèneront-ils Sa Sainteté ? Combien de temps cela prendra-t-il ?

Trois jours plus tard, Sitoupa, sentant qu’il devait apporter un peu plus d’animation aux participants venus prendre part aux prières pour Jamgueun Kongtrul, développa son plan d’action.

Tôt l'après-midi, le 20 mai, la lettre de prédiction fut ouverte et montrée à Sakya Tridzin, le chef de l'école Sakya sous les applaudissements des membres du gouvernement Sikkimais et des familles locales en vue comme les Martang, et sous l’approbation de Poenlop et Sangye Nyenpa Rinpochés, deux grands lamas de Rumtek.

C’était, en fait, une gesticulation inutile. Sakya Tridzin, chef des Sakyapas, lama largement respecté et savant érudit, n'avait aucun rôle dans le processus d’identification du Karmapa. Le pape aurait aussi bien fait l’affaire.

Cependant, les noms célèbres ou éminents font forte impression en Inde. Les titres comptent et une manifestation relevée de tambours et trompettes et présidée par des dignitaires locaux réjouit l'appétit provincial des tibétains.

Deux personnages clés dans la délicate procédure étaient ostensiblement absents à cet événement : le régent principal Kunzig Shamarpa et le secrétaire général Tobga. Aucun des éminents lamas entassés dans la cour de Rumtek ne semblait avoir perçu leur absence, encore moins protesté. C’était comme si tous les deux avaient cessé d'exister.

Les calomnies venant de Sitou Rinpoché

En profitant des dispositions tolérantes et négligentes de Poenlop et Sangye Nyenpa, Sitou Rinpoché remit en route sa machine à calomnier pour une nouvelle session de diffamation.

Bien sûr, Shamarpa et Tobga les deux conspirateurs, étaient accusés d’être responsables de la mort de Kongtrul, mais maintenant ces deux scélérats étaient aussi accusés de faire exactement ce à quoi Sitou Rinpoché semblait se livrer.

Il était de notoriété publique, en Extrême-Orient, que Tai Sitou voyageait avec un vaste entourage d'assistants, de domestiques, et autres aides de ce genre. Son goût pour des suites impériales dans les hôtels cinq étoiles et des clubs de loisirs privés, lui a valu l'épithète du "dernier empereur" à Hongkong - une "distinction" qu'aucun autre moine bouddhiste ne pourrait revendiquer.

À présent, ironiquement, Shamarpa était dépeint comme un maître arrogant menant la vie luxueuse d'un prince oriental au-dessus de ses devoirs monastiques. Quant à Tobga, il était décrit comme un criminel ambitieux et calculateur qui attendait dans l'ombre pour vider les coffres de Rumtek afin d’étendre sa fortune privée. Ils étaient tous les deux une pierre d'achoppement sur la voie du 17ème Karmapa vers Tsurphou et devaient être chassés de Rumtek tous les deux.

Les choses deviennent claires

Les pièces du puzzle commençaient à se mettre en place. La raison pour laquelle, depuis 1989, Sitoupa avait évité une réunion formelle des quatre régents devenait claire. Il devait, d'une façon ou d'une autre, avoir jeté de la poudre aux yeux de Gyaltsab, qui était évidemment tombé sous son influence, et maintenant, avec Jamgueun Kongtrul décédé, il avait le champ libre. Il allait reconnaître comme 17ème Karmapa un garçon qu'il devait avoir choisi pendant ses nombreuses visites au Tibet.

Akong et Sherab Tharchin, les émissaires mystérieux, étaient déjà bien en chemin. Ses ouvertures fraternelles aux communistes chinois et son activité incessante dans le Kham prenaient tout leur sens à la lumière d'une telle intention. De même, les tirades bien orchestrées contre Shamarpa et Tobga et les rumeurs persistantes indiquaient un plan soigneusement mis au point.

Devant de tels évènements, beaucoup de questions viennent à l’esprit :

Pourquoi les deux régents ne pouvaient-ils pas attendre Shamarpa ?

Pourquoi cette hâte sans précédent ?

Pourquoi font-ils savoir partout que Karmapa était au Tibet, sans d’abord l’en faire sortir, le mettant ainsi à la merci des communistes chinois ?

Pourquoi Akong, en qui le 16ème Karmapa n'avait pas confiance, menait-il soudain la recherche du 17ème Karmapa ?

Shamarpa cherche des experts graphologues

La véritable raison du départ hâtif de Shamar Rinpoché en Amérique était la lettre en litige. Pas si facilement dupé par les assertions de Sitoupa qu'une expertise était une entreprise longue et coûteuse, Shamarpa avait obtenu une photocopie du document lors de la réunion de mars, et il était prêt à la soumettre à une analyse scientifique.

Il vit une opportunité, en mai, pendant les longues semaines de prières après le décès de Jamgueun Kongtrul. Quelques amis furent promptement expédiés aux USA pour prendre contact avec une institution appropriée. Persuadé que Sitoupa trouverait inopportun de lancer de nouvelles actions pendant les rituels, Rinpoché s'aventura loin de Rumtek, officiellement pour prononcer un discours à quelque congrès en Californie.

Cette conférence fut couronnée de succès, mais sa tentative d’obtenir quelques résultats de la communauté des experts s'avéra être un fiasco. Bien qu'il ait réussi à avoir quelques entretiens avec plusieurs experts dans le domaine, ces personnes éminentes lui firent comprendre que pour une expertise fiable, scientifique, une copie, et peu importe sa qualité, ne suffisait pas.

Akong a trouvé le Karmapa au Tibet

Alors qu’il était sur la côte ouest des Etats-Unis, Shamar venait d’apprendre qu'Akong et Sherab Tarchin étaient sur le point d'atteindre Tsurphou, le siège principal de Karmapa au Tibet, pour présenter l'enfant de la lettre comme le 17ème Karmapa. Il avait du retard sur les événements. Le régent principal commença à soupçonner que ses vénérables pairs l'avaient écarté. S'il voulait encore avoir voix au chapitre, dans l'identification de 17ème Karmapa et dans l'avenir de la lignée, Shamar Rinpoché pensa qu’il ferait mieux de rentrer promptement.

Shamarpa revient à Rumtek

Sans perdre plus de temps avec des experts agréés, le régent senior réserva un vol pour Francfort. A son arrivée, il rencontra, inopinément, un ministre du gouvernement de Gangtok et le jour suivant les deux s’assirent ensemble dans un avion se dirigeant vers Delhi. À l'aéroport de Bagdogra ils tombèrent sur le Premier ministre du Sikkim, N.B. Bhandari. Une figure puissante et crainte dans la politique Sikkimaise, Bhandari avait gouverné cette région autonome durant plus d'une décennie. Sa main de fer et son style dictatorial ne permettaient aucune opposition. En bavardant agréablement avec le célèbre politicien dans le salon VIP de l'aéroport, Shamarpa n’avait pas la moindre idée que le Premier ministre était déjà sérieusement impliqué dans la controverse sur le Karmapa. Objet d’avances amicales par Sitoupa et ses gens, il leur était tout acquis.

Les longs séjours de Sitou Rinpoché à Taiwan avaient un but plus pragmatique que le simple désir d'enseigner le Dharma à la communauté bouddhiste chinoise locale. On murmurait que chaque fois que le haut lama quittait l'île, ses préposés devaient traîner quelques colis supplémentaires dans l'avion. Les gens du Sikkim disaient que si un pieux disciple s'était attendu à voir Rinpoché transporter seulement des textes du précieux Dharma dans son bagage, il aurait été énormément étonné de découvrir aussi des billets de cent dollars neufs empilés à l'intérieur des malles volumineuses. Apparemment, les Chinois riches devaient payer en liquide leur chemin vers l’éveil.

Inconscient de toutes ces rumeurs, Shamarpa partagea ses pensées avec le Premier ministre. Avant le départ pour l'Amérique, il avait demandé son aide officielle pour protéger la lettre de prédiction. La demande fut satisfaite et des soldats avaient été postés à l'extérieur de la pièce où le document avait été déposé. Le régent admit alors qu’il était dans l’impossibilité d'accepter la lettre comme authentique. Sa tentative d’évaluer scientifiquement une copie aux Etats-Unis avait échoué. Puisque le papier en question était sous la protection du Ministre et de son gouvernement, il demandait alors l'aide du politicien pour accéder au texte original et effectuer un examen légal. Bhandari, semblant tout à fait mal à l’aise, eut un sourire forcé, et a poliment expliqué qu'il avait remis la responsabilité de la lettre de prédiction à un M. Karma Tobden, membre du Parlement à New Delhi. Ce n'était plus son affaire. Il s'est alors levé et s'est rapidement excusé. Il avait des réunions importantes qui ne pouvaient plus attendre. L’entrevue laissa le Régent avec l’étrange sentiment que N.B. Bhandari, le Premier ministre de Sikkim, ne disait pas toute la vérité.

Finalement le 7 juin, Shamar Rinpoché retourna à Rumtek. Il était resté éloigné durant presque un mois, mais on aurait pu croire que des années s’étaient écoulées. Il voulait interroger immédiatement les deux Régents, mais inexplicablement ils avaient disparu. Le matin même, son serviteur les avait vus quittant le monastère en hâte. On disait qu'ils espéraient une audience avec le Dalaï-lama dans son siège principal à Dharamsala. Avec ironie, Shamarpa pensa que leur audience allait être très brève. Le leader politique du Tibet et la moitié de son gouvernement étaient à Rio de Janeiro, au Brésil, assistant à la conférence sur l’environnement et Dharamsala se trouvait plutôt vide ces jours là.

Mais l'image de ses deux pairs faisant la navette à travers l'Himalaya pour quelque mission secrète l’inquiétait. Fatigué d’avoir à réagir à leurs actes brusques et peu amicaux, Shamarpa décida d’aller de l’avant. Il convoqua une réunion de tous les Tibétains à l'Institut Nalanda à Rumtek pour le jour suivant. Le temps était venu de faire entendre sa voix.

Sitou et Gyaltsab vont solliciter l’aval du Dalaï Lama

Entre temps, Tai Sitou et Goshir Gyaltsab avaient décidé qu’il était temps de rendre compte au Dalaï-lama et de lui adresser une requête pour la reconnaissance du 17ème Karmapa. Et ainsi, au matin du 7 juin, les deux étaient partis pour le long voyage vers l’Himachal Pradesh. Arrivés à Dharamsala, ils découvrirent à leur grande déception que Sa Sainteté était au Brésil. Avec l'aide de son secrétaire, ils l’appelèrent au Brésil mais ils ne parvinrent à joindre le leader tibétain que tard dans la nuit. Ils lui déclarèrent qu'ils avaient trouvé la lettre laissée par le 16ème Karmapa et qu'avec une dévotion sans faille, tous les Kagyus, Rinpochés, lamas et moines étaient d'accord avec les instructions qu’elle contenait.

Le Dalaï-lama exprima le désir de voir la lettre, et les Régents lui faxèrent une copie du document à Rio de Janeiro, en incluant tous les détails qu’ils ont pensé nécessaires.

Réaction du Dalaï Lama envers Sitoupa

Par téléphone quelques heures plus tard, le Dalaï-lama déclara que puisque l'information transmise correspondait aux instructions de la lettre de prédiction reçue par fax et puisque avec une foi unanime et une dévotion sans faille, tous les Rinpochés et lamas étaient d'accord, alors il confirmerait l'incarnation comme celle du 17ème Karmapa. Le lendemain, le bureau du Dalaï-lama à Dharamsala publia un document confirmant ses paroles.

Shamar Rinpoché conteste le choix de Sitoupa

Discours de Shamarpa à Rumtek le 8 juin

Le 8 juin, Shamar Rinpoché accueillit tous les Tibétains dans le hall principal de l'Institut Nalanda et mis tout sur la table. Il décrivit les événements de la réunion de mars, ses doutes sérieux sur une lettre que Sitou Rinpoché leur avait montrée, et leur accord de tenir secret leur désaccord. Il rappela comment Jamgueun Rinpoché devait aller au Tibet pour entrer en contact avec l’enfant, en soulignant que rien n'était certain. Maintenant, comme les deux Régents avaient violé leur accord, il devait lui aussi s’exprimer. Il avait entendu dire qu’ils avaient montré la lettre à Sakya Tridzin, ici à Rumtek. Il avait entendu dire qu'ils avaient envoyé Akong et Sherab Tharchin au Tibet et que les communistes les avaient aidés. Il avait entendu beaucoup de choses. Il voulait parler aux deux Régents, mais ils étaient partis.

Il y avait aussi une autre lettre, a-t-il souligné - celle que les quatre Régents avaient trouvé dans le reliquaire du Karmapa en 1986. Cette lettre était difficile à interpréter, mais au moment nécessaire, sa signification deviendrait claire. Il plaçait sa confiance dans les gens de Rumtek, dans les lamas, les moines et tous les autres. Il demanda que les Tibétains cherchent la vérité et insista pour que la lettre de Sitou Rinpoché soit vérifiée.

Quand Shamarpa termina son court discours, un silence désagréable tomba sur le monastère et le village. Même les chiens de Rumtek de triste renom, se tenaient tranquilles. La discorde parmi les détenteurs de lignée était devenue publique. Chaque communauté tibétaine est une source de commérage incontrôlable, mais pendant les longues minutes qui ont suivi ses derniers mots, même les langues les plus agiles se tinrent coites. Shamar Rinpoché fit ce qu'il sentait être nécessaire et attendait maintenant le retour des deux autres Régents.

Shamarpa révèle l’existence d’un informateur du Karmapa

Le jour suivant le Régent rassembla tous les Occidentaux et répéta ses propos en anglais. Il révéla aussi un peu plus de choses. Il y avait un disciple proche du 16ème Karmapa, une personne la plus digne de confiance, qui s'était rapproché de lui avec l’information qu'il détenait des instructions directes du défunt Karmapa. Cet homme, fortement respecté partout, ne se présenterait pas publiquement. Pas encore !

Karmapa lui avait dit lui-même quand révéler ses informations et le temps n'était pas encore venu. Shamarpa était entièrement certain que l'homme détenait l'information juste et qu'il la révèlerait le moment venu. Le Régent termina en précisant, plutôt sombrement, qu'il renoncerait à son siège et à son titre si sa confiance en cet homme se révélait non fondée. Il demanda aussi aux pratiquants de ne pas spéculer sur qui était le vrai Karmapa, mais d’avoir confiance en le Dharma et de pratiquer.

Ambiance pesante à Rumtek

Après les allocutions tibétaines et anglaises de Shamarpa, l'atmosphère de Rumtek était tendue. Bien que les cérémonies de prières se déroulaient comme prévu, chacun avait l’esprit ailleurs. Les Tibétains du village, prompts à choisir leurs positions, commencèrent à prendre le parti pour l’un ou l'autre. Ceux qui suivaient Sitoupa devenaient de plus en plus agressifs, imposant fermement leur choix à quiconque croisait leur chemin.

Se comportant comme une armée d'envahisseurs, les soixante moines qui étaient arrivés avec Sitou Rinpoché pour participer aux rituels, se sont abattus sur le monastère, bousculant ses habitants légitimes. Ils donnaient des ordres comme si le lieu leur appartenait. C’étaient querelles et plaintes sans discontinuer, ce qui laissa les administrateurs plutôt exaspérés.

De plus, les gens de Sitou Rinpoché prirent l'habitude irritante d’informer chacun du nombre de jours restant avant l’arrivée du 17ème Karmapa à Tsurphou. Inutile de dire, qu’écouter de tels calculs n’était pas le souhait de chacun et la bonne humeur était précaire.

Lettre de Shamarpa réfutant l’action de Sitoupa

Le 11 juin 1992, Shamarpa publia une déclaration officielle où il mit par écrit ses doutes sur l'authenticité de la lettre. Il se distançait des manœuvres des régents au Tibet et des efforts d'Akong et de Sherab pour trouver le 17ème Karmapa sur la base de l'information de la lettre contestée.

Tant que le document en question restait non expertisé, il ne conseillait à personne "de se précipiter dans quelque action que ce soit". C'était une note soigneusement pesée qui n’allait pas jusqu’à condamner les actes des deux Régents. Shamarpa maintenait la porte ouverte.

L’incident du 12 juin 1992

Déclarations publiques de Sitoupa du 12 juin

En début d'après-midi du 12 juin, alors que les tensions dans Rumtek s’étaient accrues, les conques résonnèrent depuis le toit du temple.

Sitou Rinpoché et Gyaltsab Rinpoché étaient revenus de leur voyage de cinq jours. Les trônes ont été érigés et des haut-parleurs installés dans la cour du monastère ; les serviteurs et aides des Rinpochés s’affairaient. On annonça partout que les deux détenteurs de lignée allaient faire une annonce importante. Il était évident qu’il n’y avait pas dans la cour de siège pour Shamar Rinpoché, comme si le Régent principal ne comptait plus désormais.

Quand les moines, les gens du village, les Occidentaux ainsi qu’un grand nombre de personnes étrangères à Rumtek, furent réunis devant le monastère, Sitoupa et Gyaltsabpa apparurent d’une petite porte. Sans même remarquer que le Régent senior manquait, Sitou Rinpoché se racla la gorge et commença un discours d’une heure en tibétain. Quand il eut fini, ses derniers mots furent salués d'une salve d'applaudissements. Les acclamations venaient particulièrement des nombreuses personnes étrangères à Rumtek, qui continuaient d’arriver. Gyaltsab délivra quelques phrases personnelles et peu de temps après, Sitou Rinpoché revenait avec un microphone dans la main, parlant cette fois en anglais.

Sitoupa recule sur les lettres de prédiction trouvées en 86

Il commença en déclarant que tous deux -Gyaltsab et lui-même- avaient sérieusement réfléchi sur le fait de savoir s’ils devaient vraiment parler, mais puisque Shamarpa Rinpoché l’avait déjà fait, alors ils estimaient qu'ils ne violaient aucun accord en le faisant eux aussi.

Depuis que Sa Sainteté était décédée en 1981, les quatre Régents avaient, avec dévouement, cherché les instructions écrites de leur gourou concernant sa nouvelle incarnation. Ils étaient persuadés que Karmapa avait laissé une lettre et l'avaient inlassablement cherchée en tous les lieux possibles. Comme les années passaient et que la lettre n'était pas apparue, ils s’inquiétaient de savoir que dire aux autres. Un jour ils ont trouvèrent par hasard un gau (boite à reliques) particulier, ayant appartenu à Sa Sainteté ; ils le posèrent sur l'autel et déclarèrent calmement qu'ils avaient trouvé la lettre de prédiction à l’intérieur. Face à la gêne de voir les gens se prosterner devant une boîte vide, ils décidèrent de placer un des textes de Karmapa, une poésie ou quelque chose de spirituel dans le gau. Gyaltsab Rinpoché connaissait une prière de méditation de quatre vers que Sa Sainteté avait composée à sa demande. Jamgueun Kongtrul l’écrivit et les quatre Régents la mirent dans la boîte à relique.

Sitou Rinpoché fit une pause pour que ses auditeurs réalisent les implications de ses mots. Les Européens se regardaient avec incrédulité. C'était donc ça, la célèbre lettre de Karmapa qu’avec beaucoup de cérémonie, les Régents avaient annoncé avoir trouvé en 1986. Ils s'étaient simplement souvenus d’une poésie, l'avaient copiée et l'avaient placée dans une boîte. Les détenteurs de lignée avaient affirmé avoir découvert deux lettres, une à l’intérieur de l'autre, "poupée russe" comme Sitou Rinpoché l'avait appelée en ce temps-là.

Par la suite, ils avaient engagé le petit monde Kagyu dans des rites scrupuleux et des récitations de mantras sans fin pour permettre l’ouverture de la deuxième lettre. Néanmoins, tout était le fruit de leur imagination. La première comme la deuxième lettre n'avait jamais existé. Durant toutes ces années, ils avaient juste caché une feuille écrite de la main de Jamgueun Kongtrul.

Aujourd'hui, Sitou Rinpoché excusait ces actes comme noblement motivés par le résultat de leur frustration dans la recherche du texte réel et de leur désir de calmer les disciples du Karmapa. À ce moment, les disciples du Karmapa étaient loin d'être calmes et allaient bientôt exiger une explication plus convaincante. Les assurances de Sitou leur semblaient tout à fait vides et les Occidentaux choqués ne savaient ni qui ni quoi croire désormais.

Sitoupa parle de la lettre qu’il a trouvée

Indifférent aux visages déconcertés autour de lui, Sitoupa continua son discours.

Il poursuivit sa description de ces jours de 1989, quand il s'est rendu compte que pendant huit longues années, il avait porté les instructions véritables de Karmapa sur lui. Il s'est souvenu de ses efforts incessants dans le but d'organiser une réunion avec les trois autres Régents et comment il a finalement obtenu leur présence à Delhi. Toutefois, la capitale indienne affairée semblait un emplacement peu convenable. A regret, il a estimé qu'il devait rester silencieux, pensant que Rumtek était la place appropriée pour révéler des nouvelles si importantes et proposa ainsi aux quatre régents de se rassembler au siège du Karmapa. Avec respect, il a informé les trois autres Régents qu'il arriverait au Sikkim le 19 mars et leur a demandé d'être présents.

Sitoupa partagea alors avec son auditoire les détails de leur réunion de mars. Avec un large sourire, il divulgua comment les Régents se sont réjouis à la vue de la sainte lettre, comment, avec les larmes aux yeux, Gyaltsab et le défunt Jamgueun Kongtrul avaient interprété à maintes reprises les détails du texte. Ils ont convenu que Jamgueun Rinpoché serait responsable de la recherche. Ils ont aussi décidé d'enlever la prière à quatre lignes qu'ils avaient secrètement placée dans la boite à reliques six ans auparavant.

À part les disciples de Sitoupa, la plupart des Occidentaux ne pouvaient pas cacher leur malaise. Non seulement il n’était pas une seule fois fait mention de Shamar Rinpoché, mais en plus l'éminent orateur se donnait évidemment tout le crédit du succès qu’il croyait achevé. Il laissa prétentieusement croire que durant toutes ces années, il avait été le seul qui avait insisté pour une réunion des quatre lamas. Son compte rendu de leur conférence de mars différait étonnamment de ce que Shamarpa avait dit seulement quelques jours auparavant. Si on devait croire les mots de Sitoupa, le Régent senior devait être devenu muet pendant leur rencontre et, s’il avait vraiment été là, il devait probablement se cacher dans un placard, car il avait complètement disparu de l'histoire de Sitou. Il n'y avait pas la moindre allusion au fait que deux des Régents et le secrétaire général, avaient fait des réserves sur la lettre de prédiction.

Nullement dérangé par de telles contradictions, Sitou Rinpoché continua laborieusement son histoire. Il était venu à Rumtek le 5 mai pour prier le défunt Jamgueun Kongtrul. Son projet était de s’entretenir avec les deux autres régents de leurs actions futures.

Sitou Rinpoché reconnut humblement que les obligations de Shamarpa, parti aux USA pour enseigner le dharma, ont présenté un obstacle sérieux à leurs plans, mais il respectait ces obligations et, de concert avec Gyaltsab Rinpoché, ils ont pris sur leurs épaules la responsabilité de trouver le 17ème Karmapa. Dans l’impossibilité d’attendre le retour du Régent principal, ils ont été forcés de progresser sans lui. Maintenant, en raison des efforts résolus de lui-même et Gyaltsab, leurs représentants, Akong Rinpoché et Sherab Tharchin, étaient sur le point de ramener l'incarnation de Sa Sainteté à Tsurphou.

De nouveau les auditeurs ne pouvaient se défaire l'impression que Sitoupa n’était pas franc. Son affirmation qu'il ne pouvait attendre le retour de Shamarpa impliquait que le Régent senior était plus intéressé par ses grands voyages que par la recherche du nouveau Karmapa. Chacun se demandait pourquoi Sitoupa n'avait simplement pas essayé de lui téléphoner. Les téléphones existaient en Inde et même Rumtek était maintenant relié au monde par des lignes téléphoniques. Sitoupa avait exclu le Régent principal de l'annonce qui s'ensuivit à Rumtek et de la recherche du Karmapa lancée au Tibet, et cela ressemblait à un plan consciemment mis au point, plutôt qu’au résultat de circonstances défavorables.

En observant Tai Sitou, avec un sourire poli et soigneusement étudié sur son visage, certaines personnes se sont demandé si c'était bien une confession honnête et non pas, par hasard, une représentation théâtrale froide et calculée.

A ce moment, un serviteur anxieux, traînant un solide fauteuil, apparut dans la cour. Tout en sueur, il pénétra l’épaisse multitude et avec difficulté progressa vers l’avant scène.

Une fois atteint les trônes des Rinpochés, il déposa, avec soulagement le fauteuil sur le sol, et chuchota quelques mots à l'oreille de Sitoupa. Tai Sitou sembla hésitant un instant, mais se repris immédiatement et fixa la foule. Il était clair qu'un visiteur éminent venait juste d’être annoncé.

Puisqu’une seule personne cruciale était absente, il ne fallut pas longtemps pour deviner que la chaise avait été apportée pour Kunzig Shamarpa.

Discours de Sitoupa interrompu par Shamarpa

On a entendu une effervescence à l'entrée de la cour du monastère. La tête haute et un défi dans le regard, Shamarpa entra à grands pas dans la cour. Un moine courant devant lui frayait un passage dans la foule épaisse. Soudain une jeep pleine de soldats entra à vive allure, par les portes de la cour et s'immobilisa dans un crissement de pneus directement devant un groupe de ces visiteurs étrangers à Rumtek. Six hommes armés en ont sauté et sans prêter beaucoup d'attention aux protestations fortes des spectateurs, ont suivi Shamarpa dans la foule.

Quand Sitou et Gyaltsab ont vu le Régent senior avec six soldats marchant derrière lui, ils devinrent blancs, ont sauté en bas de leurs trônes et se sont précipités vers le monastère sans cérémonie. Le spectacle peu commun de hautes éminences, à l’évidence terrifiées, soutenant leurs robes, et fuyant devant leur Régent senior et un groupe de soldats indiens, était en effet amusant, mais personne n'eut envie de rire.

Les gens se sont rendu compte qu'ils voyaient quelque chose de plus dramatique que des lamas faisant leur jogging quotidien. Cette fuite inexplicable a subitement mis les Khampas dans une humeur combative. Comme s’il attendait un prétexte, le groupe qui était arrivé dans Rumtek quelques heures auparavant commença à hurler contre Shamarpa.

Ayant atteint la protection du monastère, les Rinpochés filèrent devant leurs serviteurs déconcertés et sans le moindre mot d'explication, rejoignirent leurs appartements respectifs. Verrouillant les portes, ils sont restés à l'intérieur. Shamarpa était autant stupéfié que les deux lamas semblaient effrayés. Il les suivit dans le bâtiment, à une allure plus digne, et arrivant devant leurs portes, les appela d’une voix forte. Les portes restèrent fermées et pas un seul son n'en sortit ; on pouvait presque entendre une mouche voler.

Ensuite, les domestiques s'étant manifestés, ils bloquaient ostensiblement l’accès aux pièces des Rinpochés. Shamarpa en conclut que leur fuite devait avoir laissé ses pairs entièrement indisposés pour les pourparlers qu'il avait projeté et comme des personnes plus hostiles continuaient à affluer dans les couloirs, il a sagement décidé de sortir. Loyalement, les soldats marchaient à grands pas derrière lui.

Confusion au monastère de Rumtek

Pendant ce temps, l'atmosphère à l'extérieur tournait au vinaigre. La tension des jours derniers avait finalement éclaté. Les gens criaient et couraient dans toutes les directions. Des bagarres entre les moines de Sitoupa et les moines de Rumtek éclatèrent.

Le groupe tapageur de tibétains, clairement amenés dans Rumtek pour l'occasion, promettait agressivement d'en finir avec tous les ennemis du Karmapa. Les Occidentaux, certains visiblement choqués, demandaient aux tibétains de se calmer. Tsultrim Namgyal, le loyal serviteur du 16ème Karmapa, était assis sur les marches du temple, saignant de la tête. Finalement, les soldats commencèrent à rétablir l'ordre. Les Khampas les plus indisciplinés furent refoulés vers leurs bus garés à l'extérieur de la cour, et on leur expliqua fermement que s'ils ne se calmaient pas, ils ne profiteraient pas du confort de leurs bus cette nuit là. Après un moment, un silence sinistre s'établit.

Les gens se regardaient fixement sans réagir, incapables de comprendre ce qui était vraiment arrivé.

La version de Shamarpa concernant son arrivée à Rumtek

La tentative manquèe de Shamar Rinpoché de se joindre à la réunion et de parler aux deux autres Régents provoqua une sainte colère au Sikkim. Les partisans de Sitoupa continuaient leurs attaques. Leurs récits allaient jusqu'à dépeindre un Shamarpa devenu fou, guidant l'assaut brutal d'une division de l'Armée indienne sur le monastère. Des témoins se manifestèrent jurant avoir vu le Régent senior attaquer les deux Régents d'une manière invraisemblable et donner à ses soldats l'ordre de raser le temple jusqu'au sol. Seule la réponse calme mais ferme de Tai Sitou et Gyaltsab avait évité la tragédie. Bouches bées, les Tibétains du Sikkim et de Katmandu écoutaient et répétaient ces insanités jusqu'à tous croire que le Régent principal était un voyou décidé à chasser tout le monde hors de Rumtek

La vérité, cependant était moins spectaculaire. Dans la nuit du 11 juin, précédant le retour de Sitoupa et Gyaltsabpa de Dharamsala, Shamar Rinpoché reçut un appel du responsable local de l'armée indienne. Le Colonel commandant informa le Régent que des bus entiers de tibétains ivres arrivant de Katmandu, venaient de traverser la frontière de l'Inde à Kakarvita et se dirigeaient apparemment vers Rumtek. Il a alors offert la protection de l'armée au cas où les Khampas projetteraient quelque action violente. Shamarpa pensa raisonnable d'accepter l'offre du Colonel. Il connaissait bien le genre de types décrits par l'officier et pouvait presque voir la scène dans Katmandu. Ayant réveillé leur humeur belliqueuse avec une forte quantité de bière, les intrépides Khampas étaient montés dans leurs bus et, encouragés par des cris guerriers, étaient partis vers la frontière, prêts à vaincre le monde. D'habitude, ces grands serments n'avaient aucune conséquence et les héros d'opérette s'apaiseraient dans un juste et profond sommeil réparateur, mais ils pouvaient toujours créer des perturbations.

Les soldats arrivèrent dans Rumtek la nuit même. Il y avait seulement une poignée d'hommes en uniformes usés et avec des fusils attachés à leurs ceintures comme pour éviter de se les faire voler. Même avec beaucoup d'imagination, il était difficile de les voir menacer qui que ce soit. C'est d’ailleurs resté un mystère de savoir pourquoi se sont les soldats de l'Armée indienne et non les hommes de la police locale du Sikkim qui ont été envoyés à Rumtek. Plus tard, ce fait allait être exploité contre Shamarpa par ses ennemis. Le Sikkim étant une région autonome de l'Inde, Gangtok, sa capitale, avait juridiction politique et militaire sur Rumtek et non pas Delhi. C'étaient donc des troupes Sikkimaises qui auraient du être déployées au siège de Karmapa.

Quand les deux Régents sont revenus de Dharamsala le 12 juin, ils trouvèrent Rumtek dans un état d'agitation. Shamarpa était revenu d'Amérique et leur succès durement acquis était menacé. Il leur fallait contre-attaquer immédiatement. Leur meilleure arme était la lettre d'approbation du Dalaï-lama. Ils étaient sûrs qu'avec le document de valeur dans leurs mains, rien ne pourrait mal tourner.

Assis dans sa maison à environ 800 m. du monastère, Shamarpa entendit les conques, les bus et le bruit. Bientôt des membres de l'administration de Rumtek vinrent le supplier. Sitoupa parlait aux gens dans la cour du temple. Il annonçait que le Dalaï-lama avait reconnu son Karmapa. "Rinpoché, vous devez venir," ont-ils insisté. Le Régent senior voulait éviter une confrontation publique. Dans son discours et dans sa déclaration des jours précédents, il avait laissé la porte ouverte. Il avait toujours des espoirs pour une solution raisonnée. Après tout, ils ne pouvaient pas juste ignorer complètement sa parole. Il réalisa, cependant que c'était exactement ce que les deux autres Régents faisaient. À contrecœur, il monta dans sa Land-Rover et dit à son conducteur d'y aller. Immédiatement, les soldats suivirent dans leur propre jeep. Ils obéissaient aux stricts ordres d'accompagner partout le Régent senior.

Version de Sitou Rinpoché

Shamar Rinpoché est arrivé avec un groupe de soldats armés jusqu’aux dents, affirmant être du Régiment de Kumaon de l'Armée indienne, pour intimider Gyaltsab Rinpoché, moi-même et tous ceux qui étaient présents. Quelques hauts fonctionnaires du gouvernement du Sikkim, comme le Commissaire permanent du Sikkim à New Delhi, ont même discuté avec ces soldats et leur ont demandé de ne pas entrer avec armes et chaussures dans la salle des reliques du monastère, mais ils ont ignoré ces demandes et ont pris d'assaut un édifice religieux contre un public complètement désarmé, sans aucune provocation ou raison.

Cela a abouti à un trouble sérieux de la paix et à des blessures sévères pour un public innocent. A la suite de cela, le gouvernement du Sikkim a été obligé de déployer la police et le CRPF (une force paramilitaire) au monastère pour maintenir l'ordre public. Il est incompréhensible que Shamar Rinpoché, un étranger, ait pu amener des troupes armées dans un monastère, en l'absence de l'approbation du gouvernement de l'Etat concerné, à savoir le Sikkim.

Explication de la présence de l’armée indienne

En fait, sentant venir les ennuis, Tobga Yugyal avait informé sa femme (la tante du Roi du Bhutan) de l'éventualité de menaces sur la vie de Shamar Rinpoché, suite à la présence de Khampas agressifs, qui avaient été convoqués du Népal en nombre assez considérable. La femme de Tobga demanda l'aide de son neveu (le Roi du Bhutan). Le Roi, dont les ancêtres avait toujours soutenu le Karmapa, à son tour, fit une demande à l'Ambassadeur indien au Bhutan. Le Gouvernement de l'Inde accéda à la demande du Roi du Bhutan. Cependant, en raison du manque de temps, on ordonna au contingent le plus proche de l'armée indienne de se précipiter pour aider Shamar Rinpoché. Le gouvernement du Sikkim n'avait pas été mis au courant parce qu'il prenait manifestement parti dans la dissension.

De plus, le Gouvernement de l'Inde ne pouvait pas rester un simple spectateur dans ce drame orchestré en sous-main par la Chine qui, pas plus tard qu’en 1962, avait occupé des territoires indiens par une action armée.

Conséquences de l’intervention Indienne à Rumtek

Dans les jours suivants, Rumtek s'installa dans un équilibre instable. L'armée indienne s'est retirée et la police Sikkimaise prit sa place. Les moines du monastère poursuivirent les rituels pour Jamgueun Kongtrul tandis que les moines de Sitoupa continuaient à se comporter comme si le siège du Karmapa était juste une annexe de Sherab Ling, leur monastère dans l'Himachal Pradesh.

Les administrateurs et Tsultrim Namgyal avec sa famille soutenaient fermement le Régent senior, mais ont vu rapidement le sol se dérober sous leurs pieds. Tobga, ayant reçu des menaces de mort, a dû quitter le Sikkim, puisque le gouvernement du Premier ministre Bhandari déclara qu'il ne pouvait pas garantir sa sécurité. Poenlop et Sangye Nyenpa, deux lamas importants de Rumtek, commencèrent à traiter leur Régent senior avec une indifférence hostile. Le village de Rumtek et la ville de Gangtok résonnaient de commérages hallucinants. Shamar Rinpoché était sur toutes lèvres.

Les rumeurs absurdes jouaient sur la fierté des Sikkimais. C'étaient des soldats indiens et non Sikkimais qui étaient apparu avec Shamarpa à la réunion. En exploitant ce fait, le parti dirigeant de Bhandari appela à la grève par tous les moyens, amenant pour le 13 juin 1992 un arrêt complet de la vie normale dans cette enclave de l'Himalaya. Ce fut le jour de gloire de la presse officielle de Gangtok. "Le principal ecclésiastique de Rumtek et l’Armée indienne occupent le monastère," annoncèrent les titres. Le Premier ministre ne resta pas inactif. En exprimant être choqué, il s’engagea d'examiner à fond cette violation délibérée des libertés religieuses. "L'ordre public sera rétabli", promit-il. Avec l'aide active du ministre, la campagne de Sitou Rinpoché contre son rival atteignait une dimension nationale.

Les deux Régents, indisposés après la rencontre avec Shamarpa et ses soldats, étaient tous deux couchés. On se demandait pourquoi les deux étaient honteusement partis en courant en voyant Kunzig Shamarpa à la tête d'un groupe de recrues indiennes. C'était une réaction peu commune, qui soulevait les soupçons, comme si les deux se sentaient coupables de quelque chose. Après tout, des soldats assistants aux événements officiels étaient une chose très commune en Inde. Il était aussi difficile d'imaginer que des soldats de l'armée indienne d'habitude désordonnés, peu combatifs, pouvaient constituer une menace à la sécurité pendant une cérémonie officielle, particulièrement pour celui qui présidait une telle cérémonie.

Il se trouva, cependant que la vue d'hommes en uniforme avait rendu les Rinpochés agités et anormalement nerveux. La façade d'assurance qu'ils avaient maintenue à la réunion s'est envolée en fumée.

La grève générale des Sikkimais du 13 juin 92

Le 14 juin, deux jours après la violente confrontation dans Rumtek, la grève générale adoptée au Sikkim en protestation de la présence de l'armée indienne dans la région autonome fut levée.

Les routes furent dégagées, les services publics rétablis et un grand groupe de lamas retenus aux frontières du Sikkim purent passer. Ils venaient tous pour les derniers jours de cérémonies pour le défunt Jamgueun Kongtrul. Les Rinpochés Kagyu les plus en vue se réunissaient au siège de Karmapa : Berou Kyentse, Bokar, Thrangu et d'autres. Bien décidé désormais à ne pas provoquer des frictions, Shamarpa resta prudemment dans sa maison. Le Régent senior était rendu responsable du moindre malheur qui frappait la petite communauté depuis que Rumtek avait été fondée en 1961. Les gens refusaient de voir qu'il était, en réalité, la victime. Tsultrim Namgyal, chez lui, se remettait de ses blessures à la tête. Un de ses frères n'avait pas montré la retenue de Shamarpa et avait envoyé ses deux assaillants à l'hôpital. La nuit même, il s'était retrouvé en prison. Les moines de Rumtek essayèrent de rester neutres mais ils étaient soumis à l'intense pression psychologique et bientôt physique des sbires de Sitoupa pour reconnaître leur Karmapa.

Le 15 juin, le Kudung -corps momifié- de Jamgueun Kongtrul fut transporté du monastère dans le hall principal de l'institut et, au milieu de beaucoup de bousculades, à la mode tibétaine habituelle, les cérémonies finales commencèrent.

Le jour suivant Sitoupa et Gyaltsab poursuivirent leur offensive.

Journées du 16 et 17 juin 92

Campagne de pétitions menée par Sitoupa

Pendant les pujas du 16 juin, tandis que tous les Rinpochés étaient assis en longues rangées récitant leurs prières, deux lettres circulèrent dans leurs rangs. La première, adressée à tous les lamas et les disciples de la lignée, était une acceptation inconditionnelle de la lettre de prédiction de Sitoupa. Elle reconnaissait que le 17ème Karmapa avait été trouvé conformément aux instructions du testament sacré, avait été confirmé par le Dalaï-lama, et qu'il serait amené à Tsurphou et quelque temps plus tard installé sur son trône à Rumtek. La lettre mentionnait aussi la vision sainte que le Dalaï-lama avait eu, nouvelle preuve de l'authenticité de ce choix. La deuxième lettre était une expression de la gratitude la plus profonde envers le leader tibétain suprême pour avoir confirmé la dix-septième incarnation de Karmapa. Après avoir placé leurs signatures sur les deux documents, Sitoupa et Gyaltsabpa les ont passés aux autres Rinpochés. Il était clair que chaque éminent lama se devait de signer sans sourciller.

Aucun tibétain n'oserait jamais aller à l'encontre de leur plus haut leader politique et les deux Rinpochés savaient très bien que, ayant obtenu la confirmation du Dalaï-lama, le reste suivrait automatiquement. Aussi, en voulant rassembler les signatures pendant les principales pujas pour le défunt Jamgueun Kongtrul, Sitou et Gyaltsab exerçaient en fait une forme de pression collective sur les Rinpochés. Il était difficile d'imaginer qu'au milieu de la cérémonie sainte quelques lamas se lèveraient courageusement et refuseraient de signer, même s'ils avaient des doutes sur le choix de Sitoupa. Certainement aucun ne se rebellerait, particulièrement après avoir observé son voisin mettant avec obéissance son nom sur les documents. Quiconque aurait envisagé, pour un instant, le plus léger défi, se serait certainement calmé à la pensée du Dalaï-lama donnant sa bénédiction à la totalité de la démarche. Après tout, les moines les plus vénérables n'étaient pas des hommes d'armes et préféraient de beaucoup trottiner derrière le pouvoir et les titres que de combattre pour quelques principes incertains.

Quant à la décision originale de rassembler des signatures pour certifier l'authenticité de Karmapa, elle était aussi une innovation douteuse. Les deux détenteurs de lignée auraient pu rassembler des milliers de noms, mêmes célèbres, cela n'aurait en rien amélioré l'authenticité de leur candidat en tant que Karmapa. Jusqu'ici les procédures pour identifier une réincarnation n'avaient jamais fait appel aux signatures populaires pour déterminer l'exactitude d'un choix donné. Sans aucun doute, les deux Régents devaient s'être sentis sur un terrain fragile et ont eu besoin de signatures pour crédibiliser leur revendication et obtenir des soutiens.

On ignore ce que les lamas eux-mêmes ont vraiment pensé. S'ils étaient incapables de voir les machinations des deux Régents, ils apparaîtraient finalement comme honnêtes, bien que plutôt stupides, manquant complètement de jugement. Si, part contre, ils donnaient leur approbation tout en étant conscients ou en soupçonnant la fraude, cela les ferait passer pour des opportunistes ou des faibles, incapables d'adopter une position ferme pour soutenir la vérité.

Une fois les lettres décorées des noms distingués, le préposé de Sitoupa les empocha et immédiatement disparut de la salle des reliques. Les autographes des éminents maîtres Kagyu étaient proprement alignés au bas de chaque page : Sitou Rinpoché, Gyaltsab Rinpoché, Berou Kyentse Rinpoché, Bokar Tulkou, Thrangu Rinpoché, Poenlop Rinpoché, Sangye Nyenpa Rinpoché, Chokyi Nyima Rinpoché et beaucoup d'autres. Deux signatures manquaient. C’est celles qui auraient du être en tête de n'importe quelle déclaration officielle sortant du siège principal de Karmapa : celles de Shamarpa et de Tobga.

Il y avait, cependant, un petit détail qui semblait avoir échappé à l'attention de Sitoupa, puisqu'il ne s'est pas donné la peine de le mentionner à cette réunion. L'acceptation tant vantée du Dalaï-lama n'était juste que des mots prononcés au téléphone depuis le Brésil et transcrits à la hâte par son secrétaire à Dharamsala tard dans la nuit. Il manquait l'identification formelle qui n'arrivera pas avant le 29 juin. Un document approprié sera finalement publié le 3 juillet par le Ministère des Affaires Etrangères du Gouvernement tibétain. Les Rinpochés, sciemment ou pas, se prosternaient devant une feuille sans valeur.

Annonce de l’arrivée du Karmapa à Tsurphou

Cette même soirée Sitoupa et Gyaltsab annoncèrent qu'Orgyen Trinley le 17ème Karmapa était arrivé le jour précédent à Tsurphou, le siège principal de Sa Sainteté au Tibet. On ordonna aux moines de Rumtek et aux maîtres de rituels de sonner la conque et de se préparer pour une cérémonie officielle le lendemain matin. Tous les autres devaient être présents au lever du soleil pour offrir des écharpes blanches (NdT: katas) sur le trône du Karmapa.

Les merveilleuses nouvelles proclamées par les deux Régents semblaient plutôt manquer de dignité. On intimidait les gens, on les forçait à signer des pétitions, certains avaient même été battus. Etait-ce là la façon dont Sa Sainteté souhaitait revenir ? Quand les moines de Rumtek demandèrent conseil à Shamarpa il leur dit de suivre leurs cœurs. Tard cette nuit-là, les moines seniors du monastère quittèrent secrètement Rumtek. Essayant de ne pas prendre parti dans la controverse, ils se réfugièrent à Gangtok. Sitoupa devrait se débrouiller sans leurs gyalings et leurs tambours ; ils ne suivraient pas aveuglément ses ordres.

Le matin suivant, les gens découvrirent que les principaux maîtres de rituels avaient tout bonnement disparu. Finalement, après beaucoup de confusion, les cérémonies commencèrent. Toutefois, tout ceci paraissait dérisoire, certainement pas placé sous les meilleurs auspices pour Orgyen Trinley.

Médiation de Tulkou Orgyen entre Shamarpa et Sitoupa

Le jour précédant les pujas, le 15 juin, Lopon Tsechu et Orgyen Tulkou Rinpoché arrivèrent de Katmandu pour servir de médiateurs dans la discussion entre les régents.

Tous les tenaient en haute estime, ayant été tous les deux des proches du 16ème Karmapa. Orgyen Tulkou Rinpoché avait été aussi le maître des quatre détenteurs de lignée. Les grands lamas présents à Rumtek voulaient à tout prix résoudre le désaccord, mais incapables de prendre position clairement, ils ne pouvaient pas faire grand chose.

Orgyen Tulkou conversa d'abord avec les deux détenteurs de lignée Sitoupa et Gyalsab Tulkou durant plusieurs heures. Puis, sortant de leurs appartements il se dirigea directement vers la maison de Shamarpa. Il se mit alors à faire pression sur le Régent senior pour céder. "Rinpoché vous devait accepter la lettre et retirer la demande d'expertise," a-t-il plaidé. Le vieux lama décrivit alors un tableau horrible du sang versé au Tibet et à Katmandu si le Rinpoché persévérait dans sa démarche. De plus, Sa Sainteté le Dalaï-lama avait déjà donné son authentification. Ils ne pouvaient pas s'opposer au Dalaï-lama. Et plus que tout, Shamarpa ne put supporter la vue du Rinpoché distingué qui, avec les larmes aux yeux, se prosternait devant lui, l'implorant de revenir à la raison. Après tout, Orgyen Tulkou était son aîné et son maître.

Le jour suivant, le vénérable lama revint à la charge. Sitou Rinpoché était assis dans sa chambre, affligé, en pleurs. Comme Shamarpa l'admit plus tard en France, c'était la vision de son pair, seul dans ses quartiers, en larmes, qui brisa sa détermination. Il craignait également que si la lettre était soumise à une expertise, Tai Sitoupa pourrait bien finir en prison pour contrefaçon. Il s'inclina finalement et accepta les supplications d'Orgyen Tulkou.

Jusqu'où les larmes de Sitoupa étaient sincères, Kunzig Shamarpa allait le découvrir très rapidement. Orgyen Tulkou négocia une réunion entre les deux pour le 17 juin dans les appartements privés du Karmapa au rez-de-chaussée du monastère. Shamarpa insista pour que Gyaltsab Rinpoché ne soit pas présent. Le Régent senior se souvenait des qualificatifs désagréables que Gyaltsab avaient lancé sur le Dalaï-lama au temps où une scission s'était manifestée entre le leader politique tibétain et le 16ème Karmapa. Le jeune Gyaltsabpa était à cette époque le plus passionné et le plus virulent à l'encontre du Dalaï-lama. Mais son style outrageant causa alors du tort à Rumtek et tous lui demandèrent de mesurer ses propos. Maintenant, dans un brusque changement d'avis, le même Gyaltsab se cachait très commodément derrière le saint nom du Dalaï-lama. Instinctivement, Shamarpa se méfiait d'un tel manque d'intégrité.

Rencontre de Shamarpa et de Tai Sitou

En montant les marches du temple, Shamar Rinpoché remarqua à nouveau une grande assemblée de Khampas et de moines de Sherab Ling, installés dans le couloir, l'air provocateur. Leur comportement agressif et leurs remarques désagréables devenaient une chose fréquente à Rumtek. Il traversa rapidement les groupes d'individus hostiles et arriva, sans heurt, dans la pièce du Karmapa. Tai Sitou était déjà là. Les deux détenteurs de lignée s'isolèrent à l'intérieur, mais par les fenêtres étaient laissées ouvertes, ils pouvaient clairement entendre l'assemblée bruyante à l'extérieur. Shamar Rinpoché mit tout sur la table : les onze ans de rumeurs et diffamations, la campagne de haine contre Tobga et lui-même, la tentative échouée de le traîner en justice et les récentes démarches illégales. De façon surprenante, Sitoupa semblait être d'accord avec le raisonnement de son pair.

Shamarpa signe la reconnaissance du Karmapa de Sitoupa

Finalement, après que Shamarpa eut épuisé ses récriminations, le temps était venu de signer. Orgyen Tulkou fut appelé comme témoin. Cependant, alors que le Régent senior était sur le point de donner son accord écrit sur Orgyen Trinley, soudain, un ancien ministre du gouvernement de Dharamsala entra précipitamment dans la pièce. Autrefois, lors du vivant du 16ème Karmapa, le personnage en question était devenu célèbre pour s'être opposé vivement à Sa Sainteté. Maintenant, dans un nouveau rôle, il venait donner des leçons à Shamar Rinpoché sur sa tiède dévotion pour son lama, et sur les conséquences de ses actes insensés. Shamarpa reposa son stylo, saisit le document et était sur le point de le déchirer, quand il vit les yeux d'Orgyen Tulkou. Le vieux lama le supplia de s'arrêter. Sitoupa également, demanda humblement, les mains jointes, "S'il vous plaît, Rinpoché, ne faites pas cela". Le Régent senior reposa le papier et, comme s'il voulait d'en finir une fois pour toutes avec cette situation, il signa frénétiquement la lettre reconnaissant - conformément à la décision du Dalaï-lama - Orgyen Trinley comme 17ème Karmapa. De ce fait, il suspendait sa demande d'une expertise de la lettre.

A propos de cette lettre signée par Shamarpa, rédigée en tibétain, des traductions douteuses ont été faites par les disciples de Sitou Rinpoché et circulent partout dans le monde, altèrant totalement le sens de ce qu’a signé Shamarpa. Voici la traduction française des deux versions :

1- Traduction par les supporters de Sitou Rinpoché :

Le 19 mars 1992, Taï Sitou Rinpoché, Jamgueun Kongtrul Rinpoché, Gyaltsab Rinpoché et moi-même avons tenu une réunion pendant laquelle Taï Sitou Rinpoché nous a montré la lettre de prophétie écrite de la main de Sa Sainteté, le testament sacré, que Sitou Rinpoché avait trouvé dans son talisman de protection. Au moment de cette présentation, un doute léger s'est élevé dans mon esprit ; maintenant néanmoins, je fais totalement confiance à Sitou Rinpoché et au contenu de la lettre, selon laquelle la réincarnation a définitivement été découverte et confirmée d’ailleurs par Sa Sainteté le Dalaï lama comme étant l'incarnation de Sa Sainteté le Gyalwang Karmapa.

J'accorde mon consentement et ne vais donc pas engager de recherches supplémentaires pour examiner le testament sacré, etc.

Shamarpa.

Attesté par Tulkou Orgyen Rinpoché.

Traduction du tibétain en anglais par Michèle Martin. Traduction de l’anglais en français par le bureau de presse européen du 17ème Gyalwa Karmapa Trinley Thayé Dorjé.

2- Traduction autorisée par Shamar Rinpoché :

Le 19 mars 1992, lors d'une réunion avec Jamgueun Kongtrul Rinpoché, Gyaltsab Rinpoché et moi-même, Sitou Rinpoché nous a présenté une lettre de prédiction manuscrite trouvée dans son amulette de protection, affirmant qu’il s’agissait des instructions écrites de Sa Sainteté le 16ème Karmapa (indiquant sa réincarnation). J'ai eu quelques doutes (quant à l'authenticité de la lettre).

Aujourd'hui, je fais confiance à Sitou Rinpoché (pour me donner une information exacte concernant la décision de S.S. le Dalaï Lama). Me fiant à notre discussion confidentielle, je me rallie à la décision de Sa Sainteté le Dalaï Lama de reconnaître qu'une réincarnation a assurément été trouvée, une incarnation de Sa Sainteté le Gyalwa Karmapa.

Par suite, je suspends toute demande d'examen graphologique de la lettre de prédiction manuscrite.

Le 17 juin 1992,

Shamar Chokyi Lodreu

Attesté par Tulkou Orgyen.

Traduction du tibétain en anglais par Anne Excelsius. Traduction de l’anglais en français par le bureau de presse européen du 17ème Gyalwa Karmapa Trinley Thayé Dorjé.

Question à Shamar Rinpoché concernant le rôle du Dalaï Lama

Comment voyez-vous le rôle de Sa Sainteté le Dalaï-Lama dans cette histoire ?

Shamar Rinpoché : Au moment où j’ai moi-même accepté l’incarnation, Sitou Rinpoché m’a fait croire que le Dalaï-Lama avait donné son complet accord, à la suite de sa propre vision. Par respect pour le Dalaï-Lama, j’ai donc accepté.

Beaucoup plus tard je me suis rendu compte qu’on avait fait croire au Dalaï-Lama lui-même que tous les Rinpochés à l’intérieur comme à l’extérieur du Tibet avaient demandé unanimement son accord.

De plus, on lui a dit que l’enfant avait été trouvé au Tibet grâce à la lettre. Mais on ne lui a pas dit que ce n’était pas exactement la même lettre que celle dont nous parlions depuis plusieurs années. Sa Sainteté n’avait aucune raison de penser que nous n’étions pas d’accord.

Ils n’ont pas perdu leur temps. Avant que le Dalaï-Lama ne soit revenu de Rio, en Amérique du sud, l’enfant avait déjà été amené à Tsurphou au Tibet et reconnu officiellement par la Chine. Dans ces conditions il est compréhensible que le Dalaï-Lama ait donné sa confirmation informelle le 7 juin. Plus tard il n’a pas eu d’autre choix que de donner sa confirmation formelle. A ce stade, il ne lui était plus possible de dire que son secrétaire avait fait une erreur ou de se dédire.

Lorsque j’ai rencontré le Dalaï-Lama fin juin, je lui ai dit que je comprenais et acceptais sa position. En même temps, je lui ai dit que je continuerai malgré tout de suivre les instructions reçues d’un très proche disciple du Gyalwa Karmapa, comme je l’ai fait jusqu’à maintenant. L'entrevue s'est très bien passée.

La situation s'apaise

Après que Shamarpa eut signé, une trêve s'établit à Rumtek. Apparemment, pour citer les mots d'Orgyen Tulkou dans son discours du 18 juin, "les Régents avaient atteint un compromis et les obstacles avaient été surmontés." En réalité, le compromis était une acceptation extorquée à Shamarpa ; Sitou et Gyaltsab Rinpochés n'ayant pas cédé d'un pouce. La lettre est restée non expertisée, sous clef au rez-de-chaussée du monastère, sous la garde de la police Sikkimaise.

Beaucoup de questions s’élèvent concernant les implications politiques de la présence d’un Karmapa au Tibet occupé. Il était évident que le garçon deviendrait un pion ou même un otage aux mains des communistes chinois. Le gouvernement de Pékin essayerait de le dresser contre le Dalaï-lama et contre d'autres intérêts tibétains. Ayant hâtivement mit leur confiance dans leurs ennemis communistes, les deux Régents perdraient bientôt le contrôle de leur candidat. Qu'arriverait-il si le Karmapa officiellement choisi demandait, de son propre libre arbitre ou poussé par les Chinois, que la Coiffe Noire et d'autres reliques soient rendues au Tibet ? Comment bloquer ou refuser une telle demande ?