Avant-propos
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Introduction à la controverse des Karmapa
Quelques données historiques
1959 : Le Karmapa s'exile en Inde
Les difficultés au temps du 16ème Karmapa
Les années 80 à 90
Les évènements de 1992
Les évènements de mai et juin 92
Campagne de propagande
Orgyen Trinley, le Karmapa de Sitou Rinpoché
Les événements de novembre et décembre 1992 à Rumtek
Informations concernant le Sikkim
Année 93 : la situation dégénère à Rumtek
Identification du 17ème Karmapa Trinley Thayé Dorje
L’année 1994
La controverse : confrontation des points de vues
Les rapports entre Shamar Rinpoché et le Dalaï-Lama
Survol des événements des années 1994 à 1999
Année 2000
Année 2001
Chronologie des événements
Bibliographie et sources d’informations
Accès pages en anglais
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Quelques données historiques

Présentation de la situation historique du Tibet

Le Karmapa et la lignée Karma Kagyu

Qui est le Karmapa ?

Bref rappel historique de la lignée Karma Kagyu

Liste des dignitaires de la lignée Karma Kagyu
Un bref historique des lignées Karmapa-Shamarpa
Le 14ème Shamarpa, Mipam Chokyi Lodreu

Présentation de la situation historique du Tibet

Pendant des siècles, le Tibet est resté un pays totalement isolé. L'inaccessibilité géographique du pays et le désir véritable de ses habitants d’avoir peu de contacts avec des étrangers ont créé une situation idéale pour la solitude. Lorsque les dynasties chinoises successives ont revendiqué la souveraineté sur leur voisin éloigné, et mis Lhassa sous pression pour se soumettre et accepter leur soutien gracieux, les Tibétains n'ont pas cédé. Malgré les avances pressantes de Pékin, la nation de l'Himalaya a réussi à demeurer en grande partie oubliée par le monde extérieur. Les hordes de Mongols sauvages, qui ont mis à mal le pays au milieu du 17ème siècle, étaient plus un instrument dans les mains d'une faction politique désirant soumettre leurs rivaux intérieurs qu'un vrai agresseur étranger - un instrument dont ils perdirent le contrôle - mais uniquement un instrument consciemment importé par des politiciens dans leur lutte pour le pouvoir. Ainsi, tout au long de l'histoire tibétaine, les envahisseurs étaient rares et le pays est resté aussi isolé au début du 20ème siècle qu’il l’avait été au temps des premières incursions du Bouddhisme dans ce royaume de l'Himalaya, autour de l'année 750. Dans ces conditions, les Tibétains furent capables de préserver durant un millénaire ce que les invasions musulmanes successives avaient méticuleusement détruit en Inde du Nord, il y a environ mille ans : la totalité des enseignements de Bouddha.

Les premiers contacts avec l'Ouest sont arrivés au 19ème siècle quand les empires russes et britanniques, méfiants des intentions de chacun, ont commencé à rivaliser d'influence dans cette région éloignée. Des explorateurs européens rapportèrent des histoires de religieux mystiques, de saints lamas et de gigantesques monastères. Des soldats britanniques avaient des contes moins magiques à partager. Menant, en 1904, une expédition pour vaincre Lhassa, le Colonel Younghusband et sa poignée d'hommes anéantirent presque toute l'armée gouvernementale tibétaine. La puissance militaire des tibétains traînait clairement derrière leurs pouvoirs spirituels.

Après ces premiers contacts, un mélange de spiritistes, de théosophes et autres fantasmèrent sur le saint royaume. Au tournant du 20ème siècle, le public européen était gavé de contes exotiques de yogis se soulevant par lévitation et de traités sur des doctrines spirituelles obscures qui avaient leur origine au Pays des Neiges. Ces récits alimentaient l'imagination des lecteurs, mais n’avaient rien en commun avec les trésors réels que le Tibet gardait. Le pays a été exploité comme une source mystique devenant bientôt synonyme de tout ce qui était surnaturel.

En même temps, un certain nombre d'orientalistes renommés de Scandinavie et de la Russie impériale ont réussi à trouver chemin jusqu'à la ville interdite de Lhassa. Ils ont rencontré une culture riche soutenue par un système religieux unique. Pour la première fois, l'Ouest est entré en contact avec les méthodes complètes du Bouddha. Ces découvertes de scientifiques, cependant, sont restées le domaine exclusif d'une élite universitaire et leur recherche ne s'est pas aventurée au-delà de la sphère de spéculation intellectuelle et scientifique. Pour un impact plus vaste et pratique, l'Europe a dû attendre cinq autres décennies. Ce n'est qu'en 1959, quand les Tibétains ont été brutalement extirpés de leur cocon par les barbares communistes, qu'un contact vrai et durable avec leur culture est devenu possible.

Le temps de la découverte est venu à la fin des années 60, avec les jeunes Occidentaux, partis sur les chemins de Katmandou. Certains de ces jeunes idéalistes étaient partis vers la capitale népalaise pour trouver "les substances" qui pourraient changer la conscience de l'humanité, croyant fermement que les drogues pourraient ouvrir "les portes de la perception" et montrer une vérité suprême à l'humanité. Une fois en Asie, certains eurent la grande chance de rencontrer des maîtres comme le 16ème Karmapa ou d’autres et de changer radicalement de voie pour se tourner vers la recherche intérieure prônée par le Bouddhisme.

Cette rencontre peu commune a bientôt cédé à une période intense d'apprentissage dans l'Himalaya oriental. Ils se sont investis dans les enseignements et les pratiques du Bouddhisme tibétain. Ils allaient finalement accomplir leur vision des années 60. Certains revinrent en Occident en poursuivant leur pratique spirituelle, transmettant la grande sagesse du Bouddhisme en Occident. La force agissante derrière l'accomplissement de ce rêve était leur dévotion pour leur lama, une dévotion qui a été étendue au départ à tous les Tibétains. Toute personne avec des origines tibétaines était considérée comme hautement spirituelle, et l’on a cru que chaque Tibétain était un yogi ou un maître et chaque tête rasée portant une robe était à demi éveillé. C'était cette vision pure qui a poussé les Occidentaux idéalistes à croire que Shangri La - le Graal de la génération des années 60 - était à sa portée.

D'autres, qui ont sauté en marche dans le train tibétain durant les années suivantes, ont entretenu la sainte vision avec beaucoup d'enthousiasme et peu d’esprit critique, compensant par l'ardeur de la foi ce qui leur manquait dans la connaissance de la transmission réelle.

Le vieux Tibet était considéré avec grande vénération comme le paradis sur terre. Tout ce qui venait d’avant l’invasion chinoise et qui portait le cachet tibétain était vénéré et idéalisé. C'était une réponse noble aux atrocités communistes et à la propagande chinoise hystérique qui avait dépeint le pays vaincu comme un système féodal, arriéré, opprimant la société. En conséquence, tout ce qui était tibétain était saint et cette notion est devenue le cri de ralliement unanime d'une première génération de bouddhistes tibétains en Occident. Ces jeunes pleins d’espoirs ont embrassé le Bouddhisme tibétain autant qu'ils ont embrassé le pays du Tibet. Personne n'a voulu être du côté des agresseurs communistes et les Tibétains, ayant fait l’expérience de l'indifférence des politiciens mondiaux aux temps où ils en avaient besoin, ont profité de l'attention soutenue d'idéalistes occidentaux.

Après les décennies d'indifférence officielle, finalement, les champions de la cause tibétaine ont vu leur lutte reconnue. Avec le Dalaï-Lama, Prix Nobel de Paix en 1989, les médias occidentaux se sont occupés de la question tibétaine, rapportant en pleine lumière les horreurs de l'occupation chinoise. Des célébrités se sont ralliées au Dalaï-Lama qui, devenant lui-même une célébrité, s'est mis à voyager à travers le monde en qualité semi-officielle de leader du Tibet. En même temps, les avocats d'un Tibet Libre, surfant sur la crête de la vague, ont permis à la croyance non critique en un saint royaume de l'Himalaya, de se développer en plein jour.

L'image harmonieuse différait -elle beaucoup de la réalité ? Est-ce que le vieux Tibet était en effet une nation de chercheurs de vérité et d'hommes pieux seulement dévoués à leurs lamas et à leurs monastères ? Etait-il vraiment un pays de cocagne dans lequel les gens demeuraient dans la paix avec leurs frères, observant strictement les directives nobles du Bouddhisme ?

Des faits historiques répliquent à cette image céleste. Le Tibet, malgré toute l'aura de mysticisme entourant son histoire et sa culture, était une société féodale, peut-être plus humaine, certainement plus heureuse que d'autres sociétés féodales, mais en aucun cas un lieu idyllique.

Le paysage du vieux Tibet était secoué par les guerres, les intrigues politiques et les querelles sanglantes. Pendant des siècles, deux anciennes écoles bouddhistes appelées "les Bonnets Rouges", les Sakya et les Kagyu, établirent, l'une après l'autre, une domination incontestée sur le pays.

Au début du 17ème siècle, un nouveau pouvoir apparu et commença à menacer le statu quo politique : les Gelug, ou Vertueux, "les Bonnets Jaunes", ordre bouddhiste reformé, fondé autour de 1410 par Tsongkhapa, un disciple du 4ème Karmapa. Menés par le puissant 5ème Dalaï-Lama et ses ministres avisés, les Gelug ont invité Gushri Khan, le chef militaire mongol, au Tibet en 1638. Leur but était de briser le pouvoir des Kagyu, de reprendre le gouvernement et de garantir la sécurité au Kham, à l'Est et au Tsang, au Sud du pays. Ayant reçu carte blanche, les hordes des féroces Mongols rasèrent ou convertirent à la tradition Gelugpa un grand nombre de monastères Nyingma. Le 10ème Karmapa dut fuir, s'exilant trente années, après que son camp ait été attaqué par une armée répondant aux ordres des ministres du Dalaï-Lama. L'école des Vertueux avait imposé son hégémonie politique par l'épée et le feu.

La scène politique fortement fragmentée, a alors été subdivisée en deux groupes principaux. Le premier groupe, étroitement associé aux Gelugpa, comprenait le Tibet central ainsi que le Sud et l’Ouest, et il était sous la domination du gouvernement de Lhassa. L'autre, au Tibet oriental était constitué de royaumes indépendants, ayant chacun un chef à sa tête, maintenant à tout prix leur indépendance vis-à-vis de Lhassa avec une dévotion pour les Kagyu et les Nyingma, les deux écoles anciennes appelées "les Bonnets Rouges".

Le gouvernement central, dominé par les Gelugpa, fit beaucoup d'effort pour tenter de soumettre les Khampas, esprits libres du Tibet oriental sous l'autorité directe de Lhassa, et de les convertir ainsi à l’ordre des "Bonnets Jaunes". Pour garantir ce dessein, la hiérarchie Gelugpa n'avait épargné aucun effort, laissant une traînée de trahisons, d’intimidations et de conquêtes.

Après l'alliance avec les Mongols et la mise en déroute du chef Kagyu, l'administration du Dalaï-Lama imposa un contrôle strict aux trois autres écoles bouddhistes. Le Karmapa et les Kagyu devinrent les cibles de lois vexatoires et d'impôts discriminatoires. A part quelques monastères Kagyu aux alentours de Lhassa, tous ont été convertis au rite Gelugpa. Deux directives complexes, "faire pression sur l'étoile !" et "traire la femelle du yak" ont été insérés dans les lois du pays et invoqués, maintes et maintes fois, dans des décrets officiels. C'était un secret bien gardé, passé d'un ministre senior à son successeur, que "l'étoile" énigmatique était, en réalité, le Karmapa, tandis que "le yak féminin" était les Drikung, une branche de la lignée Kagyu.

Un autre exemple de la pression des Gelugpa fut l'activité de Phawankapa au 19ème siècle. Une sommité respectée dans sa propre lignée et une personnalité redoutée pour d'autres, ce croisé de la cause Gelugpa lança par tous les moyens des campagnes contre la tradition Nyingma. Il fit tant de ravage dans les rangs de l’école des Anciens que certaines transmissions de valeur ont presque complètement disparu.

 

Le Karmapa et la lignée Karma Kagyu

Qui est le Karmapa ?

Prophétie du Bouddha Sakyamuni dans le soutra du Samadhi Royal :

"Deux mille ans après moi, l'Enseignement apparaîtra au "pays des visages rouges" (au Tibet) qui aura été converti par Tchenrézi. Lorsque son enseignement déclinera, viendra celui appelé Karmapa, le "Bodhisattva à la voix de lion". Il convertira les êtres par le pouvoir de son samadhi, et les établira dans le bonheur par la vue, l'écoute, le rappel et le toucher."

L'activité éveillée des Karmapa

Depuis le 12ème siècle, les Karmapa sont les plus importants détenteurs des enseignements de la tradition Kagyupa dans le bouddhisme tibétain. Le 1er Karmapa, Tusoum Kyenpa (1110-1193), était considéré comme l'un des plus éminents lamas de son époque. Avant sa mort, il avait indiqué à ses disciples dans quel lieu au Tibet il voulait reprendre naissance.

Le 2ème Karmapa, Karma Pakshi (1204-1283), fut alors reconnu comme étant le premier lama du Tibet consciemment réincarné. Depuis ce temps il y a eu des incarnations du Karmapa au Tibet, souvent appelées dans les chroniques bouddhistes les "Karmapa à la Coiffe Noire", parce qu'ils portaient une coiffe noire et or. Chaque émanation a déclaré très clairement, qu'elle était le Karmapa et l'a démontré par son comportement, sans qu'il n'y ait aucun doute. Cette réincarnation était ensuite confiée à l'un des disciples les plus réalisés des Karmapa précédents.

Les Karmapa sont considérés comme de grands bodhisattvas, des êtres qui prennent naissance pour le bienfait de tous, et montrent le chemin vers l'Eveil. Déjà dix-sept incarnations ont apporté une importante contribution à la préservation du Bouddhisme authentique au Tibet. Le 16ème Karmapa, Ranjung Rigpai Dorje (1923-1981), qui a été obligé de fuir en exil en Inde en 1959, a contribué dans une mesure importante à rendre disponibles les enseignements du Bouddhisme tibétain en Occident.

Les Karmapa sont dotés de qualités exceptionnelles au service d'une activité vaste et continuelle pour le bien des êtres. Très rares sont les maîtres qui ont manifesté une activité de Bouddha dans le monde aussi vaste que lui. Le nom "Gyalwa Karmapa" indique déjà qu'il ne s’agit pas d'un être ordinaire. Gyalwa signifie Bouddha, un être complètement éveillé.

Dans la lignée Kagyupa, il n'y a que deux maîtres qui soient appelés ainsi : le Karmapa lui-même, et une deuxième émanation, le Shamarpa. Karmapa signifie "Maître de l’Activité Éveillée". Il est ce qu'on appelle un tulkou, l’incarnation consciente d'un être qui a déjà accompli une réalisation.

Mais le Karmapa est différent des autres tulkous, dans le sens qu'il a obtenu la réalisation ultime. Il est une émanation du Bouddha de la Compassion, Tchenrézi, (en sanscrit Avalokitésvara). Ainsi, il est considéré comme un Bouddha vivant qui n'a plus besoin d'achever un chemin personnel vers la libération. Il s'émanera par compassion pure dans ce monde tant qu'il y aura des êtres qui auront besoin d'être aidés.

Reconnaissance des Karmapa dans le passé

(Extrait des Karmapa Papers)

Le Karmapa est le premier maître bouddhiste tibétain à s’être réincarné sans discontinuité depuis l'année 1110.

Tusoum fut le premier Karmapa. Il a laissé trois instructions orales courtes indiquant sa réincarnation en tant que Karma Pakshi et concernant ses trois disciples. Karma Pakshi lui-même a déclaré qu'il était la réincarnation de Tusoum Khyenpa. Son maître Pomdragpa a eu une vision de Tusoum Khyenpa déclarant qu’il allait se remanifester en tant que Karma Pakshi.

Karma Pakshi a déclaré qu'il retournerait au Tibet du Nord, dans une région appelée Lato. Il n'a pas laissé d'instructions écrites indiquant son incarnation suivante.

Karmapa Ranjung Dorje, le 3ème Karmapa déclara lui-même qu'il était la réincarnation de Karma Pakshi.

Ces exemples des vies passés du Karmapa montrent clairement qu'ils ne laissent pas toujours des instructions écrites concernant les détails de leur renaissance suivante. Même lorsqu'un message était laissé, les tulkous eux-mêmes devaient prouver leur propre authenticité.

On pouvait entendre le 4ème Karmapa Rolpe Dorje réciter le mantra de Tchenrezi tandis qu'il était toujours dans le ventre de sa mère. Il déclara juste après sa naissance qu’il était le Karmapa. À l'âge de trois ans, il dit à sa mère qu'il était Karma Pakshi et lui expliqua ce qu'il allait faire dans sa vie. Lorsqu’il arriva à Dagla Gampo, il montra les statues des Karmapa précédents en déclarant : "C'est moi". Il raconta à son maître, le détenteur de lignée Yongtonpa, des histoires de sa vie précédente et ce dernier, plein de dévotion, se prosterna aux pieds de son jeune étudiant. De façons identiques, les autres Karmapa ont aussi montré des capacités extraordinaires et ont convaincu les gens par leurs comportements et leurs déclarations peu communes.

Un étudiant du 5ème Karmapa demanda un jour au 6ème Karmapa de lui révéler sa véritable identité. Il répondit : "Je suis le non-né, libre de tout nom et de tout lieu. Je suis la gloire de tout ce qui vit et je mènerai beaucoup d’êtres à la libération".

Jusqu'au 8ème Karmapa, Mikyeu Dorje, il a semblé n'y avoir aucune difficulté dans l'identification des réincarnations. Au temps de Mikyeu Dorje, un savant a appelé Amdo Lama, annonça que son fils était l’incarnation du 7ème Karmapa Chodrag Gyamtso. Il y avait eu des signes inhabituels à sa naissance. Amdo Lama fit des offrandes à Tashi Namgyal, le Gyaltsab Tulkou de l’époque, et les moines et les administrateurs de Tsurphou avaient soutenu sa revendication. En même temps, au Tibet Oriental près de Karma Gon, un autre garçon se proclama être le Karmapa. Cet enfant alors âgé de cinq ans annonça qu'il était la réincarnation du 7ème Karmapa. Plus tard, cet enfant expliquera que l'autre candidat de Tsurphou était la réincarnation d'un lama du monastère de Surmang. Les deux enfants furent rassemblés et une enquête fut menée. On les confronta avec les biens ayant appartenu au Karmapa précédent, pour vérifier lequel les reconnaîtrait. Il devint alors évident que le garçon de Karma Gon était la véritable réincarnation.

L'identification et la découverte du 16ème Karmapa, Ranjung Rigpai Dorje a aussi posé quelques difficultés. Le 15ème Karmapa avait laissé à son proche disciple Jampal Tsultrim, une lettre prévoyant sa réincarnation. Dans un premier temps, ce dernier ne révéla pas cette information. Après la mort du 15éme Karmapa, un ministre Gelugpa très puissant fit reconnaître son fils comme la réincarnation du Karmapa, confirmé par Sa Sainteté le 13ème Dalaï-Lama. Pour cette raison, les gens de Tsurphou durent accepter l'enfant. Cependant, après quelque temps, le garçon tomba du toit du monastère et mourut. Quelques années plus tard, la lettre était montrée, ce qui permis l'identification du véritable 16ème Karmapa.

Comme ces exemples le montrent, il y a déjà eu des disputes concernant les réincarnations du Karmapa. Cependant, la vérité s'est toujours révélée au-delà de n'importe quel doute. Il existe des qualités extraordinaires, que seul un bodhisattva inégalable comme le Karmapa, peut manifester.

Dans un autre article, Khenpo Tcheudrak analyse le déroulement des différentes reconnaissances du Karmapa de la façon suivante :

Parmi les précédents Karmapa :

- sept d'entre eux ont laissé des instructions écrites,

- cinq d'entre eux ont laissé des instructions orales à un disciple de leur choix,

- quatre n’ont laissé aucune instruction ni écrite ni orale, et alors leurs tulkous ont clairement affirmé eux-mêmes qui ils étaient. Ainsi il n'y eut pas dans ces quatre cas de procédure de découverte sur la base d'instructions écrites ou orales laissées par le prédécesseur.

De plus, parmi les précédents Karmapa :

- trois d'entre eux ont été identifiés par trois Shamarpa précédents,

- deux ont été identifiés par un des chefs de l'école Drugpa Kagyu,

- un autre par un maître Nyingma. Le chef des Drugpa Kagyu et le maître Nyingma, ont été aidé dans leur recherche, par divers lamas Kagyu, comme un des Sitoupa, ainsi qu'une des réincarnation de Jamgueun Kongtrul et qu'une réincarnation de Khyentse.

Donc, dans ces derniers cas, l'identification s'est faite sur la base un effort combiné entre ces lamas tandis que dans le cas des Shamarpa, il l’a faite sans l'aide d'autres maîtres bouddhistes.

Par exemple, le 13ème Karmapa a été identifié par le Maître Nyingma Khathok Rinzin Zherwang Lodrop. Il s'est approché de Sitoupa et l'a informé de ses intuitions et, en collaboration, ils ont reconnu le 13ème Karmapa.

Le 14ème Karmapa a été principalement identifié par le chef de l'École Drugpa Kagyu, Kunzig Chokyi Namwar. Cependant, il avait consulté Sitou Pema Nyingche, le 9ème Sitou Rinpoché, et suite à cette collaboration, ils ont rendu publique leur découverte.

Le 15ème Karmapa, a été également identifié par le chef des Drugpa Kagyu, Kunzig Mingyur Wangyi Dorje. Mais il avait consulté Jamgueun Lodro Thayé, Khyentse Wangpo et l'un des Pawo Tulkou.

Bref rappel historique de la lignée Karma Kagyu

Par Tobga Rinpoché

"A partir du 1er Karmapa Tusoum Kyenpa, la tradition Karma Kagyu s’est rapidement étendue et a été largement pratiquée partout au Tibet. C'était un temps de bouleversements politiques caractérisés par le déclin rapide des dynasties des rois qui avaient autrefois régné. Beaucoup de figures politiques étaient apparues et avaient rivalisé pour le pouvoir, mais aucun leader individuel n'était capable d'établir la souveraineté sur le pays, car aucun d’eux ne bénéficiait d’un appui étendu.

Les Karmapa n'avaient jamais été intéressés, et ne s'étaient jamais impliqués dans les luttes des factions politiques diverses. Mais ils étaient les cibles des ambitieux politiques, intéressés par l'immense autorité spirituelle que les Karmapa avaient sur les populations. Ils durent donc résister activement à tout engagement dans ces luttes, en restant dans des positions particulièrement vulnérables. Leurs disciples religieux les avaient aussi encouragés à assumer des postes de pouvoir, estimant qu'ils avaient les qualités exigées pour mener les autres.

C'était pendant cette période trouble, entre le 13ème ou le 14ème siècle, que les Sakyapas avaient commencé à gouverner le Tibet, avec l'appui de l'empereur mongol Kublai Khan. Ganges Khan était arrivé à cette époque. Il était le premier leader politico-religieux du Tibet, et pour la première fois depuis la disparition des rois, le Tibet était unifié sous la direction d'un seul dirigeant. En ce temps-là, les puissants dirigeants de la Mongolie et du Tibet, voyant l'emprise des grands lamas sur les Tibétains, adoptèrent une stratégie d'allégeances en soudoyant les lamas par des présents, en les invitant dans leurs royaumes et en leur donnant des titres mirifiques. Leur motivation était en fait plus politique que religieuse.

Pendant la Dynastie Ming au 14ème siècle, le 5ème Karmapa, Teshin Shekpa, avait été invité en Chine par l'Empereur de la Dynastie, Yunglo, qui avait reçu beaucoup d'instructions de lui. Lors de sa visite, le Karmapa manifesta beaucoup d'exploits miraculeux, et l'Empereur ordonna à ses artistes d'enregistrer quotidiennement ces exploits, en les peignant sur environ 20 grands rouleaux de peintures. (Quelques-uns d'entre eux étaient toujours préservés au monastère de Tsurphou au Tibet jusqu'à l'invasion de 1959). Yunglo était si impressionné par ces événements et avait développé une foi si profonde en Karmapa, qu'il proposa la promulgation d'un plan pour convertir à la tradition Karma Kagyu tous les autres ordres religieux du Tibet. Conformément à sa philosophie, Teshin Shekpa refusa absolument cette proposition et donna un enseignement sur l'importance de respecter des écoles de pensée diverses en comprenant que ces traditions différentes sont nécessaires pour correspondre aux multiples inclinations particulières de l'humanité.

Malgré le climat politique en cours, la période du 13ème au 17ème siècle fut globalement favorable pour la tradition Karma Kagyu. Comme les enseignements s'étendaient et le nombre des disciples augmentait, les dirigeants de la lignée devenaient des figures de plus en plus célèbres. Cette période, dans l'histoire du Tibet, pourrait être d'ailleurs nommée "l'Ère Kagyu".

A ce moment là, un dramatique changement arriva dans la structure du pouvoir du pays qui fut broyé entre les luttes intérieures, les luttes de pouvoir et les influences politiques extérieures. Le gouvernement central dirigé par Desi Tsangpa, un partisan vaillant du Karmapa, fut renversé par le leader mongol Goshir Khan et le 5ème Dalaï-Lama devint le dirigeant du Tibet tout entier.

Le 10ème Karmapa, Choying Dorje, devint une victime de ces événements politiques et dut quitter le Tibet au milieu du 17ème siècle, pour Jang, une province de la Chine. Après cela, le rayonnement Kagyu diminua jusqu'au 18ème siècle. Puis le 13ème Karmapa, Dudul Dorje Sitou Chogyi Jungne mena la lignée vers une période de croissance et de renouvellement dans laquelle la tradition Kagyu s'épanouit de nouveau. A cette période, les lamas Kagyu produirent beaucoup de textes philosophiques éminents et des travaux touchant à la grammaire, au sanscrit et à l'astrologie, ce qui profita à la tradition littéraire du Tibet et à l'ensemble des Tibétains.

Durant la vie de Sa Sainteté le 16ème Gyalwa Karmapa, beaucoup de centres du Dharma ont été établis dans le monde entier pour fournir l'occasion aux gens d’étudier et de pratiquer les enseignements du Bouddha. Après son départ du Tibet en 1959, il avait été capable de reconstruire son siège principal en créant un monastère à Rumtek, au Sikkim, que l'on connaît comme le "Dharma Chakra Center", ainsi qu'une université monastique, un centre de retraite et une école primaire pour des moines.

Comme ses prédécesseurs, le 16ème Karmapa était principalement une figure spirituelle et il ne s'était pas impliqué dans la défense directe de la cause tibétaine. Au lieu de cela, il avait fait des efforts pour maintenir la tradition spirituelle du Tibet intacte, et il avait de cette façon aidé à préserver l'identité du Tibet comme une culture unique. En même temps, il n'avait jamais oublié l'existence du très capable et profond leader spirituel, Sa Sainteté le Dalaï-Lama, qui est aussi le leader de la nation tibétaine et qui a toutes les qualités requises qu'une telle position exige. Il n’avait pas non plus négligé cette vaste organisation de personnes servant le Dalaï-Lama, très impliquées dans des mouvements politiques et oeuvrant vraiment de manière significative pour le bien des Tibétains.

Tous les établissements créés par Sa Sainteté Karmapa avaient été conçus avec l'intention de maintenir la tradition et la culture intacte et de fournir les enseignements de Bouddha aux gens de toutes les nationalités qui souhaitaient profiter de la compréhension et de la sagesse du Bouddha".

 

Liste des dignitaires de la lignée Karma Kagyu

Établie par le 16ème Karmapa en 1967.
"La liste ci-dessous donne le statut des dignitaires religieux de l'École Kagyu dans l'ordre d’importance. Elle a été composée le quinzième jour du douzième mois de l'année du Mouton de Feu, selon le Calendrier Tsurphou (1967).
J'ai établi la liste des noms des tulkous qui ont réussi à quitter le Tibet et qui sont aujourd’hui présents en Inde.

I - les chefs de l'École Kagyu du Bouddhisme tibétain

1. Kunzig Shamar Rinpoché

2. Khyenzig Drukchen Rinpoché

3. Tsungme Jamgueun Sitou Rinpoché

4. Tsungme Chogtrul Taglung Rinpoché

II - le second rang des dignitaires religieux de l'École Kagyu

1 Chogtrul Jamgueun Rinpoché

2. Chogtrul Gyaltsab Rinpoché

3. Chogtrul Pawo Rinpoché

III - le troisième rang des dignitaires religieux de l'École Kagyu

1. Chogtrul Joe Won Ponlop Rinpoché

2. Chogtrul Palpung Khyentse Rinpoché

3. Chogtrul Drungsar Khyentse Rinpoché

4. Chogtrul Surmang Rinpoché

5. Chogtrul Palpung Ongen Rinpoché

6. Chogtrul Sangye Nyenpa Rinpoché

7. Chogtrul Traleg Rinpoché

8. Chogtrul Surmang Trungpa Rinpoché

9. Chogtrul Decho Yangdzin Rinpoché

1O.Chogtrul Dilyag Dabsang Rinpoché

11. Garchen Tripa Dorje Lopon (toutefois, le Garchen Tripa Dorje Lopon peut aussi être inclus dans le groupe du second rang des dignitaires religieux. De la même manière que le Garchen Tripa de l'École Gelugpa a le statut de chef du siège principal de cette école, de même le Garchen Tripa Dorje Lopon est le chef du siège principal de l'École Kagyu.)

IV - le quatrième rang des dignitaires religieux de l'École Kagyu

1. Khentrul Thrangu Rinpoché

2. Bagyo Tulkou Rinpoché

3. Drupon Tulkou Rinpoché

4. Dilyag Urgen Rinpoché

5. Dilyag Sabchu Rinpoché

6. Tulkou Ongen Mingyur Rinpoché

7. Chogling Tulkou Rinpoché

8. Gyalse TuIkou Rinpoché

V - le cinquième rang des dignitaires religieux de l'École Kagyu

1. Salche Tulkou

2. Tenga TuIkou

3. Palme Tulkou

4. Bardo Tulkou

5. Drung TuIkou

6. Tragar TuIkou

7. Yoldrag TuIkou

Il y en a beaucoup d’autres de moindre importance".

Signée et scellée par S.S. le 16ème Karmapa, Ranjung Rigpai Dorje, en 1967.

 

Un bref historique des lignées Karmapa-Shamarpa

 

(Écrit par un groupe de khenpos au KIBI).

"La lignée Karma Kagyu jouit d’une remarquable histoire vieille de 900 ans, qui s’entrecroise à certains moments avec l'École Gelug à laquelle appartient le Dalaï-Lama. Le plus important dans la transmission de la lignée Kagyupa, est l’alternance entre les réincarnations du Karmapa et le Shamarpa. Ce bref historique se propose de souligner les cycles et les points d'intersection avec l'École Gelugpa et le Dalaï-Lama.

Le 1er Karmapa, Tusoum Khyenpa (1110-1193), a fondé la lignée Karma Kagyu. L'École Sakyapa s'est développée en même temps. Avant leur apparition, la tradition Nyingmapa (l’École ancienne) et la tradition d’Atisha avait déjà pris racine au Tibet. La lignée Gelugpa n'a été fondée qu'au temps de Tsongkapa (1357-1413) qui a coïncidé avec 5ème Karmapa. Le 1er Dalaï-lama (Gendun Drub) n'est pas apparu avant le 15ème siècle durant la vie du 6ème Karmapa (1416-1453).

Avant sa mort, le 1er Karmapa a prédit sa propre réincarnation comme 2ème Karmapa, Karma Pakshi (1206-1283). Avec cette prédiction, le 1er Karmapa a initié un système de lignée de tulkou (lamas incarnés) au Tibet, dont il fut le premier. Avant sa mort, Karma Pakshi prédit dans son journal qu'il renaîtrait comme deux lamas qui se réincarneraient l'un après l'autre, alternativement comme gourou et disciple, pour préserver et continuer la lignée sans interruption. La même année (1283) du décès du 2ème Karmapa, Drakpa Sengye, qui est deviendra plus tard connu comme 1er Shamarpa, naquit. L’année suivante, le 3ème Karmapa (1284-1339) prit naissance et à l'âge de huit ans il proclama être le Karmapa. Drakpa Sengye était le disciple principal du 3ème Karmapa, et ce dernier lui a confirmé qu’il était la deuxième émanation de Karma Pakshi.

Ainsi, dans l’histoire du bouddhisme tibétain, le 1er Shamarpa est le deuxième lama incarné. Parce que son nom signifie "la coiffe rouge" (sha : coiffe; mar : rouge), il est parfois appelé le " Lama à la Coiffe Rouge ", tandis que le Karmapa est mentionné comme " le Lama à la Coiffe Noire " " (sha : coiffe; nag : noire).

Depuis lors, les Karmapas successifs et les Shamarpas ont travaillé conjointement pour propager le Dharma. En effet, suite à ce leadership, la lignée Karma Kagyu était l'école la plus en vue du bouddhisme tibétain jusqu'au temps du 10ème Karmapa, Choying Dorje (1604-1674), époque à laquelle la lignée a été réprimée et a subi un long déclin.

Pendant ces siècles de déclin, les Karmapas et Shamarpas à tour de rôle ont permis de brefs renouveaux de la lignée Karma Kagyu et ils ont transmis ses enseignements et les traditions.

Avant le 5ème Dalaï-lama (1617-1682), la lignée Kagyupa a gouverné le Tibet. Dans les années 1630, deux événements ont précipité la fin de la puissance politique de la lignée Karma Kagyu et le déclin de son influence religieuse. D'abord, la mort de 6ème Shamarpa (1584-1630), très respecté par le 5ème Dalaï-lama et beaucoup d'autres, a affaibli le prestige de la lignée. Puis, en 1639, avec l'aide de troupes mongoles invitées au Tibet depuis Sinjiang par le 5ème Dalaï-lama, le gouvernement Kagyu au pouvoir fut vaincu. Le 10ème Karmapa et ses disciples furent alors attaqués, mais le Karmapa réussi à s'échapper en volant dans le ciel. Pendant quarante ans, sans un sou et avec seulement un aide, le10ème Karmapa errera en exil depuis l'Inde du nord-est jusqu’au Yunnan, en Chine.

Privée de ses deux leaders, la lignée Karma Kagyu était sans défense au Tibet. Vingt-sept monastères appartenant au Karmapa et vingt monastères du Shamarpa ont été convertis de force à la tradition Gelugpa. Seuls les monastères de Tsurphou et de Yangpachen, respectivement les sièges du Karmapa et du Shamarpa et quelques autres de moindre importance ont pu continuer à pratiquer la tradition Karma Kagyu. Cependant, ils étaient soumis à de cruelles restrictions, particulièrement Tsurphou et Yangpachen, qui étaient près de Lhassa et, de ce fait, sous le regard attentif du gouvernement.

Le début du 18ème siècle connut une brève reprise de la lignée Karma Kagyu en raison des activités constantes du Dharma du 12ème Karmapa, Jangchub Dorje (1703-1732) et 8ème Shamarpa, Chokyi Thondrub (1695-1732). Ils voyagèrent ensemble partout dans le Tibet et ont empêché la lignée de s’éteindre.

Pendant les 17ème, 18ème et 19ème siècles, les Dalaï-lamas ont bénéficié du soutien des empereurs de la dynastie Ch'ing de la Chine, qui étaient sous l’influence d'une série de tulkous Gelugpa, représentants du Dalaï-lama à Pékin. Néanmoins, la gloire du 12ème Karmapa et du 8ème Shamarpa était si grande pendant le règne de l’Empereur Yung Cheng qu'il décida de les inviter à sa cour en 1732. Malheureusement, un jour après leur arrivée à Pékin, ils moururent tous les deux de variole. Dans leurs autobiographies, les deux lamas Gelugpa Kyangkya et Thudka Hutogatu (Hutogatu est un titre officiel accordé par les empereurs de la dynastie Ch'ing à certains lamas Gelugpa à Pékin ) ont expliqué la mort du Karmapa et du Shamarpa comme suit :

"L'empereur avait invité le Karmapa et le Shamarpa à Pékin. Nous pensions que l'empereur les suivrait et donc que le pouvoir Gelugpa en serait énormément affecté. Par conséquent, nous avons effectué des rituels de magie noire jour et nuit. Le lendemain de leur arrivée à Pékin, ils sont tous deux morts de la variole. Notre magie noire a donc été un succès."

Après la mort du 12ème Karmapa et du 8ème Shamarpa, la lignée Karma Kagyu subit de nouveau une autre période de déclin au Tibet central. Ce qui contribua à cet affaiblissement fut une série complexe d'événements débutant durant le temps du 13ème Karmapa, Dudul Dorje (1733-1797), sous le règne de l'Empereur chinois Ch'ien Lung. Le puissant 6ème Panchen Lama, Palden Yeshe et le 10ème Shamarpa, Chodrub Gyaltso (1742-1792), était frères. Du fait de sa parenté au Panchen Lama, - qui était le plus haut lama Gelugpa après le Dalaï-lama — le 10ème Shamarpa avait espéré que le gouvernement tibétain rétablirait ses monastères qui avaient été convertis de force à la tradition Gelugpa au siècle précédent. Cependant, avant que cela n’arrive, le Panchen Lama mourut de variole à Pékin où il avait été invité par l'empereur.

Du fait du profond respect de l'empereur pour le Panchen Lama qui était son enseignant, le monarque offrit une grande quantité de pièces d'or aux frères et aux soeurs du Panchen Lama. Cependant, le Drungpa Hutogatu du monastère de Tashi Lungpo, qui était le siège du Panchen Lama, n'a pas donné sa juste part au 10ème Shamarpa. Quand l'administration du monastère Yangpachen s'est plainte, Drungpa Hutogatu répondit que tout l'or appartenait au monastère de Tashi Lungpo. Il a aussi calomnié le 10ème Shamarpa, prétendant qu'il avait comploté une rébellion contre le gouvernement tibétain pour regagner ses monastères. En conséquence, le gouvernement, qui était sous le pouvoir de deux régents, en absence du Dalaï-lama, devint hostile au Shamarpa. En 1784, celui-ci, pour sa sécurité, choisit de s’enfuir du Tibet et trouva refuge au Népal.

A la fin du 18ème siècle, la contrebande de monnaies népalaises était si importante au Tibet qu’elle avait même causé une forte inflation au Népal lui-même. Quand le 10ème Shamarpa chercha refuge au Népal, le roi népalais King Bahadur Shah profitant de sa présence, l'employa pour négocier une solution au problème de la monnaie avec le gouvernement tibétain. Les négociations échouèrent et la délégation tibétaine qui était venue au Népal fut emprisonnée. Le roi Bahadur expédia ses troupes au Tibet où ils confisquèrent un grand territoire. Les Chinois envoyèrent des troupes pour repousser les Népalais et une paix fut finalement négociée en 1792. Le gouvernement tibétain accusa Shamarpa de la débâcle politique et militaire tibétaine et par vengeance, interdit l’intronisation des tulkous du Shamarpa et confisqua le Monastère Yangpachen, le convertissant à la tradition Gelugpa.

En 1792, le 10ème Shamarpa mourut de jaunisse, mais le bruit se répandit qu'il s’était suicidé par absorption de poison. Un ministre tibétain nommé Gazhi Dhoringpa, que les troupes népalaises avaient fait prisonnier, a écrit : "j'ai été libéré après que la paix eut été instaurée. Shamarpa était mort et j'ai été amené à ses obsèques. Je n'avais pas de respect pour ce Shamarpa. Son cadavre même dégageait une forte odeur et j'ai cru qu’il s'était en réalité suicidé. Mais pendant son incinération, j'ai vu de mes propres yeux cinq arc-en-ciel de se rejoindre en forme de dôme au-dessus du crématoire de Bodhanath, à Katmandu."

Malgré l'interdiction gouvernementale de les introniser et de les identifier officiellement, les Shamarpas continuèrent à se réincarner comme bodhisattvas. Ainsi, le 11ème Shamarpa, Chowang Rinpoché du Monastère de Tsurphou et détenteur d'une lignée du Mahakala Tantra, s’est réincarné comme le frère du 14ème Karmapa (1797- 1845 ?) qui garda secrète son identification. Le 11ème Shamarpa a transmis le Tantra de Mahakala en entier au 15ème Karmapa, Khachab Dorje (1871-1922). Le 12ème Shamarpa prit naissance comme le fils du 15ème Karmapa. Il était d’abord moine, puis a pratiqué comme un yogi avec une épouse, mais il était fréquemment en visite au Monastère de Yangpachen pour enseigner, où il était très respecté. Le 13ème Shamarpa (1949-1951) a été reconnu par le 16ème Karmapa, Rangjung Rigpe Dorje (1924-1981) à Tsurphou, mais vécu moins de deux ans et n'a jamais été officiellement intronisé.

Né en 1952, Mipham Chokyi Lodro est l'actuel et 14ème Shamarpa.

Précisions historiques sur la relation Karmapa/Shamarpa

Le 2ème Karmapa, Karma Pakshi, a prédit que " à l'avenir les Karmapas se manifesteront sous deux formes." Cette déclaration a été clarifiée plus tard par le 4ème Karmapa, Rolpé Dorje, quand il a désigné le Shamarpa comme la deuxième manifestation. Rangjung Dorje, le 3ème Karmapa, présenta à son disciple principal, Khédrup Dragpa Sengé, une coiffe rouge rubis lui conférant le titre de Shamarpa (le Détenteur de la Coiffe Rouge). Cette Coiffe Rouge est une réplique exacte de la Coiffe Noire portée par le Karmapa et illustre le rapport étroit qui existe entre ces deux lignes de tulkous.

Des comptes-rendus historiques tibétains parlent du Karmapa comme le Karma Shanakpa (Karmapa le Détenteur de Couronne Noire) et du Shamarpa comme le Karma Shamarpa (Karmapa le Détenteur de Couronne Rouge). Ils sont mentionnés comme tel dans les textes historiques de Golo Shonnu Pal (1392-1481), de Pawo Tsuglag Trengwa (1504-1516), du 5ème Dalaï-lama, Ngawang Lozang Gyamtso (1617-1682) et du 8ème Sitoupa, Chokyi Jungnay (1700-1774). Le 8ème Sitoupa, Sitou Chokyi Jungnay dit dans son autobiographie "le Clair Miroir de Cristal" (page 32, ligne 3 dans l'édition de Dr Lokesh Chandra) que " le Karmapa et le Shamarpa ont un statut égal et ceci est indiqué par le fait que leurs trônes dans le temple sont semblables et ont la même hauteur ".

 

Le 14ème Shamarpa, Mipam Chokyi Lodreu

Il est né en 1952. De même que le 5ème Shamarpa l’avait prévu, le 14ème Shamarpa s’est manifesté comme le neveu du 16ème Karmapa. En tibétain, un neveu est un parent semblable au frère. Longtemps avant la naissance du Shamarpa, les communautés monastiques attendaient cet évènement car un bruit avait largement couru qu'il devait bientôt y avoir une naissance propice dans cette famille. Le Karmapa lui-même, envoya des Pilules Noires à sa belle-sœur, ainsi qu’un cordon de protection spéciale pour le bébé à naître. Ceci se passait alors que personne n'était même conscient qu'elle était enceinte.

À l'âge de six ans, l'enfant vit à distance plusieurs lamas de Yangpachen s'approcher du monastère de Tsurphou. "Ils sont de mon monastère" s'est-il exclamé . En effet ils étaient du monastère de Dechen Yangpachen, le monastère de Shamarpa.. Cette reconnaissance spontanée incita ses lamas à plaider pour une identification formelle de leur Rinpoché. Mais pour des raisons politiques, Karmapa ne pensa pas prudent d'agir ainsi.

L'an 1956 fut l'occasion d'un pèlerinage en Inde, auquel la plupart des grands lamas tibétains furent invités par la Société Indienne Mahabodhi. A leur retour, Karmapa et Shamarpa visitèrent le monastère Dechen Yangpachen. Dans le temple principal, étaient toutes les statues des précédents Shamarpas. L'enfant s'en approcha et du premier au dixième, n'eut aucun mal à les identifier. Par espièglerie, il prit leurs coiffes pour les essayer, disant : "ce sont mes chapeaux." Il avait alors quatre ans.

Quatre ans plus tard, la situation politique du Tibet s’étant détériorée, le 16ème Karmapa et le Shamarpa, alors âgé de huit ans, quittèrent le Tibet pour s’installer au Sikkim (Inde). Quelques années après, le Karmapa obtint du 14ème Dalaï-lama la permission d'introniser officiellement le Shamarpa. L'intronisation eut lieu en 1964 au monastère de Rumtek, Sikkim. Ensuite, Shamarpa est resté au monastère jusqu'à 1979 pour finir ses études. Il y reçut toutes les instructions de l'école Kagyu directement du Karmapa. Auprès de Thrangu Rinpoché, il étudia principalement les arts traditionnels et les sciences, les sutras et les tantras. Il a aussi reçu quelques enseignements de Kalou Rinpoché. Sous tous les aspects, ce furent des années très dures pour les exilés tibétains. Et pour cet étudiant-Rinpoché, aucune prérogative, accordée à un grand lama, ne lui était concédée. Dans ces conditions très rigoureuses et sous les yeux vigilants de ses maîtres, les qualités spéciales d'un vrai enseignant mahayana sont parvenues à parfaite maturité. En 1979, ses études achevées, il partit pour le Népal pour y résider. En 1981, après le décès de Sa Sainteté le Karmapa, il entreprit, parmi ses autres obligations monastiques, d’achever, conformément aux vœux de Sa Sainteté Karmapa, le vaste projet de construire un grand institut d’études bouddhistes à New Delhi. Inauguré en février 1990 par le Président de l'Inde, M. Venkataraman. Le Karmapa International Buddhist Institute, le KIBI doit servir comme un établissement de hautes études pour servir la sagesse universelle et la compassion, basé sur l'étude correcte et la traduction des grands traités du bouddhisme : "un désir exprimé doit devenir un désir accompli".

Quant à Shamarpa lui-même, il a , dans sa vision, le renouveau du véritable esprit du Mahamudra; l'énergie et l'essence de cet esprit se sont graduellement dissipées. Il œuvre pour en retrouver les racines à travers les âges, en rassemblant, révisant et faisant des recherches dans les travaux importants de nombreux mahasiddhas, qui culminent dans "les Trésors du Mahamudra" du 7ème Karmapa. Sa vision inclut l'installation d'un centre d'enseignement avec un accent particulier sur le Mahamudra, afin que les générations futures ne soient pas privées de ce trésor qui est l’essence véritable du Bouddhisme et appartient en propre à la lignée Kagyu.

Shamar Rinpoché s’exprime sur la séparation de la religion et du pouvoir politique

En 1988, S.S. le 14ème Dalaï-lama a réuni tous les principaux lamas tibétains à Bénarès, en Inde. Cette réunion convoquait les lamas ayant de grandes responsabilités en vue de se concerter sur les efforts à mettre en oeuvre pour un meilleur avenir des tibétains. Dans l'histoire du Tibet, les lamas ont longtemps été la classe dirigeante. Les grands changements ont toujours été initiés par les lamas, que ce soit dans le domaine temporel ou religieux. Cette forme de structure sociale avait donné au pays une stabilité durable ainsi qu'une certaine unité. Il a été rendu possible seulement par la fidélité inébranlable des gens à leurs chefs spirituels et la foi inconditionnelle en leurs jugements politiques.

Cependant, face à l’injustice, il n'y avait souvent que peu de voies de recours : pour exprimer le mécontentement, les voix étaient trop faibles et inorganisées pour être entendues. Le bien-être des individus était laissé à l'appréciation des dirigeants qui agissaient comme ils pouvaient selon leur bienveillance et leur sens pratique. Cette responsabilité a sûrement dû être accablante, dans certaines circonstances. Shamarpa avait constaté la faiblesse structurelle de la société tibétaine. La religion et la politique s’étouffent mutuellement. La solution logique serait la séparation des deux, les chefs religieux continuant à s'occuper des besoins spirituels des individus, laissant la direction de l'Etat dans les mains de laïcs compétents. Les chefs religieux jusqu'à présent responsables du bien être général des gens, doivent maintenant sentir la nécessité de changements fondamentaux et drastiques, en s'adaptant aux besoins nouveaux des individus, conformément à des temps qui changent. Shamarpa croit fermement qu'un meilleur avenir pour les Tibétains réside dans l’accomplissement de cette restructuration sociale et politique. C'était vraiment un test de courage moral que de formuler ces convictions durant la réunion de Bénarès ; pour certains des auditeurs présents, l'idée d'abandonner le pouvoir temporel a dû être aussi nouvelle que douloureuse.

Durant cette réunion de Bénarès, tous les chefs de lignée étaient présents. S’exprimant à tour de rôle à la tribune, tous rivalisaient d’éloges convenus envers le Dalaï Lama et sa politique. Lorsque Shamar Rinpoché termina son discours, il rejoignit sa place dans un lourd silence, sous le regard médusé de l’assistance alors que des murmures circulaient, qualifiant le discours de "révolte contre le Dalaï Lama". Dans ce discours qu’il prononça, il prit des risques très importants. Une cassette audio existe sur ce discours, prononcé en tibétain.