Avant-propos
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Introduction à la controverse des Karmapa
Quelques données historiques
1959 : Le Karmapa s'exile en Inde
Les difficultés au temps du 16ème Karmapa
Les années 80 à 90
Les évènements de 1992
Les évènements de mai et juin 92
Campagne de propagande
Orgyen Trinley, le Karmapa de Sitou Rinpoché
Les événements de novembre et décembre 1992 à Rumtek
Informations concernant le Sikkim
Année 93 : la situation dégénère à Rumtek
Identification du 17ème Karmapa Trinley Thayé Dorje
L’année 1994
La controverse : confrontation des points de vues
Les rapports entre Shamar Rinpoché et le Dalaï-Lama
Survol des événements des années 1994 à 1999
Année 2000
Année 2001
Chronologie des événements
Bibliographie et sources d’informations
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L’année 1994

Accueil du Karmapa au KIBI

17 mars 1994 : attaque du KIBI et intronisation de Thayé Dordje

L'assassinat de Benza Gourou

L'Inde bannit Sitou Rinpoché

Rapport confidentiel du Secrétaire général du Sikkim

… à propos du Dalaï-Lama
… à propos de Sitoupa
… à propos de la Chine

Accueil du Karmapa au KIBI

À la fin de février 1994, Shamar Rinpoché annonça que Trinley Thayé Dorje, nouveau Karmapa, serait officiellement présenté à ses disciples le 17 mars au KIBI, à New Delhi. Les gens étaient invités à venir à Delhi pour participer à l'évènement.

Cependant, beaucoup ignoraient que ce rassemblement en Inde allait devenir aussi dangereux qu'inspirant. N'ayant personne pour l'aider, Shamar Rinpoché demanda à Ole Nydahl et ses disciples de protéger le jeune Karmapa et l'Institut pendant la cérémonie de bienvenue en mars.

En effet, il avait été averti que les partisans de Sitoupa se préparaient à une confrontation violente. Rinpoché ne pouvait ignorer de tels risques, surtout que les déclarations émanant des partisans de Sitou Rinpoché prenaient des tons de plus en plus menaçants. Ainsi, à la demande de Shamarpa, des Européens se mirent à la tâche de protéger le Karmapa durant la réunion au KIBI.

17 mars 1994 : attaque du KIBI et intronisation de Thayé Dordje

Le plan de Shamarpa pour le matin du 17 mars 1994 était de conduire tranquillement l'enfant de son domicile secret à l'Institut, où les rituels de bienvenus devaient avoir lieu. Shamar tulkou espérait que la raison prévaudrait finalement et que, malgré l'humeur combative de ses rivaux, un heurt direct pourrait être évité. Toutefois, les signaux arrivant au KIBI étaient contradictoires. Les partisans de Sitou Rinpoché étaient arrivés en grand nombre dans la capitale indienne, certainement pas pour souhaiter la bienvenue au Karmapa. Les adversaires de Shamarpa parmi les lamas Kagyu en vue s'étaient aussi manifestés. Selon la rumeur, ils devaient adresser une pétition au Dalaï-Lama - qui se trouvait, au même moment, à une conférence sur les droits de l'homme à New Delhi — afin de condamner Shamarpa et de rejeter Thayé Dorje.

Essayeraient-ils de marcher sur l'Institut et briser la cérémonie ? Les sept cents invités qui avaient voyagé jusqu'au KIBI pour suivre la cérémonie, étaient occupés à évaluer les scénarios possibles pendant ce jour crucial. Comme le 17 mars approchait, les tensions montaient des deux côtés.

Le soir du 16 mars, la veille de la cérémonie, Shamar Rinpoché dut se rendre compte que les partisans de Sitoupa essayeraient à tout prix, le lendemain, d'organiser une manifestation devant le KIBI. Dans de telles circonstances, l'idée initiale de Rinpoché, d'amener Thayé Dorje à l'Institut aux premières heures du 17 mars, devenait une entreprise dangereuse. Il serait peut-être nécessaire d'escorter le jeune garçon, dans une foule épaisse de personnes hostiles, avant d'atteindre la sécurité de sa nouvelle résidence. Une telle perspective était au mieux risquée, sinon une menace pour sa vie. Il était impossible de prévoir comment une foule hostile et agitée pouvait réagir si elle se rendait compte que le "faux" Karmapa était à portée de main. Shamarpa n'avait pas envie de prendre un tel risque.

La seule solution raisonnable, était alors d'aller chercher l'enfant sous le couvert de la nuit avant que les protestataires n'aient commencé à se réunir à l'entrée à l'Institut. On lui proposa l'idée que le matin suivant une voiture vide soit envoyée, comme si expédiée pour ramener la jeune Sainteté au KIBI. Sans perdre de temps, Shamar Rinpoché mit le plan en action et quelques heures plus tard le jeune Karmapa fut amené sans risque à l'Institut. Même les résidents du KIBI ne soupçonnèrent pas que leur maître spirituel bénéficiait déjà du confort de l'Institut qui portait son nom.

Le jour suivant, dès les premières heures, une grande foule commença à se réunir aux portes du KIBI. Les centaines des visiteurs qui voulaient assister à la cérémonie historique ont, un à un, été fouillés par l'équipe en charge de la sécurité de l'Institut, avant de pouvoir entrer. Les Occidentaux ne prenaient aucun risque et les quelques fauteurs de troubles potentiels furent reconduits au dehors avec bienveillance et fermeté. Les moines de Sitoupa et un certain nombre de personnes visiblement bien excitées arrivèrent par bus et, une fois les invités entrés dans le bâtiment, prirent une attitude provocante dans la rue qui longeait l'Institut. Ils étaient venus avec une grande variété de banderoles qui non seulement accusaient Shamarpa et Tobgala, mais aussi promettaient d’affronter leur "marionnette Karmapa." Étonnamment, quelques slogans affirmaient que ce rassemblement bénéficiait de l'appui du Dalaï-Lama.

Tandis que le groupe, à l'extérieur, continuait à grossir, une Mercedes noire sortit lentement de l'allée du KIBI et fonça vers une destination inconnue. Le véhicule mystérieux attira immédiatement l'attention des protestataires. Alors que la voiture s'éloignait, les meneurs de la foule conclurent que la limousine retournerait bientôt avec "le faux" Karmapa. L'astuce de Rinpoché se révéla aussi habile qu'opportune. Tandis que les hommes de Sitoupa chauffaient leurs muscles et bloquaient la rue pour empêcher Thayé Dorje d'entrer au KIBI, Shamar Rinpoché fit signe que la cérémonie pouvait commencer.

Précédé par Kunzig Shamarpa et abrité par l'ombrelle traditionnelle de rituel, Trinley Thayé Dorje, 17ème Karmapa, entra dans le temple principal du KIBI, marchant lentement vers la statue du Bouddha qui dominait la pièce élevée. Le mugissement des trompes et le tintement des cymbales remplissaient l'air. Le temple était plein à craquer. Les moines du Karmapa, entourés de plusieurs centaines d'Européens et quelques visiteurs Chinois de l'Asie du sud-est, étaient assis sur le sol, faisant face à l'autel. Comme le jeune homme s'avançait dans la salle, chacun se levait pour voir le nouveau Chef Kagyu.

Avec élégance, le jeune Karmapa se prosterna devant la statue du Bouddha puis monta, pour la première fois en public, sur son trône. Nendo Tulkou, le maître de cérémonie de Rumtek, lui offrit une réplique symbolique de la Coiffe noire et disposa une robe de brocart autour de ses épaules. Le son des trompes et des gyalings, le battement des tambours s'intensifiaient. Karmapa, avec une concentration totale, plaça la Coiffe noire sur sa tête. La puja officielle avait commencé.

Quelques heures plus tard, comme la cérémonie religieuse tiraient à sa fin, le tintement des cloches fut soudainement couvert par le fracas de vitres brisées. Des cris perçants et sauvages furent entendus dans le temple. Les invités du KIBI échangèrent des regards surpris, de plus en plus déconcertés. Les manifestants, ayant fermé la rue et attendu en vain pour intercepter le "faux" Karmapa, avaient finalement remarqué que la cérémonie de bienvenue du Karmapa se déroulait depuis des heures et qu'elle était maintenant quasiment finie. Furieux de n'avoir pu arrêter cette cérémonie, un groupe de moines s'était précipité vers l'entrée de l'Institut. Sans aucune objection, sans essayer de calmer la foule, les soldats indiens gardant l'entrée ont ouvert la porte et, d'une façon ordonnée, se sont enfuis. Équipés de pierres et de bâtons, les assaillants se précipitèrent en avant.

Lorsque les premières fenêtres du temple volèrent en éclats, les Occidentaux participants aux rites sortirent du bâtiment. Ils furent accueillis dehors par des jets de briques et des bouteilles. Une vingtaine de moines de Sitoupa, se trouvaient devant le portail d'entrée et chargeaient, essayant d'entrer dans le hall. Ils furent retenus par un barrage de pierres venant du côté du KIBI et durent se retirer dans la rue, au-delà des locaux de l'Institut. Les Occidentaux essayèrent de fermer la porte, mais renoncèrent bientôt, car les pierres volaient nombreuses et rapides. Un disciple polonais de Shamarpa était couché par terre, inconscient, saignant de la tête. D'autres ont eu des blessures moins sérieuses. Cependant, les attaquants ont été tenus à distance.

Le hall ressemblait à un bastion assiégé. La plupart des fenêtres étaient brisées. Des hurlements fous venant de la cour perçaient l'air. Le son de briques frappant les murs se mêlaient aux slogans menaçants des assaillants. Ceux qui étaient restés dans le temple étaient inquiets mais sans être pour autant vraiment paniqués. Personne ne fut vraiment troublé. Une vieille dame tibétaine éclata en sanglots, mais c'était des larmes de tristesse plus que de crainte. Karmapa est resté complètement détendu. Accompagné de Shamar Rinpoché, il est resté derrière un rideau à côté de l'autel. Après que la foule des assaillants ait été repoussée, le garçon fut tranquillement escorté à ses appartements au troisième étage du KIBI, d'où il pouvait sans risque observer la situation.

On demanda aux défenseurs d’avoir de la retenue — ils devaient absolument éviter de recourir à la violence. En aucune façon, ils ne devaient nourrir l'agitation. Hélas, bien que les Occidentaux aient montré une discipline remarquable, après l'incident, les partisans de Sitou Rinpoché ont publiquement accusé "les troupes allemandes de Ole Nydahl d'attaquer les manifestants paisibles avec des dispositifs offensifs."

Malgré leurs tentatives forcenées, les émeutiers n'ont pas réussi à entrer au KIBI. La horde belliqueuse a été tenue à distance. Bien que constamment provoqués, les Occidentaux ont refusé d'être entraînés dans des accrochages directs avec les manifestants. Ils ne mettraient pas en danger le KIBI, ni le vénérable nom de Karmapa. Les pierres volaient toujours sur les têtes des invités, mais les agresseurs semblaient perdre leur élan. En effet, leurs chances d'envahir l'Institut devenaient aussi minces que leur ferveur faiblissait. Lorsque la police indienne se manifesta finalement, dix minutes suffirent pour refréner la foule indisciplinée. Une fois l'ordre rétabli, un par un, les soldats indiens qui avaient été postés pour garder le lieu, réapparurent, désireux d’affronter les contrevenants. Un acte de si grande bravoure provoqua des sourires ironiques dans l'Institut.

Quand le dernier des manifestants eut quitté le secteur, le personnel du KIBI et les invités relevèrent leurs manches et commencèrent à nettoyer le désordre. Tandis que le bâtiment principal avait échappé à des dégâts sérieux, toutes les fenêtres de l'Institut avaient été brisées, le passage pour piétons menant au temple avait été détruit, les barreaux de la grille avaient été brisés et la guérite logeant les gardes indiens avait été ravagée. La cour, couverte de pierres, de verre brisé et d'autres objets, employés comme projectiles pendant l'attaque, ressemblait à un champ de bataille. Une fois les dégâts évalués, les administrateurs du KIBI eurent vraiment l'envie d'envoyer la facture à Sitoupa. Certains des visiteurs les plus sensibles et les moins informés ont trouvé difficile d'accepter une telle démonstration de violence de la part de la Sangha de Sherab Ling. Ils furent particulièrement effarés lorsque les jours suivants, diverses sommités tibétaines se comportèrent comme si l'assaut de la résidence du Karmapa était simplement un exercice paisible du droit des citoyens à manifester. L'histoire se répétait simplement.

Dans l’ardeur de se confronter à Thayé Dorje, les manifestants ont aussi revendiqué - ou peut-être crié — le nom du Dalaï-Lama. Dans quelle mesure, si tel était le cas, le leader tibétain voulait-il être représenté par une foule si douteuse ? Tout ceci n'était pas très clair. Cependant, bien qu'il s'exprimait à un congrès des droits de l'homme à Delhi, au moment même où les attaquants chargeaient le KIBI, il n'a pas daigné se distancer des agresseurs.

En outre, le lendemain, il ne s’est pas abstenu de recevoir Sitou Rinpoché, arrivé dans la capitale indienne à la tête d'un contingent de lamas Kagyu opposés à Thayé Dorje. Quelques délégués étrangers présent au congrès demandèrent sur quelle base il critiquait la politique chinoise des droits de l'homme au Tibet, quand ses propres compatriotes en Inde, n'avaient aucun respect pour la liberté de religion. Il était en effet ironique que, tout en défendant les droits des tibétains dans leur pays - travail pour lequel on ne pouvait que l'admirer - il fermait les yeux sur les excès des mêmes tibétains à New Delhi. Une telle position était aussi incompréhensible que fâcheuse et les gens du KIBI voulurent clore le chapitre de cet incident déplorable aussi rapidement qu'ils le pourraient.

Deux personnes de l'ambassade chinoise avaient été aperçues à l'extérieur du KIBI. L'une d'entre elles était équipée d'un appareil photo et l'autre d'une caméra vidéo, filmant la manifestation.

L'assassinat de Benza Gourou

Le 4 mai 1994, un groupe des personnes saccagèrent le jardin du 16ème Karmapa.

Benza Gourou, le gardien de la résidence du Karmapa et serviteur proche depuis plus d'un quart d'un siècle, défia les vandales. Le groupe quitta le lieu en criant qu’il y aurait des représailles. Le matin suivant le corps estropié de Benza Gourou fut découvert sur un des sentiers menant à la résidence du Karmapa. Il était mort dans des circonstances mystérieuses. Gyaltsab Rinpoché dit qu'il était tombé du toit, tandis que le corps était retrouvé à environ 30 mètres du bâtiment. Dix jours plus tard le neveu de Benza Gourou, Sherab Mangyal, fut battu par des voyous à la porte principale du monastère. Puis, quelques jours après, c'est Apa Tswang, un aide âgé de l'ancien Secrétaire général, qui fut sévèrement battu et laissé inconscient.

L'Inde bannit Sitou Rinpoché

En août 1994, le Gouvernement indien bannit Sitou Rinpoché du territoire indien.

Il fut déclaré "persona non grata".

Comme on pouvait s’y attendre, son cas a été défendu par Kalon Tashi Wangdi, le Ministre responsable de la santé du bureau du Dalaï-Lama. Il rédigea à cet égard une lettre à Arvind Verma, le Secrétaire spécial du Ministère de l’Intérieur du Gouvernement indien. Le "Joint Action Committee", lui aussi, envoya un mémorandum au Ministre de l'Intérieur de l’Union de l’époque, M. S.B.Chavan, plaidant pour une prompte révocation de l'ordre d’expulsion. S.M. Limboo, un ministre du Sikkim, écrivit également au Ministre de l'Intérieur à cet égard. Virbhadra Singh, Premier ministre de Himachal Pradesh, y alla également de sa demande à Indrajit Gupta, le Ministre de l'Intérieur de l'Union, le 17 décembre 1996. A l'instigation de Pinto Narboo, ancien Ministre du Jammu et du Cachemire, docteur Farooq Abdullah, le Premier ministre du Jammu et du Cachemire, écrivit à Indrajit Gupta. Phunchog Rai, le Secrétaire d'état du développement tribal de l’Himachal Pradesh, a aussi écrit à Indrajit Gupta.

Un mémorandum fut envoyé au Premier ministre par Karma Topden, un M.P. de Sikkim, Lama Lobsang, membre de la Commission nationale pour des castes et des tribus, P.K. Thungan, l'ancien Ministre de l'Union et Lochen Rinpoché, lama dirigeant de Lahul et de Spit, ont aussi écrit une lettre au Ministre de l'Intérieur de l'Union K. Padmanabhaiah. Karma Topden et Lama Lobsang ont écrit une lettre commune à Indrajit Gupta. Une lettre commune a été envoyée à I.K. Gujral, Premier ministre de l'Inde, par P. Namgyal, membre du Lok Sabha, Sushil Barongpa, membre du Rajya Sabha et Karma Topden, membre du Rajya Sabha. Le partisan le plus ferme de Sitou Rinpoché, Ram Jethmalani, a écrit à Rajesh Pilot et à Indrajit Gupta, les Ministres de l'Intérieur de l'Union successifs et est même allé dénoncer la conduite du Gouvernement de Deve Gowda pour ne pas avoir supprimé l'interdiction d'entrée de Sitou Rinpoché comme "irrationnelle" et "anti-nationale".

Rapport confidentiel du Secrétaire général du Sikkim

Présentation du rapport

K. Sreedhar Rao, en ce temps-là Secrétaire général du Sikkim, a envoyé un rapport d'évaluation détaillée sur les affaires de Rumtek au Secrétaire de cabinet de l'Union indienne en mai 1997. Ce rapport de 14 pages, marqué secret à chaque page, forme l'annexe d'une brève lettre explicative, envoyée par le Secrétaire général depuis son bureau de Delhi au Secrétaire de cabinet. La lettre expose ceci :

"Je vous avais envoyé un bref rapport sur la situation à Rumtek le 18 décembre 1996. Tenant compte de certains événements récents, j'ai effectué une évaluation plus détaillée décrivant les options possibles pour nous. Je vous joins cette évaluation pour votre aimable lecture. Je transmets une copie de ce rapport au DIB (le Directeur du Bureau de Renseignements) et au Président du JIC (le Comité de Renseignement Commun) avec qui j'ai discuté de cette question.

Le rapport continue :

Étant donné le fait que le Sikkim occupe une position stratégique, il serait très intéressant pour la Chine de disposer d’une réincarnation tibétaine, particulièrement un citoyen chinois reconnu par les Chinois, pour diriger un monastère au Sikkim. La réincarnation du Karmapa, si admise au Sikkim, ne viendrait pas seule et pourrait être accompagnée par un entourage très substantiel. Un tel événement peut mener à des conséquences tout à fait imprévisibles et peut affecter considérablement les intérêts de la sécurité du pays.

Clairement, nous ne pouvons pas permettre une situation où un tibétain réincarné est installé au Sikkim, quelles que soient les clameurs en ce sens."

… à propos du Dalaï-Lama

Quant au rôle du Dalaï-Lama dans la controverse, le Secrétaire général écrit :

"D'une façon hâtive et sans preuve, ni vérification appropriée, le Dalaï-Lama a reconnu le candidat de Sitou Rinpoché. Il est possible qu'une petite coterie autour du Dalaï-Lama ait été sous l'influence des chinois. Cette possibilité est renforcée par le fait que ce petit groupe a influencé Sa Sainteté pour continuer à soutenir le groupe de Sitoupa, bien que le Dalaï-Lama lui-même ait été mis au courant de la controverse et du manque d'unanimité parmi les régents, en ce qui concerne la réincarnation.

La deuxième explication pourrait être que le Dalaï-Lama était à ce moment-là en cours de négociations délicates avec les Chinois en ce qui concerne le Tibet, et qu'il a pu être amené à penser que, reconnaître cette réincarnation jouerait en sa faveur lors de ses nouvelles discussions avec les Chinois.

Une troisième explication avancée par ceux au fait de la situation religieuse est que le Dalaï-Lama est à la tête de l'ordre Gelugpa qui n'est pas favorable à l'ordre Kagyupa. En particulier à cause de l'influence croissante de ce dernier. (Après la création du "Centre Dharma Chakra" à Rumtek au début des années 60, l'ordre Kagyu aurait ouvert pas moins de 600 centres dans le monde entier).

La quatrième explication est que l'identification donnée par le Dalaï-Lama n'est pas une identification religieuse, mais essentiellement un acte temporel plaçant le Karmapa dans une hiérarchie à côté du Dalaï-Lama et du Panchen Lama. C'est un acte auquel il n'est pas nécessaire de donner une quelconque signification religieuse.

Tandis que cette question doit être étudiée plus en détail, il est important de noter qu'après l'identification du Karmapa au Tibet et son approbation par le Dalaï-Lama, la Chine a donné sa certification à la réincarnation. C'est peut-être la première fois que la République populaire de Chine donne une telle approbation. C'est probablement un acte parfaitement calculé pour signifier au monde le rôle décisif que la Chine détient dans les affaires du Tibet, tant spirituel que temporel.

… à propos de Sitoupa

Le Secrétaire général poursuit :

Depuis lors, Sitou Rinpoché a influencé l'opinion publique au Sikkim pour continuellement presser les autorités à conduire le Karmapa réincarné à Rumtek et l'installer formellement dans le monastère.

Sitou Rinpoché fait sciemment ou inconsciemment le jeu des Chinois. Les rapports indiquent que Sitou Rinpoché, citoyen tibétain, a visité le Tibet à plusieurs reprises en 1984 et 1985, qu'il a voyagé largement et a rédigé un programme pour un prétendu développement dans le pays (le Tibet). Il note, fin 1984 - début 1985 : "J'ai visité mon pays (voulant dire la Chine) pendant quatre mois après 26 ans passés à l'étranger et j'ai parcouru les secteurs de Sitron Tsongol, Gangsheo Yunnan et Shingkiang. Le programme de développement inclut l'éducation, des services médicaux, la culture, les travaux d'artisanat, l'augmentation du revenu et du niveau de vie… "

Ce qui est remarquable, c'est que partout dans son rapport il parle de contacts amicaux entre les Chinois et les gens d'autres pays, de l'étude de la langue chinoise et de l'étude de la médecine chinoise. Il parle des Chinois en termes des plus amicaux, les désignant comme les "frères chinois". Il parle aussi des frères chinois vivants à l'étranger. Concernant la Région autonome du Tibet, il indique que son plan a l'intention honnête de profiter aux gens de la Chine et, particulièrement aux régions autonomes du Tibet, Sitron, Yunnan, Gangshuo, etc. Il remercie abondamment les deux leaders de la Chine, à savoir, Hu Yao Ban et Deng Hsiao Ping, ainsi que d'autres leaders pour leurs positions politiques excellentes. Son rapport est adressé au Directeur du Gouvernement communiste chinois. Tout cela indique que Sitou Rinpoché a créé un bon rapport avec les Chinois probablement dès 1984.

… à propos de la Chine

Il serait important de considérer l'intérêt chinois dans toute cette affaire.

Du temps de l'occupation chinoise et après le départ du Dalaï-Lama du Tibet, les Chinois ont renforcé leur contrôle du Tibet de différentes façons. Outre leurs efforts à réduire l'influence religieuse du Dalaï-Lama et le changement de la composition démographique du Tibet par l'afflux massif de Chinois Han au Tibet, il apparaîtrait que les Chinois, ayant déjà leur propre Panchen Lama, étendraient leur contrôle sur les réincarnations religieuses des Tibétains, s'ils reconnaissaient formellement le 17ème Gyalwa Karmapa,

Il est aussi fort possible que les Chinois se préparent à acquérir une position dominante au Tibet après le Dalaï-Lama. Il n'est pas inconcevable qu'ayant établi leur droit à reconnaître les réincarnations, les Chinois n'hésiteraient pas, le temps venu, à reconnaître le successeur de l'actuel Dalaï-Lama. Cela achèverait leur main mise sur la conscience religieuse des Tibétains tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Tibet. Les Chinois ne peuvent pas attacher une trop grande importance à la déclaration du Dalaï-Lama qu'il n'y aura plus de réincarnation de Sa Sainteté. Il est important de notre point de vue d'en tenir compte.

Il est aussi important de noter que le long de la ceinture de l'Himalaya, avec une série de monastères du Ladakh à l'Arunachal Pradesh, l'influence du Bouddhisme tibétain incarné par les lamas est vaste. Il est reconnu que les Chinois ont fait des efforts pour pénétrer ces monastères et, déjà maintenant, non moins de onze monastères sont dirigés par des lamas considérés comme protégés par la Chine. Il serait très néfaste de permettre aux Chinois d'étendre leur influence de cette manière et c'est dans ce contexte que la situation présente à Rumtek doit être soigneusement analysée.

Le Secrétaire général du Sikkim a attiré l'attention sur le fait que les Chinois étaient décidés à étendre leur influence sur la conscience religieuse non seulement des Tibétains, mais aussi de la population dans la région entière de l'Himalaya. Il écrit que l'on a dû vider le monastère lui-même de tous les éléments indisciplinés et du matériel pouvant être utilisé comme arme pour empêcher toute personne d'entrer au monastère de Rumtek ou pour troubler d'une quelconque façon l'ordre public.

Il a ajouté :

Tenant compte du fait que le Gouvernement chinois est activement intéressé par les affaires de Rumtek et par la situation qui s'y développe, il serait nécessaire d'envisager les événements et de considérer des possibilités d'actions. Actuellement, le Gouvernement du Sikkim hésiterait à agir, persuadé qu'une grande proportion de la population est encline à accepter la réincarnation tibétaine, principalement à cause de la bénédiction donnée par le Dalaï-Lama, et hésiterait à faire quoi que ce soit qui pourrait être interprété comme offensant ses sentiments.

Il conclut avec ces remarques :

"Du point de vue de la sécurité de l'Inde, nous devons reconnaître le fait que les administrateurs légitimes ont été entravés par un acte du Gouvernement de l'état du Sikkim, pour s'occuper du monastère et que d'ici quelques années tant les régents que les administrateurs perdraient leur statut d'autorités religieuses et temporelles de Rumtek, dès que le Karmapa réincarné aurait atteint l'âge de 21 ans."