Avant-propos
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Introduction à la controverse des Karmapa
Quelques données historiques
1959 : Le Karmapa s'exile en Inde
Les difficultés au temps du 16ème Karmapa
Les années 80 à 90
Les évènements de 1992
Les évènements de mai et juin 92
Campagne de propagande
Orgyen Trinley, le Karmapa de Sitou Rinpoché
Les événements de novembre et décembre 1992 à Rumtek
Informations concernant le Sikkim
Année 93 : la situation dégénère à Rumtek
Identification du 17ème Karmapa Trinley Thayé Dorje
L’année 1994
La controverse : confrontation des points de vues
Les rapports entre Shamar Rinpoché et le Dalaï-Lama
Survol des événements des années 1994 à 1999
Année 2000
Année 2001
Chronologie des événements
Bibliographie et sources d’informations
Accès pages en anglais
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Année 2000

Orgyen Trinley arrive à Dharamsala

Les différentes versions de l'évasion d’Orgyen Trinley

L'évasion d'Orgyen Trinley publiée sur le site internet officiel de Sitou Rinpoché

Article de presse "Le drame des Lamas" Par Susan Cheung

Réaction de la presse occidentale

Le mystère du moine fugitif (Par Rajesh Ramachandran)

Le mystérieux moine

La réfutation de la prétendue richesse de la lignée Kagyu

Orgyen Trinley pourrait être un adulte !

Orgyen Trinley pourrait être, en réalité, Kalep Tulkou du Kham

La "Conférence Internationale Karma Kagyu" à Dharamsala

La situation à Rumtek aujourd'hui

Bataille pour l'âme du Tibet, "Asiaweek", octobre 2000


Orgyen Trinley arrive à Dharamsala

Orgyen Trinley Dorje, âgé alors de 14 ans parvient à Dharamsala McLeodganj dans l’Himachal Pradesh (Inde), le matin du 5 janvier 2000 aux environs de 10.30. Dans les deux heures qui suivent, il obtient une audience avec le Dalaï-Lama, alors en retraite d'hiver. L’enfant lama est accompagné de son mentor Sitou Rinpoché, dont le monastère, Sherab Ling, est situé dans la zone Baijnath de l’Himachal Pradesh, à environ 60 km de McLeodganj. La présence de Sitou Rinpoché à McLeodganj est en fait une bévue, même si sa manœuvre est couronnée de succès. Les jours suivants, Sitou Rinpoché comprend son erreur et nie alors qu'il a accompagné le jeune lama. Il prétend qu'il est arrivé à McLeodganj vers 14.30 après avoir appris la nouvelle.

Le bureau du "Daily Telegraph" à Londres aurait reçu un appel de McLeodganj révélant l'histoire du lama qui "craignait pour sa vie" au Tibet. Le Gouvernement tibétain en exil semblait prêt à coopérer. Il aurait volontairement donné l'information : il serait possible de photographier le jeune lama, cité comme le Karmapa, en revanche, il ne donnerait pas d’interviews. Les médias britanniques se sont alors saisis de la nouvelle, devançant les journaux indiens. Shamar Rinpoché intervient le 8 janvier, dénonçant l'arrivée du jeune lama comme un stratagème chinois censé s’approprier la Coiffe Noire ainsi que d'autres importantes reliques du monastère de Rumtek. Cependant, les journaux et les magazines continuent de citer l’enfant comme le Karmapa. Shamar Rinpoché déclare le 8 janvier, lors d’une conférence de presse à New Delhi, que : "Orgyen Trinley est un garçon innocent qui ne doit pas être utilisé à des fins politiques. Je ne crois pas qu'il se soit échappé ou qu’il soit venu sans l’autorisation de la Chine. Cette fuite a été organisée pour détourner l'attention de Thayé Dorje reconnu selon nos traditions sacrées".

"Kuensel", le seul journal bhoutanais, a émis des réserves quant à la nouvelle. Le titre de son article est d’ailleurs assez révélateur : "La fuite du Tibet (sous contrôle chinois), la plus significative de ces dernières décennies  : un lama de 15 ans, reconnu par une partie des bouddhistes tibétains comme le 17ème Karmapa, est arrivé en Inde".

Robbie Barnett, spécialiste du Tibet à l'Université Columbia de New York, déclare que le lama a quitté le monastère de Tsurphou le 28 décembre avec quelques personnes et qu’ensemble, ils ont marché jusqu’en Inde, arrivant le 5 janvier à Dharamsala. Des rapports internationaux mentionnent qu’Orgyen Trinley n'a pas officiellement demandé l'asile politique en Inde. Cependant , certains bouddhistes reconnaissent un autre garçon résidant en Inde, Lama Thayé Dorje, comme le véritable Karmapa.

Le Gouvernement tibétain en exil a tout d’abord accueilli le jeune lama dans le bâtiment de Chonor, de l'Institut de Norbulingka. Une semaine plus tard, il a été reçu au monastère Gelug de Gyuto, bordant Siddhabari, à environ 15 km de McLeodganj. Puis, à partir du 9 janvier, le garçon a été isolé, sans contact avec l’extérieur, car il était "épuisé et avait besoin de repos". Il a une nouvelle fois rencontré le Dalaï-Lama les 8 et 14 janvier, bien que ce dernier était supposé observer le silence durant sa retraite d’hiver. L’arrivée d’Orgyen Trinley en Inde a été saluée comme l'arrivée d'un messie, et comme le successeur potentiel du Dalaï-Lama. En effet Sa Sainteté aura 65 ans en juillet de cette année 2000.

les différentes versions de l'évasion d’Orgyen Trinley

Des histoires extraordinaires ont fait le tour de McLeodganj concernant l’évasion du jeune lama. La plupart des histoires racontent la même chose. L’enfant a ouvert la fenêtre de sa chambre située au sixième étage du monastère de Tsurphou au Tibet. Il était 23h00, le 28 décembre 1999, et il faisait un froid hivernal. Le plan d'évasion avait minutieusement été préparé : le lama avait consulté les oracles avant son évasion, il avait déclaré qu'il entrait en retraite stricte, ses serviteurs personnels s’étaient acquittés de leurs obligations habituelles, ses repas lui avaient été servis. En somme, toutes les tâches quotidiennes avaient été normalement accomplies.

Un sosie aurait même joué le rôle du lama, tandis que le véritable garçon prenait la fuite. L’enfant lama a laissé une lettre dans laquelle il explique qu'il se rend en Inde afin de chercher certains objets religieux. Comme les autorités chinoises avaient rejeté sa précédente demande de se rendre en Inde, il n’avait alors pas d’autre choix que de voyager sans autorisation. Ainsi, lorsqu’un fonctionnaire chinois est venu le voir, le jour du nouvel an, il avait disparu. Cinq jours plus tard, Orgyen Trinley était à Dharamsala. Il est tout à fait surprenant que les autorités chinoises n’aient pas donné l'alarme, ni essayé de renforcer ou de fermer les frontières. Il semble difficile d’imaginer une telle évasion, 8 jours de voyage, sur environ 900 km à travers le Tibet gelé, et en esquivant la lourde présence de la sécurité chinoise.

Orgyen Trinley était accompagné par sa sœur, Ngodup Palzon, de 10 ans son aînée, et par cinq serviteurs. Ils sont partis de Tsurphou avec deux jeeps. Tous portaient des vêtements civils, le jeune lama était lui-même vêtu d’une veste en jean et d’un pantalon. Le groupe s’est nourri uniquement de tsampa durant tout le voyage.

Avant chaque poste de surveillance, le groupe descendait des jeeps et se dirigeait vers les montagnes. Puis, lorsque que les jeeps avaient passé les contrôles, le lama et ses compagnons rejoignaient alors les véhicules. Ils ont utilisé ce système une vingtaine de fois, avant d’atteindre l'Ouest du Népal par Nyichung, dans la région du Mustang. Ils ont fuit en hiver pour deux raisons : tout d'abord, parce qu’à cette saison, les gardes chinois sont moins alertés et les contrôles moins rigoureux. Ensuite, parce la plupart des lacs de montagne sont gelés et peuvent ainsi être traversés à pied. L'évasion du Tibet est uniquement possible durant les mois d’hiver, et uniquement par des "casse-cou" qui non seulement ont la volonté, mais aussi l'endurance pour affronter de tels dangers.

Une autre version diffère de la première. Le garçon aurait quitté Tsurphou à bord d’un Land-Cruiser Toyota, accompagné également d’une autre voiture. Ils auraient voyagé pendant 36 heures, puis lorsque le terrain serait devenu impraticable, ils auraient commencé à marcher pendant 12 heures, avant d’entrer au Népal. La frontière était visiblement assez facile à franchir. Le voyage se serait ensuite poursuivi par seulement quelques heures de train de Gorakhpur à Lucknow. Enfin, le groupe serait arrivé en taxi à Dharamsala via New Delhi. Le bureau du Dalaï-Lama aurait alors été informé de leur arrivée par téléphone.

Ces récits de l’évasion laissent la part belle au hasard et à la coïncidence. Ils ressemblent plutôt à un plan bien réfléchi à l’avance. Il est très surprenant qu’Orgyen Trinley soit venu à Dharamsala pour rencontrer le Dalaï-Lama, et non au traditionnel siège du Karmapa, au monastère de Rumtek, au Sikkim. Cette destination semblait en effet, plus évidente pour lui et pour son entourage.

L'évasion d'Orgyen Trinley publiée sur le site internet officiel de Sitou Rinpoché

Avant propos

Adresse du site : http: // www.nalandabodhi.org

Un certain nombre de récits ont été relatés dans la presse, concernant le voyage vers la liberté de S.S. le Karmapa. Si beaucoup d’articles semblent précis, il existe toutefois des informations contradictoires. Par conséquent, nous avons entrepris de vérifier l'information, en consultant des sources proches de S.S. Karmapa, Orgyen Drodul Trinley Dorje. Suite à notre enquête, nous avons pu rassembler les faits suivants qui nous paraissent fiables.

Lors de son évasion, S.S. le 17ème Gyalwa Karmapa serait passé par la frontière occidentale du Tibet, par le Népal pour atteindre ensuite l’Inde. Nous savons que Sa Sainteté a voyagé par le Tibet occidental et a traversé la frontière du Népal au Mustang.

L'itinéraire a exigé un trek de plus de 30 heures sur le territoire népalais, après quoi, le groupe a continué une partie de son trajet avec des transports en commun. Sa Sainteté a apparemment traversé la frontière indienne près du poste-frontière de Bazar Birganj-Raxaul. Il a ensuite traversé le Bihar, l’Uttar Pradesh, puis les villes de Gorakhpur, Lucknow et Delhi, pour finir son voyage à Dharamsala.

Article de presse "Le drame des Lamas" Par Susan Cheung

Voici une histoire qui n’a encore jamais été racontée, et que l’Occident ne veut pas entendre. Pour la première fois - un reportage en exclusivité publié dans un journal du dimanche - nous révélons les détails de la mystérieuse fuite du Karmapa, le "Bouddha vivant", et de l’implication américaine dans cette histoire. Parti du Tibet en janvier 2000, il s'est réfugié en Inde.

Susanna Cheung Chui-Yung a passé deux semaines à reconstituer le parcours dramatique de l’enfant à travers l’Himalaya.

Susanna Cheung enseigne à l'Université de Hong Kong, section journalisme et média. Correspondante en Asie de la cellule chinoise de BBC World, elle a aussi enquêté sur le conflit au Kosovo et la crise dans le Timor Oriental. Elle a écrit cet article pour le "Sunday Review".

23/04/2000, Straits Times of Singapore

À la recherche de la vérité

"Dans la chaleur accablante d’Hyderabad, au sud de l'Inde, le Président des États-Unis, Bill Clinton a défilé devant une foule de Tibétains qui agitaient des drapeaux américains.

Même si l’objet principal de sa visite en Asie du sud le mois dernier, était focalisé sur le contrôle de l’arme nucléaire et sur les rivalités indo-pakistanaises au Cachemire, l’accueil tibétain rappelait un conflit d’une plus grande envergure menaçant la région himalayenne.

La grande évasion du 17ème Karmapa, dirigeant spirituel tibétain vers l’Inde, deux mois avant la visite de Clinton, a amplifié la tension indo-chinoise. Leur frontière commune se trouvant dans l’Himalaya.

Derrière les droits de l’homme et la liberté spirituelle, l’évasion dévoile en fait une lutte politique des militants tibétains, et les différentes factions adverses du bouddhisme tibétain.

La participation des Américains dans la lutte tibétaine demeure un mystère, mais notre enquête tente d’éclairer la situation.

Vu l’importance de l’évasion d’Orgyen Trinley Dorje, Prakash Khanal, reporteur népalais sur l’environnement, aujourd’hui à la retraite, et moi-même, avons tous deux retracé le chemin parcouru par le Karmapa durant ces deux semaines. Il part de la frontière tibeto-népalaise, continue à travers le Népal, jusqu’à la frontière indo-népalaise.

Nous avons tenté de découvrir quelles étaient les différentes forces en présence derrière l’évasion, et leurs implications dans les problèmes relatifs à la sécurité de la région.

Ce que nous avons appris contredit la majorité des rapports occidentaux

Nous avons découvert que la fuite de l’enfant lama avait été minutieusement préparée et ce, afin de mettre la police népalaise et les journalistes sur de fausses pistes. Le projet a été soutenu par un opérateur américain propriétaire d’hélicoptères et un réseau de la communauté tibétaine en exil ; réseau étroitement lié à Dharamsala.

Nos soupçons quant à l’organisation d’un complot se sont renforcés lorsque la communauté tibétaine de Pokhara, au Népal, a révélé que la sœur du Karmapa avait été vue trois semaines avant lui.

Le chemin emprunté par Orgyen Trinley n’est pas une voie directe pour l’Inde. Il passe par l’état interdit du Mustang, perdu au Nord du Népal, bastion de la guérilla tibétaine et base de la CIA jusque dans les années 70.

Notre équipe a retrouvé la piste du Karmapa à Pokhara, station touristique située au pied de la chaîne de l’Annapurna. Avec l'aide d'un important homme d'affaire népalais, originaire du Mustang, nous avons retracé les différentes étapes de l’évasion. Nous nous sommes appuyés sur les témoignages détaillés des guides qui ont aidé le Karmapa en lui prêtant des poneys.

Alors que le Karmapa, et trois serviteurs, approchaient de la frontière à bord de deux Land Cruiser, le soir du nouvel an, ils ont été pris en chasse par la police chinoise. Ils ont dû abandonner leurs véhicules et se sont échappés à pied.

Ainsi, tandis que les réveillonneurs du monde entier fêtaient le nouveau millénaire, l'enfant lama s'échappait du Tibet. À l'intérieur du territoire népalais, le long des rives de la rivière Khola au Mustang, un grand occidental barbu attendait. Il avait engagé des guides locaux avec huit poneys pour traverser la moitié Nord du Népal où les routes sont impraticables.

La caravane s’est acheminée pendant deux jours sans interruption, avec des températures allant en dessous de zéro, à travers le paysage lunaire du Mustang, autrefois royaume de Lo.

Le matin du troisième jour, le groupe se trouvait sur la piste de Jomson, capitale du Mustang, reliée à Pokhara par une route pavée, puis allant jusqu’en Inde. Au lieu d'aller à Jomson, la caravane s'est en fait dirigée vers l'est, empruntant une piste surplombée par le pic de Muhila, au nord-ouest du monastère de Muktinath. Ils ont passé Thorang-la, un sommet de 5416 mètres avec une montée exténuante.

S’ils ont pris cette route dangereuse, c’est parce que les quartiers généraux du gouvernement népalais du Mustang se trouvent à Jomson. Là-bas, la police népalaise les attendait pour les renvoyer au Tibet.

Après avoir passé Thorang-la, le groupe est alors redescendu vers les villages situés au pied de l'Annapurna, qui à 8091 mètres est l'un des plus grands sommets himalayens. Ils ont passé la nuit du 2 janvier au village de Manang Pedi, à 3535 mètres d'altitude.

Le lendemain, vers onze heures, les Tibétains et leurs guides ont aperçu un hélicoptère de sauvetage Ecureuil qui approchait dans un large arc de cercle autour du mont sacré Machapuchre (queue de poisson).

Notre source au Mustang nous a rapporté que deux américains et deux lamas se sont hissés jusqu'au Karmapa pour l'accueillir. L'hélicoptère est reparti, ses hélices tourbillonnant comme un moulin à prière. Le Karmapa de Tsurphou s'est élevé dans les nuages au-dessus de la chaîne de l’Annapurna, et il s'est ensuite dirigé vers Pokhara."

Des enregistrements de vols manquants...

À l'aéroport de Pokhara, un contrôleur aérien nous a montré les enregistrements de vol du 3 janvier. Une note écrite à la main montrait que Fishtail Air était le seul service local à avoir envoyé un hélicoptère.

Le contrôleur aérien nous a confiés : "Il n'y a pas eu d'autres vols d'hélicoptères enregistrés, à part ceux de Fishtail. Le 3 janvier, Fishtail a envoyé deux expéditions d’hélicoptères, la première à des fins touristiques et la seconde pour sauvetage."

Le premier hélicoptère a décollé vers 11 heures pour retourner à l'aéroport de Pokhara à midi ; le second est parti à 12h45 et est revenu une heure plus tard. À US$ 3 000 le tour (plus de 21.000 FRF/ 3300€), les Ecureuils sont plus chers que les hélicoptères Kawasaki de classe touriste. De plus, Fishtail Air est une société américano-népalaise.

Le mystère s'est épaissi lorsque nous avons enquêté au siège principal de Fishtail Air à Katmandou. Les employés nous ont informé que seuls les enregistrements de vol pour le 3 janvier étaient introuvables. Ils avaient en revanche les enregistrements des autres jours.

Tous les journaux occidentaux ont omis de mentionner le rôle de Fishtail Air dans cette évasion. Seule une enquête mentionnée sur le site internet "ABC.com" indique qu'un occidental a pris part au trek du Mustang. Une source du gouvernement népalais, qui préfère rester dans l’anonymat, nous a révélé qu'une personne officielle du Ministère de l'intérieur américain, fortement impliqué dans les interventions au Kosovo et au Timor Oriental, avait donné son accord sur le plan en octobre.

Un moine tibétain de Pokhara nous a confié que le Karmapa était resté quelques heures à l'hôtel Annapurna. Cet hôtel, construit au début des années 70 par les Tibétains avec des fonds provenant de la CIA, est aujourd'hui dirigé par le Gouvernement en exil. Le Karmapa ne s’y serait pas attardé.

De Pokhara, il a été ensuite conduit durant 5 heures jusqu'au sud de Lumbini, lieu de naissance du Bouddha. Un groupe de passeurs professionnels l'a amené côté indien, où une voiture l'attendait pour l'amener à Gorakhpur, puis à Lucknow.

La nuit suivante, un autre Américain, membre d'une ONG contrôlée par un important bienfaiteur du Parti démocrate américain, a conduit l'adolescent jusqu’à une voiture privée qui l'attendait pour l'amener à Dharamsala.

Une poudrière d’agitation politique

Orgyen Trinley a laissé une lettre à son monastère, dans laquelle il explique qu'il se rend à Rumtek, le siège en exil des Kagyupa situé au Sikkim, au nord. de l’Inde Mais son entourage apparaît à Dharamsala, siège du Gouvernement tibétain en exil.

Notre informateur nous a rapporté que la rumeur concernant l’évasion s'était répandue dans la communauté Kagyupa de Taiwan. En novembre, Chen Li On, ancien Chef de contrôle du Yuan de Taiwan, avait annoncé à ses partisans, que le 17ème Karmapa serait sorti du Tibet très prochainement.

Quelques jours avant l'apparition publique de l’adolescent, il y a eu une fuite dans l’un des principaux quotidiens de Taiwan, le "China Times". Mais elle est passée inaperçue, le rôle de Chen dans l’évasion du Karmapa étant inconnu.

La Coiffe noire, symbole majeur de l'autorité de l'école Kagyupa se trouve à Rumtek, enfermée dans la chambre forte. Un conflit lié à la possession de la coiffe a scindé les Kagyupa en deux clans violemment opposés. Le premier est dirigé par Tai Sitou Rinpoché, mentor de l’adolescent tibétain ; l'autre est mené par Shamarpa, second de la lignée Kagyu.

Cette dissension a fait du Sikkim une poudrière impliquant les forces nucléaires asiatiques. En effet, le Sikkim était un royaume bouddhiste avant son annexion par l'Inde en 1975. Certains puissants groupes sikkimais n'ont pourtant jamais accepté l'autorité indienne et ont toujours eu tendance à se tourner vers Taiwan ou la Chine afin obtenir leur soutien. Car ces derniers ne reconnaissent pas la souveraineté indienne au Sikkim.

La venue du Karmapa tibétain à Rumtek aurait une signification symbolique extrêmement forte car 80 % de la population du Sikkim est partisane de Sitou Rinpoché. Et les bouddhistes de Taiwan auraient, d'après nos sources, fait d'énormes donations à Tai Sitou Rinpoché.

"Le Sikkim pourrait rapidement devenir un autre Cachemire", nous a confié l'ancien khenpo du monastère, expulsé de Rumtek en 1992 par des supporters armés de Tai Sitou Rinpoché.

Un conflit ethnique au Sikkim incluant des réfugiés tibétains pourrait attirer l’attention internationale et amener à ce qu’une intervention humanitaire soit dirigée par des occidentaux.

À Dharamsala, la montée en puissance du mouvement militant commence à attirer l'attention des observateurs sud-asiatiques. Pour eux, les extrémistes de Dharamsala, ont toujours un prétexte afin de soutenir les plans de Tai Sitou Rinpoché au Sikkim. L'Inde et la Chine étant de plus en plus proches, les jours du Gouvernement tibétain en exil à Dharamsala semblent comptés. Un Sikkim indépendant fournirait aux militants tibétains une nouvelle base stratégique, le long de la frontière.

Lors de mon dernier entretien avec le Dalaï-Lama en 1994, il a exprimé une inquiétude croissante face à la montée du radicalisme parmi les jeunes tibétains exilés.

Shamar Rinpoché, qui soutient un autre candidat au titre de 17ème Karmapa, est en conflit permanent avec Tai Sitou. Il affirme que Orgyen Trinley est en fait retenu en captivité : "Le pauvre enfant est une guitare, quiconque est en sa possession joue sa propre musique."

Le champ de bataille du 21ème siècle

Un rapport secret de la police indienne, datant de 1997, rapporte d'autre part que le camp de Tai Sitou aurait essayé de faire évader le Karmapa du Tibet dès 1997.

Voici un extrait du rapport : "On suspecte que Orgyen Trinley (12 ans), le candidat de Tai Sitou, reconnu à la fois par les autorités chinoises et le Dalaï-Lama, est susceptible d'être introduit dans le pays. Il est donc demandé que tous les ICP sous votre juridiction soient mis en état d'alerte de façon adéquate. S'il est intercepté, veuillez obtenir des informations le plus rapidement possible, et nous rapporter les faits en citant le numéro de la circulaire 28/0/97 (35), daté du 26 juin 1997."

De plus, un rapport confidentiel du ministère datant du 24 mai 1997 indique que le ministère indien se trouvait également en état d'alerte relative au clan de Tai Sitou, suite à sa tentative de s'emparer du monastère de Rumtek en 1996, et en raison de son action de plus en plus violente à l'encontre du camp de Shamar Rinpoché.

Le gouvernement indien se sent très concerné par la scission du bouddhisme tibétain sur son territoire, susceptible de mener vers plus de violence. La présence de l'enfant lama en Inde pourrait bien indiquer une lutte de succession.

"Après que l'Inde ait banni Tai Sitou Rinpoché et que la Chine lui ait interdit l'accès à Lhassa, son influence a été fortement diminuée", dit Lama Kalsan du monastère Sangye Choling. "L'évasion du Karmapa vers l'Inde est peut-être pour Sitou Rinpoché une façon de montrer sa force aux deux pays."

Si telle est la motivation qui se cache derrière l'évasion, alors la collaboration entre Tai Sitou Rinpoché et les militants de Dharamsala est un pari à haut risque pour le mouvement des Tibétains en exil.

Ces actions sont un véritable souci pour l'Inde, car les Tibétains en exil représentent une source de tension avec la Chine qui n'a pas encore pris position sur la situation au Cachemire.

Dharamsala et l'Himachal Pradesh sont situés dans un état mitoyen du Cachemire. Dans cette région, les forces de sécurité indienne combattent les insurgés islamistes appuyés par le Pakistan, allié traditionnel de la Chine.

L'implication américaine dans cette poudrière ethnique et politique a compliqué la situation.

Le congrès des États-Unis donne chaque année, deux millions de dollars (NdT : environ 2 200 000 €) au Gouvernement tibétain en exil, et adopte un discours plus vif par rapport au problème tibétain.

Cette année, l'armée américaine a étendu sa présence au Népal grâce au programme de formation des Nations Unies pour les pacificateurs sud-asiatiques.

Point de rencontre des trois puissances nucléaires asiatiques et américaines, la région himalayenne pourrait facilement exploser.

Durant notre long voyage qui s'est terminé au lieu de naissance du Bouddha, nous nous sommes étonnés de tous les mensonges jonchant la piste de l'adolescent tibétain, et de tous les faux témoignages des médias occidentaux.

Le carillon des cloches bouddhistes à travers les plaines poussiéreuses de Lumbini nous a rappelés l'octuple sentier enseigné par le Bouddha, qui rappelle à ses disciples de ne jamais tromper autrui dans ce monde illusoire, mais en revanche, de toujours dire la vérité.

Note de l’auteur

Le problème tibétain est un champ de bataille diplomatique et idéologique entre la Chine et l'Occident, et particulièrement les États-Unis. La tension est manifeste dans la plupart des journaux grand public des deux côtés, ce qui parfois pénalise la vérité.

La massive couverture médiatique occidentale de l'évasion du Karmapa a encore d'avantage assombri les faits. Leurs homologues chinois ont quant à eux, choisi de garder un profil bas, et ils ont écarté toute annonce ayant trait au Karmapa.

Apparemment, le Dalaï-Lama a été complètement pris par surprise avec l'apparition de son protégé de 14 ans dans un hôtel de Dharamsala le 5 janvier.

Les journaux internationaux ont déclaré que "le lama s'était échappé de Tsurphou, puis avait marché jusqu'en Inde", citant leurs sources proches du Karmapa et du Gouvernement tibétain en exil. Ceci constituerait une véritable odyssée tibétaine, rappelant le voyage d'exil de trois semaines du Dalaï-Lama en 1959.

Les agences de presse ont tout à fait accepté la version de l'enfant lama affirmant avoir parcouru la chaîne himalayenne à pied, en huit jours. Même s’il s’agissait d’un véritable exploit de marcher en moyenne 180 km par jour, sans compter les détours des routes de montagne !

Une rectification a été apportée plus tard, mais malgré l'inconsistance des informations fournies par les lamas de Dharamsala, les médias occidentaux se sont toujours fiés à cette unique source. De plus, ils ont eu tendance à romancer l'histoire de l’évasion dans les sommets enneigés de l'Himalaya. Ils ont simplement voulu croire que la seule raison de la fuite du Karmapa était une lutte pour les droits de l'homme et pour la liberté religieuse.

J'ai voulu, avec un reporter népalais, parcourir le chemin emprunté par le Karmapa afin d’obtenir, sur le terrain, des informations de première main. C'était avec l'espoir qu’un tableau plus large de l'épineux problème tibétain pourrait être dressé et basé sur des faits car ce problème a dans une certaine mesure, été mal couvert.

Tous les journaux auxquels j'ai envoyé cet article ont refusé de le publier."

Réaction de la presse

Réaction de la presse occidentale

Comme l’explique précédemment Susan Cheung, les agences de presse ont accepté sans aucun esprit critique ni aucune vérification le récit de l’adolescent. Il est absolument incroyable de lire la presse européenne répéter sans sourciller, l’odyssée invraisemblable d’un adolescent traversant à pied l’Himalaya, fuyant la dictature chinoise, en route vers la liberté, rejoindre son mentor le Dalaï-Lama ! Tous les ingrédients sont rassemblés pour faire vibrer la fibre idéaliste des Occidentaux : Orgyen Trinley déguisé dans le rôle de David qui défit le Goliath de la Chine communiste. Cet hymne à la lutte pour les droits de l'homme et pour la liberté religieuse a été repris par tous les médias occidentaux.

Le centre de Dhagpo Kagyu Ling, en Dordogne, France, a acheté "l’Argus de la presse" pour le mois de janvier 2000. Les coupures de presse pour ce seul mois de janvier remplissent plusieurs cartons d’archives.

Réaction de la presse indienne

Globalement, la presse indienne est beaucoup plus dubitative vis-à-vis de cet événement perçu essentiellement sous son aspect géopolitique. La réaction de la Chine est prise très au sérieux et, les raisons et les circonstances qui entourent la fuite de l’adolescent restent suspectes pour une partie des médias indiens.

Le mystère du moine fugitif (Par Rajesh Ramachandran).

Dimanche 16 janvier 2000, New Delhi

Bouddha doit froncer les sourcils.

L’apparition mystérieuse dans Dharamsala de la jeune réincarnation le 5 janvier, a provoqué des ondes de choc de Lhassa à Washington, et de Beijing à New Delhi. L’énigmatique voyage d'hiver de 900 miles, du jeune Karmapa âgé de 14 ans à travers l'Himalaya, s’inscrit dans la lutte de pouvoir entre les deux factions de l'ordre Karma Kagyu. De même que dans la lutte, vieille de 50 ans, du Dalaï-Lama pour reprendre le Tibet, dans les relations déjà sensibles entre l'Inde et la Chine, et dans les intérêts des Etats-Unis pour le Tibet.

Orgyen Trinley Dorje, véritable nom de l’adolescent, est la seule réincarnation tibétaine reconnue à la fois par le Dalaï-Lama et par la Chine. Il a été reconnu comme le 17ème Karmapa en juin 1992 par le Dalaï-Lama, puis après réflexion, par les Chinois. On a considéré sa reconnaissance officielle comme la tentative de construire un pont entre les deux nations. On avait alors évoqué sa venue en Inde. Sa présence actuelle en Inde pourrait désormais devenir un épisode culminant dans les rapports entre le Dalaï-Lama et la Chine. Selon certains observateurs, ils auraient même pu s'associer dans le plan d'évasion du garçon.

Le Gouvernement tibétain en exil affirme officiellement que le Karmapa a fui l'oppression chinoise et qu'il demande l'asile à New Delhi. La version de Beijing est différente : il visiterait l'Inde afin de reprendre les symboles de son autorité, c’est-à-dire "la coiffe noire" du monastère de Rumtek, au Sikkim. L'Inde quant à elle, "étudie prudemment la question." Et Washington souhaiterait que la Chine et le Dalaï-Lama s’entretiennent afin de préserver "l’héritage unique du Tibet, à la fois religieux, culturel et ethnique."

Le jeu de la Chine.

La situation est bien plus complexe. Considérant l’étroite surveillance chinoise autour des monastères tibétains, comment le garçon aurait-il pu s'échapper et parcourir 120 miles par jour sans être aperçu ? Les Chinois l'ont-t-ils laissé s’en aller délibérément ? Quel est l'intérêt des Chinois dans cette affaire ?

En premier lieu, il semblerait que, si Orgyen Trinley gagne la bataille fractionnelle, s’il reprend la coiffe noire et s’il obtient le consentement de la diaspora tibétaine, il renforcerait alors la mainmise de Beijing sur les bouddhistes du Tibet. Candidat chinois, il gagnerait sa légitimité.

Deuxièmement, le monastère du Karmapa exerce une influence considérable au Sikkim, dont la fusion avec l'Inde n'est pas reconnue par la Chine. Les analystes pensent que si le Karmapa reconnu des Chinois se rendait à Rumtek, il servirait d’arme stratégique à la Chine.

Troisièmement et sans doute le point le plus important, la Chine a toujours tenté de résorber ses deux abcès irritants - le Tibet et Taiwan - qui donnent un levier de force excessive à l’Ouest. Livrer le jeune Karmapa au Dalaï-Lama pourrait être le premier pas pour conclure à un accord commun.

Qui est Tai Sitou ?

Les soupçons sur la complicité de la Chine dans un complot avec le Dalaï-Lama sont renforcés par le rôle de Tai Sitou Rinpoché, un des grands Rinpochés de la lignée Karma Kagyu. Tous les rapports indiquent qu'il est le personnage clef de l'évasion du garçon. Tai Sitou était une "persona non grata" en Inde jusqu'en août 1998. En effet, l'ordre d'expulsion de 1994 dont il faisait l’objet, a mystérieusement été annulé. L'Inde l'avait disgracié, le considérant comme une personne anti-nationale, impliquant qu’il était pro-chinois. Tai Sitou avait identifié Orgyen Trinley Dorje comme le 17ème Karmapa, provoquant la discorde dans la lignée Karma Kagyu. En se rendant plusieurs fois au Tibet et en Chine, il avait contribué à persuader les Chinois de reconnaître le garçon et de forger ainsi un lien entre la Chine et le Dalaï-Lama.

Tai Sitou fait l'objet de plusieurs affaires judiciaires en cours. Il a notamment produit un faux certificat de résidence afin d’acheter 500 acres de terre en Gurgaon. Le CBI l'a mis au tribunal. Son conseiller juridique, membre influent du Cabinet d'union depuis 1998, confie avoir fait pression auprès du Ministère de l'intérieur pour lever l'interdiction le concernant (Tai Sitou est toujours interdit de séjour dans neuf états indiens, y compris le Sikkim). Le Dalaï-Lama a lui aussi un accès informel auprès d'un ministre senior siégeant au Cabinet d'union. Il s'est d'ailleurs entretenu récemment avec lui.

Éléments historiques et géopolitiques

Les autres questions que se posent les factions tibétaines à Delhi sont les suivantes : si l'évasion du garçon est véritable, pourquoi s'est-il rendu à Dharamsala et non à Rumtek, siège du Karmapa depuis la fuite du Tibet de la 16ème réincarnation ? Pourquoi le Dalaï-Lama a-t-il reçu le garçon ? Le Karmapa et le Dalaï-Lama appartiennent à des lignées distinctes et ne sont pas inféodés l'un à l'autre. Les fonctionnaires du bureau du Dalaï-Lama à Delhi affirment que "n'importe quel réfugié tibétain peut rencontrer le Dalaï-Lama, particulièrement celui qui désire obtenir un enseignement spirituel." Cependant, Sa Sainteté était en retraite lors de l'arrivée d'Orgyen Trinley, et elle n'aurait certainement pas reçu de réfugiés durant cette période.

Khenpo Rinpoché, évincé de Rumtek par Tai Sitou, cite ce qu'il croit être la preuve "essentielle" liant le Gouvernement tibétain en exil avec l'évasion du garçon : "Karzang Chime, l'associé pro-chinois de Tai Sitou, a été nommé par le Gouvernement tibétain en exil à son bureau de Katmandu en octobre. C’était uniquement dans ce but."

Quelles sont donc les motivations du Dalaï-Lama ? Puisque les négociations commencées après la reconnaissance du Karmapa par la Chine ont échoué, le Dalaï-Lama âgé de 64 ans, s’inquièterait de l'avenir du Tibet et de ses exilés. Il souhaiterait que le problème se résolve de son vivant et craindrait de laisser dans l'histoire l'image d'un Dalaï-Lama ayant perdu son royaume et mort en exil - une crainte renforcée par un récent accident de la route.

Le Karmapa cherchant refuge à Dharamsala aurait renforcé ainsi la vision du Dalaï-Lama, d'une communauté tibétaine unifiée sous sa direction. Le précédent Karmapa, attentif à conserver l'identité distincte de son ordre, n'avait pas désiré payer un tel tribu.

De plus, la lignée Karma Kagyu est plus populaire en Occident (le Dalaï-Lama n’est apparu comme un modèle spirituel aux Etats-Unis qu’à la fin des années soixante-dix), elle dispose d’une énorme richesse (ses actifs sont estimés à 1,2 milliards de dollars) (NdT : environ 1 300 000 000€) et elle a beaucoup d'influence et de nombreux membres. Ceux-ci pourraient passer sous le contrôle du Dalaï-Lama si le jeune Karmapa acceptait sa suprématie. Ainsi, les écoles Gelug et Kagyu engloberaient la majeure partie des bouddhistes tibétains. Cela permettrait au Dalaï-Lama de devenir le porte-parole de la plupart des tibétains.

Concernant Washington, en quelques jours et avant que l'évasion du Karmapa ne soit connue, la coordonnatrice spéciale américaine pour le Tibet, Julia Taft, était à Dharamsala. Deux jours après sa visite, le porte-parole du département d'Etat a mentionné le besoin d'un dialogue entre la Chine et le Dalaï-Lama. L'intervention américaine pourrait aider les deux parties à ouvrir un nouveau chapitre de négociations. Si tout allait bien, le Dalaï-Lama pouvait modérer ses craintes et la Chine pouvait régler une source de tensions. Seule l'Inde très nerveuse, avançait sur une corde raide.

Les quatre principales lignées bouddhistes tibétaines :

* Gelugpa : fondée au 14ème siècle et dirigée par le Dalaï-Lama. Le Panchen Lama est le 2ème leader le plus important de la lignée. Le siège en exil des Gelugpa se trouve à Dharamsala, en Inde.

* Kagyupa : fondée au 11ème siècle et dirigée par le Gyalwa Karmapa, chef de la lignée Karma Kagyu. Le siège en exil des Karma Kagyu se trouve à Rumtek, au Sikkim.

* Sakyapa : fondée à la même époque que la lignée Kagyupa. Elle est dirigée par l'actuel héritier, Sakya Trinzin. Le siège des Sakyapa se trouve à Dehradun, en Inde. C'est la seule école dont le chef spirituel se marie et produit un héritier.

* Nyingmapa : elle est l'école la plus ancienne et universellement acceptée au Tibet jusqu'au 11ème siècle. Il n'y a aucun supérieur désigné.

Il n'y a aucune hiérarchie d'importance parmi les chefs des différentes écoles. Le Dalaï-Lama, en sa fonction de chef politique, a cependant plus d'influence que les autres. Le premier lama dirigeant du Tibet était issu de l'école Sakya. Il pris le pouvoir en 1244, avec l'aide des Khans Mongols. Cette lignée a conservé le pouvoir jusqu'à 1369. Depuis lors, Beijing a toujours joué un rôle dans la politique tibétaine. Les Karmapa ont régné de 1369 à 1642, c'était la période Kagyu. Puis, ils ont violemment été renversés par les Gelugpa, qui ont intronisé le 5ème Dalaï-Lama. L'actuel Dalaï-Lama est la 14ème incarnation."

Le mystérieux moine

"Indian Today", 7 février 2000

Par Sayantan Chakravarty

Tai Sitou peut cesser les échanges avec Beijing et faire lever son interdiction de séjour par Delhi. Il soutient également le Karmapa fugitif.

C'est au début de la nouvelle année qu'Orgyen Trinley Dorje, le 17ème Karmapa de la lignée Karma Kagyu du bouddhisme tibétain, a finalement quitté son monastère du Tibet pour entrer au Népal. Tai Sitou Rinpoché, l’un des quatre régents du 16ème Karmapa désignés pour gérer la lignée jusqu'à la découverte et l'intronisation de la prochaine incarnation, attendait sa venue.

Après sa rencontre avec le fugitif, Tai Sitou l'escorta à McIeodganj, siège du Gouvernement tibétain en exil. Dans les jours qui suivirent, Sitoupa fut nommé par les médias et de façon plus générale, comme le mentor ou précepteur et le plus proche confident du jeune Karmapa. Pour un homme banni de l'Inde durant un an et demi, Il était particulièrement occupé. Muet, évitant les nombreuses interviews de la presse, Tai Sitou ne trouva du temps que pour manifester sa joie au Karmapa. Il a notamment exprimé qu'il serait heureux que le jeune moine se rende au siège de la lignée Karma Kagyu, c'est-à-dire, le monastère de Rumtek au Sikkim.

Situé à Rumtek, le "Joint Action Committee (JAC)", une association d'entités politico-religieuses, avait en effet formulé une demande pour la venue du Karmapa. Sa présence serait une opportunité considérable, puisque le chef de Rumtek contrôle également les 350 (certains rapports secrets mentionnent 600) monastères situés dans le monde entier ainsi qu'une richesse estimée au milliard de dollars.

Le monastère de Rumtek exerce une grande influence à travers tout le Sikkim depuis 1958, jour où Chogyal offrit le monastère au 16ème Karmapa. Le Sikkim a été annexé à l'Inde en 1975, mais la Chine ne reconnaît pas cette fusion. Ainsi une joute pro-chinoise installée au monastère de Rumtek constitue un risque potentiel.

C'est précisément ce que fait remarquer Shamar Rinpoché, ancien régent de Rumtek avec notamment Tai Sitou. Ils sont aujourd'hui ennemis jurés. En 1993, Shamarpa découvre son propre Karmapa, Thayé Dorje, rejetant Orgyen Dorje, point d'orgue de la conspiration Tai Sitou-Chine. Rappelons que la cérémonie de reconnaissance d'Orgyen Dorje comme le 17ème Karmapa avait été facilitée par Beijing.

En 1984, soit un quart de siècle après avoir la fuite du Tibet dénonçant la répression chinoise, Tai Sitou se rend en Chine. Là-bas, il rencontre de nombreux politiciens importants notamment, selon les renseignements officiels, Deng Xiaoping. Il aurait même présenté un plan de développement du Tibet défendant l'idée d'une plus grande interaction avec la Chine.

Tai Sitou est aussi devenu un proche de Nar Bahadur Bhandari, futur Premier ministre du Sikkim ayant des opinions particulièrement provocantes. Le "JAC" s'est d'ailleurs constitué grâce au soutien de Bhandari, au moment où le Gouvernement de l'Union Indienne était résistant face à une influence chinoise grandissante dans la région.

En 1993, Chen Li An, le Premier ministre de Taiwan, s'est secrètement rendu à Rumtek, invité par Tai Sitou et Bhandari. Ils ont évoqué ensemble la venue d'Orgyen Dorje à Rumtek. L’Inde a très peu de relations diplomatiques avec Taiwan, c'est pourquoi à peine alerté, le Gouvernement central a mis immédiatement Tai Sitou sur la liste noire.

Proche de Ram Jethmalani, Sitoupa a tenté de faire révoquer son bannissement. Finalement, le 5 août 1998, le Secrétaire d'état de l'Union a permit à Tai Sitou d'entrer sur le territoire indien, en l'avertissant toutefois, de ne pas se rendre au Jammu, au Cachemire, au Sikkim ni au nord-est du pays. Il lui a été également demandé de ne pas s'intéresser aux affaires du monastère de Rumtek, spécialement en ce qui concerne la venue du 17ème Karmapa. Malheureusement, il semble que Sitou Rinpoché ait violé cette dernière clause, quelques semaines plus tard.

À la suite de la venue du Karmapa, deux courants ont émergé dans l'assemblée indienne.

D’une part, le Shamarpa rejoint grosso modo les conclusion des services de renseignements et des agences de sécurité internes, telles l'IB et la RAW.

D’autre part, laisser Tai Sitou libre, est probablement le plan d'un groupe pro-chinois à l'intérieur même du Ministère des affaires étrangères indien, lequel semble être réconcilié avec la suzeraineté de Beijing sur Lhassa.

Paradoxalement, le Dalaï-Lama est ouvertement anti-chinois mais il est prêt à reconnaître Orgyen Dorje comme le 17ème Karmapa, reconnu lui aussi par Beijing. La clé du mystère se trouve dans un rapport envoyé le 24 mai 1997 par K.Sreedhar Rao (alors, Secrétaire général du Sikkim) à T.S, R. Subramaniam (alors, Secrétaire du cabinet). Ce rapport mentionne que : "la raison pour laquelle le Dalaï-Lama a approuvé la réincarnation (...) sans preuve réelle ni vérification adéquate, mérite d'être analysée. Il est possible qu'un petit cercle autour de lui ait été influencé par les Chinois."

La lettre de Rao signale également que "tout le long de la chaîne himalayenne, depuis le Ladakh jusqu'à l'Arunachal Pradesh, l'influence du bouddhisme tibétain est très étendue grâce à un chapelet de monastères... Pas moins de onze monastères sont actuellement dirigés par des lamas protégés par la Chine. L'arrivée d'un "natif chinois" comme le Karmapa suggère que Beijing se prépare à l'après-Dalaï-Lama. La volonté d'établissement du Karmapa tibétain à Rumtek [ ... ] pourrait à long terme devenir plus problématique."

La réfutation de la prétendue richesse de la lignée Kagyu

le 23 mars 2000

"Nous, les administrateurs du "Karmapa Charitable Trust", avons pris aujourd'hui la résolution d’intenter immédiatement un procès à quiconque affirmera que le "Trust" détient une fortune de 1,2 milliards de dollars (NdT : environ 1 300 000 000€). Ce montant est totalement faux, sans fondement et diffamatoire.

Le 16ème Karmapa, Rangjung Rigpai Dorje lui-même, n'a jamais demandé une quelconque estimation de la richesse du "Karmapa Charitable Trust". Il n'a jamais demandé aux administrateurs, d‘effectuer une telle estimation. En outre, le "Trust" n'a jamais évalué sa valeur après la mort du 16ème Karmapa.

Depuis sa fondation, le "Karmapa Charitable Trust" n’a jamais possédé une telle richesse, même inférieure à 1,2 milliards de dollars.

En réalité, les saintes antiquités religieuses sous la garde du "Trust" sont sans prix. La "coiffe noire" ainsi que bien d'autres reliques ne peuvent être estimées en dollars. De même, le "Trust" n'a jamais vendu et ne vendra jamais ces objets, comme certains individus ont pu l'affirmer.

Ainsi, nous prions instamment tout individu ou groupe d’individus de cesser immédiatement ces fausses allégations concernant une soi-disant richesse d'un montant de 1,2 milliards de dollars. Auquel cas, nous ferons appel aux moyens légaux qui sont les nôtres, contre ces affirmations injustifiées et malveillantes."

Kunzig Shamar Rinpoché

Gyan Jyoti

T.S. Gyaltsen

Orgyen Trinley pourrait être un adulte !

Dans Amar Ujala, journal de Chandigarh, écrit en Hindi, le 14 avril 2000, par docteur Upendra

"... Ainsi Karmapa est un adulte !

Le 17ème Karmapa, Orgyen Trinley Dorje, est en réalité un adulte et non un garçon de 14 ans, comme l’affirment le Gouvernement chinois ou le Gouvernement tibétain en exil.

Cette affirmation fait suite à l'examen approfondi de la radiographie pulmonaire, de l’électrocardiogramme, de l’examen par ultrasons des reins, du foie, de l’estomac, de l’analyse de sang, …effectués au P.G.I. (Post Graduate Institute of Medical Education and Research). Ces examens montrent que Karmapa Dorje serait en fait un homme adulte.

Un membre de l’équipe des spécialistes qui a ausculté le Karmapa au P.G.I, déclare qu'après l'examen approfondi, le Karmapa ne peut pas avoir moins de 24 ans. Il n'y a aucun doute. "Selon les données statistiques des textes médicaux, le système veineux, le thymus, la thyroïde et la structure entière du corps, sont ceux d'un homme adulte", explique le professeur S. K. Sharma, directeur du P.G.I au journal Amar Ujala. Le professeur affirme que Orgyen Dorje est un homme adulte, bien qu'il ne mentionne pas véritablement son âge (24 ou 27ans). Il déclare : "je pourrais seulement dire selon le rapport médical que le Karmapa a dépassé les 21 ans. Il ne peut, de toute façon, pas être mineur".

Le professeur Sharma admet qu'il peut y avoir une légère différence de six mois ou d’une année en raison du régime alimentaire de la personne. Cependant, après examen approfondi, on ne peut pas soutenir que Karmapa soit mineur.

Puisque le rapport médical prouve que le Karmapa est un adulte, le Gouvernement chinois ne peut en aucun cas revendiquer au Gouvernement indien, le renvoi du Karmapa au Tibet, prétextant qu'il est un mineur âgé de 14 ans. Il est donc venu en Inde selon son propre désir. En tant qu’adulte, il peut juger par lui-même de ce qui est bon ou mauvais."

Orgyen Trinley pourrait être, en réalité, Kalep Tulkou du Kham

Chodrag Namgyal, dans un article "Treachery at its best" ("Un traître sans égal"), publié sur le réseau : http://www.karmapa-issue.org/

"Avant sa reconnaissance comme le Karmapa, le jeune Orgyen Trinley avait déjà été reconnu comme Kalep Tulkou par Khamtrul Rinpoché. Dans sa vie précédente, Kalep lama était l'oncle du père d'Orgyen Trinley. Ce fait a toujours été caché. S'il était réellement le Karmapa, il aurait du s'auto identifier. Comme le font d'ailleurs tous les Karmapa, comme l'a fait Thayé Dorje. Comment alors pourrait-on confondre le Karmapa avec un moine ordinaire comme Kalep lama ?

La reconnaissance d'Orgyen Trinley comme le 17ème Karmapa était seulement d'ordre politique. Rétrospectivement, cette affaire s'est déroulée lorsque le Gouvernement chinois a voulu établir le Panchen Lama. Avant cela, les Chinois auraient souhaité commencer leurs manigances avec le Karmapa. Ainsi, ils auraient renforcé la pression exercée sur Sitou Rinpoché, en lui faisant miroiter de nombreux avantages et intérêts personnels, afin d'installer un Karmapa aussitôt que possible. Sitou aurait alors conseillé Orgyen Trinley de devenir le 17ème Karmapa puisqu'il avait les même yeux que le 16ème Karmapa. Autre bon point, Sitoupa préférait un enfant issu d'une famille modeste comme lui-même l'était. Puis, Sitoupa, ses complices et le Gouvernement chinois, ont reconnu l'enfant comme le 17ème Karmapa. La Chine a également forcé le monastère de Khamtrul Rinpoché d'accepter ce changement. Tous les détails de l'affaire sont disponibles chez les Chinois." Tout cet épisode dévoile Tai Sitou Rinpoché comme un traître sans égal.

La "Conférence Internationale Karma Kagyu" à Dharamsala

"Time of India", le 20 août 2000

"Orgyen Trinley Dorje reconnu comme le 17ème Karmapa

La troisième "Conférence Internationale Karma Kagyu" organisée au monastère de Gyuto près de Dharamsala, a unanimement reconnu Orgyen Trinley Dorje comme le 17ème Karmapa.

La conférence, suivie par des délégués de différents pays, a exprimé des inquiétudes quant à la controverse soulevée par Shamar Rinpoché et quelques autres disciples. Cette controverse cause beaucoup de torts à la lignée Kagyu, c'est pourquoi des mesures immédiates ont été prises pour en finir avec cette affaire.

De nombreuses copies de la lettre envoyée par Shamar Rinpoché au Dalaï-Lama ont été distribuées à la conférence. Cette lettre mentionne qu'Orgyen Trinley Dorje a été choisi par Sitou Rinpoché avec l'appui des Chinois. Shamarpa quant à lui, a choisi Thayé Dorje. Les deux Karmapa doivent donc être acceptés respectivement. Cependant, le Dalaï-Lama a rejeté la théorie des deux Karmapa. Il a annoncé que le monastère de Rumtek était le véritable siège du Karmapa et qu'ainsi, Orgyen Trinley Dorje devait en assurer la charge.

Les conférenciers ont conclu que dans de telles circonstances, il n'y avait aucun doute à avoir sur l'identité du véritable Karmapa. Ils ont décidé de demander que le Gouvernement indien accorde l'asile politique à Orgyen Trinley Dorje".

Communiqué à tous les journalistes internationaux de la "Conférence Internationale Karma Kagyu"

"Le 18 août 2000 se tiendra un meeting international Karma Kagyu à Dharamsala, en Inde.

Ce communiqué vous informe que, 22 hauts rinpochés Karma Kagyu, 19 khenpos Karma Kagyu, 85 maîtres de retraite Karma Kagyu, plus de 2000 moines et moniales Karma Kagyu de 35 monastères et de 300 centres Karma Kagyu, ne participeront pas à cette réunion "internationale". Ces rinpochés, khenpos, maîtres de retraite, monastères et centres soutiennent unanimement Trinley Thayé Dorje comme le 17ème Karmapa et ils respectent Shamarpa comme le second leader de la lignée Karma Kagyu, après S.S. le Karmapa.

Nous ne formons ni un groupe officieux, ni rebelle. Nous sommes en réalité, dévoués à la préservation, à la protection et à l’authenticité de notre lignée vieille de 900 ans. Notre tradition a toujours été indépendante de toute autorité extérieure.

Ainsi, nous vous prions de mentionner, à chacune des réunions organisées à Dharamsala, et d'une façon très précise, le nombre de rinpochés, khenpos, moines, nonnes et pratiquants absents.

Vous trouverez ci-joint la liste des noms et les signatures des 22 rinpochés fortement attachés à la tradition Karma Kagyu, qui soutiennent le Karmapa Thayé Dorje et qui seront absents lors de la prochaine réunion. Tous ces rinpochés et enseignants vivent à l'extérieur du Tibet contrôlé par la Chine".

Réactions des responsables Kagyu, publiées dans la presse

New Delhi, le 19 août

Article paru dans le journal "Asian Age", par Rajeev Khanna

Cet article résume l'agacement des disciples de Shamarpa

"Les disciples de la tradition Karma Kagyu ont exprimé leur opposition au meeting international Karma Kagyu qui s’est tenu à Dharamsala. Ils décrivent cette réunion comme une tentative pour faire pression sur le Gouvernement indien afin de conduire Orgyen Trinley Dorje, reconnu comme le 17ème Karmapa par la Chine, à Rumtek au Sikkim.

Suite à la réunion de Dharamsala, de nombreuses organisations internationales de la lignée Karma Kagyu ont écrit des centaines de lettres au Premier ministre Atal Behari Vajpayee afin d'empêcher la venue du garçon à Rumtek.

Khenpo et directeur de la "Khenpo Society" de la lignée Karma Kagyu, Chodrag Tenphel Rinpoché a expliqué que :

- la soi-disant "Conférence Internationale Karma Kagyu" est simplement une réunion de certaines factions des disciples Kagyu soutenant Orgyen Trinley. En fait, ils n'ont pas d'autorité légale pour trancher définitivement des questions concernant la tradition Karma Kagyu. Toutes les décisions doivent être prises par le "Karmapa Charitable Trust", l’organisme légal de la tradition Karma Kagyu en Inde. Ainsi, les décisions prises par cette faction ne peuvent en aucun cas être acceptées.

Membre permanent du "Forum International Karma Kagyu", M. Yeshey Jungney confie au journal "Asian Age" : "Nous sommes contrariés qu'une réunion puisse être organisée à Dharamsala, siège du Gouvernement tibétain en exil et du Dalaï-lama. Jamais auparavant une telle conférence a eu lieu à Dharamsala sous la coupe du Gouvernement tibétain. Même autrefois au Tibet, on n’a jamais entendu parler de telles conférences".

M. Jungney termine : "Nous condamnons cette prétendue réunion conçue pour induire en erreur le gouvernement et les véritables disciples du Gyalwa Karmapa du monde entier."

La situation à Rumtek aujourd'hui

Extrait du "The Straits Times" (Singapore)

Le 7 mai 2000 - RUMTEK (Sikkim) Nirmal Ghosh

Sanctuaire sous état de siège

"(…) Sur le toit du monastère, un policier armé - un des 20 policiers assignés à Rumtek - a une vue d'ensemble de la route étroite serpentant depuis le bas de la montagne jusqu’à la porte du monastère et plus loin, passant entre les maisons éparpillées. Juste au-dessous de lui, deux femmes tibétaines sont assises, égrenant leur chapelet et fixant la route. Le policier explique : "Vous voyez ces femmes ? Elles sont assises là toute la journée, surveillant la route parce qu'elles peuvent reconnaître les autres lamas. Nous, nous ne pouvons pas le faire." Et il continue : "Si un lama de l'autre clan arrive, elles nous avertissent aussitôt."

"L'autre clan" est la faction rivale de la lignée Kagyu, dirigée par Shamar Rinpoché qui, en 1994 à New Delhi, a reconnu Trinley Thayé Dorje, alors âgé de 11 ans, comme le 17ème Gyalwa Karmapa.

Il a agi de la sorte en raison d’un incident survenu en 1993, qui a secoué l'image mondiale du bouddhisme tibétain. Une émeute a eu lieu au monastère de Rumtek, lors de laquelle les moines se sont battus avec une extrême violence. La faction menée par Gyaltsab et Sitou Rinpochés a battu celle menée par Shamar Rinpoché, forcée de se retirer dans la résidence de Shamarpa située à 1 km au-dessous du monastère. Rumtek se trouve à une altitude de 1.500 mètres dans l'Himalaya oriental tropical, à environ 100 km de la frontière entre l'Inde et le Tibet.

La situation est loin de la vision romantique que beaucoup d’Occidentaux (et d’Asiatiques) ont du bouddhisme tibétain. Face aux pressions politiques contemporaines et aux attentes des grandes puissances, c'est l'avenir de bouddhisme tibétain institutionnalisé qui est en cause (…)".

Bataille pour l'âme du Tibet, "Asiaweek", octobre 2000

En octobre 2000, un article de fond est publié dans "Asiaweek", grand hebdomadaire de HongKong. Cet article a été écrit par un journaliste qui a enquêté plusieurs mois sur cette affaire. C’est la première fois qu’un média décrit et analyse si clairement la controverse. Cet article a d’ailleurs été repris dans l'hebdomadaire français "Courrier International" de janvier 2001.

Par Julian GEARING

"Lhassa et Dharamsala

Alors que les exilés tibétains se battent pour déterminer la véritable incarnation d'un grand lama, Beijing appose son sceau sur la procédure. Les Chinois choisiront-ils le prochain Dalaï-Lama ?

Orgyen Trinley peut encore trouver le moyen de sourire, mais sa patience s'épuise. L'intérêt tonitruant médiatique du début a fait place à l'ennui. Il reste désormais dans l’attente, les jours devenant des mois. Depuis la cage dorée de sa captivité au monastère de Gyuto, au bas de la colline de la résidence du Dalaï-Lama en exil à Dharamsala, le Karmapa de 15 ans offre des audiences fugaces aux pèlerins bouddhistes, acceptant les écharpes de prière et distribuant des rubans rouges. Mystère : Orgyen Trinley est gardé par des soldats qui l'empêchent de donner des interviews. Son destin est en grande partie entre les mains des autorités indiennes. Elles doivent décider si elles prennent ou non le risque d’une colère chinoise en l'autorisant à monter sur le trône du Karmapa en exil, au monastère de Rumtek au Sikkim. Elles ont été surprises et très embarrassées par sa soudaine arrivée sur le sol indien, il y a neuf mois de cela.

À ce moment-là, la communauté tibétaine en exil et les journalistes internationaux ont écouté avec enthousiasme l'histoire du grand, du beau Karmapa bravant les cols des montagnes enneigées et les garde-frontières, fuyant son pays natal sous contrôle chinois. L'évasion du jeune lama a fait écho à celle du Dalaï-Lama lui-même, en 1959. De nombreuses personnes se sont alors demandées : "Ce garçon charismatique pourrait-il succéder au vieillissant 14ème Dalaï-Lama en tant que chef de la diaspora tibétaine ?" La question revêt une urgence supplémentaire du fait que les Tibétains à l'étranger sont de plus en plus troublés par les désaccords internes, autant que par le manque de progrès dans les tentatives d'ouverture d’un dialogue avec Beijing sur l'avenir du Tibet.

Mais qui est Orgyen Trinley ? Est-il le véritable 17ème Karmapa, troisième chef tibétain après le Dalaï-Lama et le Panchen Lama ?

Arraché à une tente de nomade à l'âge de sept ans, il a été installé - avec la bénédiction de Beijing - dans le monastère de Tsurphou au Tibet, comme chef de l'école Karma Kagyu, neuf fois centenaire, et l'une des quatre écoles bouddhistes du pays. Cependant, de sérieuses allégations de fraude et de magouilles politiques à l’encontre de ses partisans ont depuis plané sur sa reconnaissance, suivies de l'apparition d'un Karmapa rival en 1994. Depuis l'arrivée d'Orgyen Trinley à Dharamsala, siège du Gouvernement tibétain en exil, la controverse s'est intensifiée. Sa sortie de Chine n'a pas seulement élargi les divisions internes de la lignée Karma Kagyu, mais elle a aussi fixé l'attention sur l'inimitié très légèrement dissimulée entre l'école Kagyupa et l'école dominante Gelugpa du Dalaï-Lama.

Plus important, la controverse des Karmapa a mis en relief l'implication grandissante de Beijing dans la sélection des grands lamas. Si les Chinois peuvent déterminer qui sera reconnu comme prochain Dalaï-Lama, Panchen ou Karmapa, leur contrôle sur le Tibet sera scellé du fait que les grands lamas sont révérés par une population profondément pieuse. Pour les Tibétains en exil, c'est un cauchemar de plus en plus manifeste. Le Dalaï-Lama, largement considéré comme la seule figure possédant l'autorité pour maintenir uni le mouvement tibétain en exil, a maintenant 65 ans. "Lorsqu'il mourra, il y aura du danger par ici", explique Thupten Rikey, rédacteur du "Tibet Journal", basé à Dharamsala. La crainte d’une éventuelle mort du Dalaï-Lama s'est intensifiée depuis un récent accident de voiture. "S'il meurt et si Beijing peut influencer ou nommer sa prochaine réincarnation, les exilés auront des ennuis", confie un spécialiste du Tibet à HongKong. "Beaucoup de choses dépendront de la façon dont cette affaire de Karmapa se déroulera".

Le responsable de la reconnaissance d'Orgyen Trinley et de son intronisation est Tai Sitou Rinpoché, âgé de 45 ans. Il est l'un des quatre régents en charge de la transmission de la lignée Karma Kagyu, et force l'admiration, tant des disciples tibétains qu'occidentaux. De Taipei à New York, des centaines de milliers louent ses efforts de diffusion du Dharma, ou des enseignements. Ils placent aussi leur foi en son jugement sur les questions clés, telles que la reconnaissance du Karmapa.

Assis dans son spacieux et nouveau monastère de Shérab Ling, à deux heures de route de son lieu de fonction, Tai Sitou est affable et parle avec douceur. Orgyen Trinley, insiste-t-il, est la véritable incarnation du précédent et très vénéré 16ème Karmapa. "Il n'y a rien à prouver, c'est déjà prouvé", dit le régent à "Asiaweek". "Le Karmapa est le Karmapa, le Bouddha est le Bouddha, le Dalaï-Lama est le Dalaï-Lama. Nous sommes des croyants. C'est ainsi".

Le petit moine à lunette a de l'influence, du pouvoir et certainement de l'argent. Alors qu'un groupe de disciples occidentaux attend patiemment une bénédiction, un artiste bhoutanais met la touche finale à une immense statue de Bouddha dans le temple principal de ce monastère moderne installé sur 47 acres de collines boisées. Un des deux cents moines nettoie et fait briller la grande photo d'Orgyen Trinley placée sur le trône principal. Avec son accueil efficace, son restaurant extérieur et ses 4x4 parqués à l'entrée, l'établissement n’a rien à voir avec les sombres chambres des monastères médiévaux tibétains infestés de rats. De la musique pop occidentale provient d’une minichaîne stéréo d'un des lumineux quartiers d’habitation des moines. Seul le hall de prière caverneux rappelle le Tibet traditionnel.

La recherche du Karmapa, dit Tai Sitou, "a été conduite en accord avec les instructions du Karmapa précédent", sous forme d'une lettre qui, dit-il, avait été écrite par le prédécesseur d'Orgyen Trinley. La lignée Karma Kagyu a initié la pratique de la recherche des grands lamas réincarnés il y a neuf siècles. Les Tibétains croient que les lamas réalisés disposent de moyens tels que lettres, rêves, méditation et signes pour identifier les tulkous, ou être éveillés. Tai Sitou est lui-même un tulkou.

Mais aux yeux de ses opposants, il y a une autre facette du régent. Ils l'accusent de contrefaçon, de violence, d'intimidation, de tromper le Dalaï-Lama et de négocier avec Beijing, afin de s'assurer le contrôle de la lignée Karma Kagyu. Le Gouvernement indien aussi s’intéresse à Tai Sitou, lequel a reçu le mois précédent un avertissement de la Chine s’opposant à l'octroi de l'asile politique d'Orgyen Trinley au Sikkim. Le régent, interdit de séjour en Inde de 1994 à 1998 sous prétexte "d’activités anti-indiennes et criminelles", n’est actuellement pas autorisé à pénétrer au Sikkim. Les Indiens se préoccupent également de la loi et de l'ordre, suite aux altercations entre les moines de Tai Sitou et les disciples du régent rival des Karma Kagyu, Shamar Rinpoché. Shamarpa a présenté un autre prétendant au trône des Karmapa : Thayé Dorje.

Alors qu'Orgyen Trinley est bloqué à Dharamsala, Thayé Dorje âgé de 17 ans - sorti tranquillement et avec entrain du Tibet il y a six ans - est libre de parcourir le monde, donnant des enseignements. "Les gens peuvent se rassurer quant au fait qu'il est le Karmapa ; il a été reconnu conformément aux traditions Karma Kagyu", dit le cinglant Shamarpa à Asiaweek. Il y a six ans, grâce à un rêve, à la méditation et à des signes de bon augure, il a trouvé Thayé Dorje, résidant alors non loin du temple du Jokang à Lhassa. "Le 16ème Karmapa a réaffirmé ma position en tant que Shamarpa, le deuxième plus haut rang de notre école", ajoute-t-il. "Le Shamarpa a historiquement été autorisé à identifier et à reconnaître le Karmapa".

Cette impasse signifie que les deux prétendants sont dans les limbes, attendant le couronnement officiel et la remise de la coiffe noire, une cérémonie supposée avoir lieu le vingt et unième anniversaire du Karmapa. Il n'y a jamais eu une telle crise dans l'histoire des successions spirituelles tibétaines. Des candidats en lice, oui, mais avec une seule reconnaissance. Désormais, il y a deux Karmapa reconnus.

Tai Sitou rejette ses rivaux. "Nous sommes attristés qu’une telle chose soit arrivée", dit-il. "De nombreuses personnes ne connaissent pas le nom de Bouddha, et interprètent mal le bouddhisme. Nous ne pouvons pas nous laisser perturber par ces événements." Assis sur un trône dans sa salle d'audience, Tai Sitou ne semble pas être perturbé. Il a la partie facile dans la guerre de propagande pour la simple raison que le Dalaï-Lama appuie Orgyen Trinley. Ce qui signifie qu'il en est de même pour la plupart des Tibétains. Tai Sitou a même été capable de surmonter le scepticisme habituel de la presse internationale. Orgyen Trinley est le Karmapa, les journalistes l'écrivent. Il n'y a rien à redire.

Néanmoins, maintenant que la recherche des réincarnations des grands lamas est sortie des remparts clos de l'Himalaya, davantage de questions se posent. Devant l'attraction grandissante et internationale pour le bouddhisme tibétain - des stars hollywoodiennes telles que Richard Gere et Pierce Brosnan sont de fervents admirateurs - ce sujet draine plus d'attention que jamais. C'est le sujet d'investigations indépendantes, de livres et même de débats sur Internet. Ce système unique serait-il sujet aux abus ? Ses gardiens s'en moqueraient-ils pour assurer leurs besoins personnels de pouvoir et de richesse ?

La réponse se trouve dans les récentes vicissitudes d'une religion médiévale. À 18 mois, Tai Sitou était reconnu comme la 12ème réincarnation issue d'une lignée de maîtres spirituels qui ont continuellement collaboré avec le Karmapa. Il vivait cependant dans un pays occupé. Quatre ans auparavant, l'armée chinoise avait parachevé sa "libération pacifique" du Tibet. L'acte était scellé par le plan en 17 points, signé entre Beijing et le représentant tibétain Ngabo Ngawang Jigme (voir interview page 73, Asiaweek). Ngabo est d'ailleurs encore insulté de nos jours par les Tibétains, pour cette manœuvre.

Lorsque le 16ème Karmapa a fui le Tibet à la veille de la révolte de 1959 contre Beijing, Tai Sitou l'a suivi. Le Dalaï-Lama est parti peu après. Les déprédations chinoises au Tibet ont atteint leur apogée durant la révolution culturelle de 1966 à 1976. Le Tibet a vu la dévastation de plus de 6.000 monastères et le meurtre, l'emprisonnement et la dispersion de dizaines de milliers de moines et de nonnes. Quand Deng Xiaoping est arrivé au pouvoir à la fin des années 70, il a essayé de réparer quelques dommages. Beijing a autorisé certains monastères à se reconstruire et à avoir une pratique religieuse limitée. Cependant, ayant échoué dans l'écrasement par la force de l'opposition tibétaine, les autorités communistes ont alors recherché à influencer la sélection des grands lamas. L'occasion s'est vite présentée.

Avec la mort du 16ème Karmapa en 1981, à l'âge de 56 ans, les quatre jeunes régents - Shamarpa, Tai Sitou, Gyaltsab Rinpoché et Jamgueun Kongtrul Rinpoché - ont été chargés de rechercher la réincarnation de leur maître. Le 16ème Karmapa s'était révélé un chef brillant et charismatique. Depuis son siège en exil à Rumtek, il avait construit un empire spirituel et temporel avec des millions de disciples et des biens importants. Il était également depuis longtemps en désaccord avec le Dalaï-Lama car son monastère au Sikkim constituait un pouvoir alternatif à celui du Gouvernement tibétain en exil de Dharamsala.

Diriger la recherche du prochain Karmapa était une tâche traditionnellement partagée en alternance par les incarnations contemporaines de Shamarpa et de Tai Sitou. Les Shamarpa avaient été bannis durant 200 ans par les Dalaï-Lama précédents. Cependant, en 1963 et dans le but d'unifier les Tibétains, le 14ème Dalaï-Lama a réinstallé les Shamarpa. Ainsi, dans la hiérarchie féodale Karma Kagyu, la réhabilitation du Shamarpa en tant que numéro deux après le Karmapa a alors précipité Tai Sitou et ses partisans à un échelon inférieur. Les problèmes ont donc commencé.

Le ressentiment a présidé à la recherche du 17ème Karmapa. Dans le même temps, les régents ont saisi l'opportunité d’établir des centres du Dharma lucratifs et populaires en Asie et en Occident. Tai Sitou a commencé à voyager à l'étranger. Ses enseignements se sont rapidement transformés en une tournée lucrative. A Hong Kong, on l'a même surnommé "le dernier empereur" en raison de son fort penchant pour les suites d'hôtels de luxe. En Écosse, son ami et assistant Akong Tulkou Rinpoché, a aidé à la fondation du centre bouddhiste "Samyé Ling". C'est Akong qui le premier, a saisi l'opportunité offerte par la nouvelle politique d'ouverture de la Chine.

En tentant de récupérer quelques Tibétains en exil, Beijing a commencé à autoriser des missions de "reconnaissance" du Gouvernement tibétain en exil, ainsi que des visites privées. À la suite de déplacements au Tibet et dans la capitale chinoise, Akong s'est lancé dans une série de projets humanitaires sous l'égide de son association caritative "Rokpa" (Aide). Il aussi devenu le représentant de Tai Sitou auprès du Gouvernement chinois. Le régent lui-même, a obtenu une autorisation pour une visite de quatre mois au Tibet, durant laquelle il a fait des propositions en faveur de l'éducation et de la santé ainsi qu'en faveur de la préservation et de la propagation de la culture bouddhiste. "Du Dalaï-Lama à chaque Tibétain en exil, nous essayons de travailler avec tout le monde au Tibet, tel est notre devoir", a déclaré Tai Sitou. Comme d'autres lamas exilés, Sitoupa et Akong auraient apparemment cherché à aider leur peuple et à reconstruire l'infrastructure religieuse endommagée. C'est pourquoi Beijing a désigné Akong comme un "Bouddha vivant".

Le retard pris dans la recherche du 17ème Karmapa a donné lieu à des reproches. Les supporters de Tai Sitou ont alors commencé une campagne de diffusion de lettres et de fax condamnant Shamarpa. Ils ont entamé - et perdu - un procès, l'accusant d'avoir voulu voler les biens du Karmapa. Le 19 mars 1992, Tai Sitou a montré aux trois autres régents une lettre de format A4, supposée écrite par le 16ème Karmapa. Cette lettre leur indiquait où ils pourraient retrouver sa réincarnation. Ce fut un choc pour Shamarpa. "La lettre était manifestement fausse", dit-il. "Je l'ai examinée mot par mot, et j'ai réalisé que l'écriture manuscrite n'était pas celle du 16ème Karmapa, mais semblait plutôt être celle de Tai Sitou. Cependant, Tai Sitou a obstinément refusé de faire expertiser la lettre".

Tai Sitou a ensuite faxé une copie de la lettre au Dalaï-Lama en lui affirmant que tous les régents avaient accepté son authenticité (bien que Shamarpa ne l'ait pas fait). C'est sur cette affirmation, que le Dalaï-Lama a accepté cette lettre comme authentique, véritable coup politique pour Tai Sitou. Il a orchestré l'intervention du Dalaï-Lama dans l’affaire la plus importante de l'une des quatre autres écoles bouddhistes tibétaines. Shamarpa, totalement consterné, a confié : "Ce n'était pas le rôle du Dalaï-Lama d'être impliqué dans une telle affaire. (…) Tous les Karmapa du passé ont été reconnus à l'intérieur même de la lignée Karma Kagyu".

Orgyen Trinley a été identifié à partir des supposées instructions laissées dans la lettre. Cependant, les disciples de Shamarpa déclarent qu'avant même la reconnaissance du Dalaï-Lama, Sitoupa s'était rendu au Tibet, avait trouvé son candidat et clarifié son choix avec Beijing. En 1991, il aurait donné une initiation à Orgyen Trinley au Tibet. La même année, selon une source gouvernementale chinoise, Beijing aurait publié une directive interne autorisant les moines du monastère de Tsurphou à rechercher le nouveau Karmapa "sur la base des souhaits du 16ème Karmapa". Une source tibétaine remarque : "Ceci indique que Tai Sitou était probablement lié aux Chinois seulement depuis la lettre de prédiction en sa possession". (La réponse du régent fait écho aux paroles de son ami Akong Rinpoché : "Nous essayons de travailler avec tout le monde à l'intérieur du Tibet. C'est notre devoir"). Au cours d'une somptueuse cérémonie organisée en 1992 et à laquelle assistèrent des milliers de personnes, Orgyen Trinley, surnommé "le Karmapa chinois", a été installé dans le monastère de Tsurphou, au Tibet. Cet épisode marque la première participation des communistes chinois à la reconnaissance d'un grand lama tibétain.

Le conflit entre les différentes lignées a empiré parmi les exilés tibétains. En 1993, les disciples de Tai Sitou ont utilisé la violence pour dépouiller Shamarpa et ses partisans, du monastère de Rumtek. L'année suivante, Orgyen Trinley a été invité sur la place Tienanmen et dans la grande Maison du peuple de Beijing. Le président chinois, Jiang Zemin, l'a félicité et lui a demandé de travailler pour le bien de la Mère patrie et du Parti communiste.

La réussite de la reconnaissance du Karmapa a encouragé les Chinois à récidiver sans tarder. Le 10ème Panchen Lama mort en 1989, aucune réincarnation n'avait été reconnue depuis. Lors d'une réunion secrète organisée en 1993 entre des supérieurs chinois et des officiels tibétains, un plan est mis en place afin d'enlever au Dalaï-Lama le contrôle sur les reconnaissances des chefs spirituels tibétains. En 1995, lorsque le Dalaï-Lama a annoncé sa découverte de Gedhun Choekyi Nyima, âgé de 5 ans, comme le nouveau Panchen Lama, les Chinois ont arrêté le garçon. Ils ont quant à eux reconnu Gyaltsen Norbu, âgé lui aussi de 5 ans et fils d'un cadre communiste, en tant que 11ème Panchen Lama. Cette affaire a eu de graves conséquences pour le Dalaï-Lama. En effet, Sa Sainteté et le Panchen dépendent tous deux de la lignée Gelugpa. Le Panchen Lama est lui seul habilité à reconnaître les réincarnations du Dalaï-Lama. Et actuellement les Chinois ont les deux Panchen entre leurs mains.

Les ennuis du Dalaï-Lama n'ont cessé de s'intensifier à l'intérieur même de la communauté en exil. Sa Sainteté a été critiquée pour avoir annoncé prématurément la reconnaissance de Gedhun Choekyi Nyima, ce qui a entraîné l'arrestation du garçon. De plus, sa décision de bannir, en 1996, le culte de Shugden, déité traditionnelle de l'école Gelug, a créé encore plus de tensions. Un tel culte, explique le Dalaï-Lama, "est nuisible au Gouvernement tibétain et à la population". Les Gelug d'Inde et d'Occident ont vivement protesté contre cette interdiction. "Le Dalaï-Lama nie notre pratique religieuse, nos droits humains", dénonce Geshe Kalsang Gyatso qui dirige le centre de culte britannique "Manjushri". Le meurtre sanglant en 1997, de Lobsang Gyatso, un associé respecté du Dalaï-Lama, et de deux de ses étudiants, a fait craindre un attentat contre la vie du Dalaï-Lama. Tout cela a alimenté la machine de propagande chinoise, car les Chinois sont également connus pour financer des groupes anti-Dalaï-Lama.

L'intervention du Dalaï-Lama dans la reconnaissance du 17ème Karmapa a encore plus mis à l’épreuve les longues et difficiles relations entre les deux écoles Gelug et Karma Kagyu. Cette affaire a ravivé les souvenirs amers des années 60, lorsque le frère du Dalaï-Lama, Gyalo Thondup, avait essayé de placer toutes les écoles bouddhistes tibétaines sous le contrôle des Gelug — et par la force si nécessaire. Quand quatorze camps de réfugiés s'étaient alors réunis pour lutter contre son plan, des troubles avaient surgi à l'intérieur de la communauté. En mars 1977, le chef des camps, Gungthang Tsultrim, avait été tué à bout portant de plusieurs coups de feu. Le meurtrier avait confié avoir reçu du Gouvernement tibétain en exil, la somme de 300.000 roupies (NdT : environ 50 000FF ou 7 600€). Il avait même déclaré avoir reçu une offre encore plus importante pour assassiner le 16ème Karmapa.

Lorsque le Dalaï-Lama a accueilli Orgyen Trinley après sa fuite du Tibet en janvier de cette année (2000), des espoirs de réconciliation ont été envisagés entre les Gelug et les Karma Kagyu. Le fait que le fugitif se rende à Dharamsala plutôt qu'au siège traditionnel des Karmapa à Rumtek, suggérait qu'il se mettait sous la protection des Gelug. Cela cadrait tout à fait avec les ambitions unificatrices de cette école, voulant placer sous une même bannière les lignées spirituelles en exil.

Avec l’accumulation d’inquiétudes, cela a également remonté le moral des Gelug. En effet, le Dalaï-Lama vieillissant et incapable d'ouvrir un dialogue avec Beijing, de nombreuses demandes de plus en plus fortes pour une approche plus radicale, éventuellement violente, de l’avenir du Tibet ont vu le jour. Craignant alors le chaos et l’émergence d'une "forme plus agressive de nationalisme tibétain", Dharamsala a récemment incité les Chinois de négocier avec le Dalaï-Lama. Sans son "influence modératrice", dit le Gouvernement tibétain en exil dans un rapport de 45 pages, "diverses factions pourraient prendre part à de nombreuses actions différentes".

De même, l'arrivée d'Orgyen Trinley a aidé Tai Sitou. Le régent avait commis une erreur : mettre le Karmapa entre les mains des chinois avait rapidement tourné court. Dès que Beijing a eu son "Bouddha vivant", Tai Sitou n'était plus nécessaire. Il a regardé consterné, l'installation de Thayé Dorje comme un Karmapa rival. Lors de la cérémonie d'intronisation de 1994 à l'"Institut International Bouddhiste Karmapa" (KIBI) de Delhi, les partisans de Tai Sitou ont lancé des pierres et crié des insultes, hurlant : "Le Karmapa est un imposteur, un choix politique !" Des fenêtres ont été brisées et des douzaines de personnes ont été blessées dans la mêlée qui a durée plus d'une heure avant que la police indienne ne rétablisse l'ordre. Alors qu'Orgyen Trinley se languissait au Tibet, son bienfaiteur se désespérait de voir Thayé Dorje gagner des disciples et recevoir des donations lors de sa "tournée" internationale. Un pratiquant Karma Kagyu de Munich confie : "Tai Sitou a pu voir la foule que Thayé Dorje a attirée lorsqu'il est venu en Allemagne ou à Taiwan. Cela a miné son influence. Il a du agir afin de faire sortir Orgyen Trinley du Tibet, et d'entrer en compétition".

Comment deux Karmapa rivaux peuvent-ils se mesurer ? En août, Thayé Dorje semblait tout à fait à l'aise lors des enseignements et des bénédictions qu'il a donnés à une assemblée de 1.000 disciples en Dordogne, en France. Les réponses qu'il a apportées à leurs questions théologiques prouvent qu'il est loin d'être un cancre. Il est non seulement versé dans les écritures bouddhistes, mais aussi dans des domaines plus mondains tels que le cricket, les ordinateurs, internet et la musique des Spice Girls. Thayé Dorje aime également la pizza hawaiienne, les jeux sur ordinateur et les vidéos de Star Wars. "Le temps dira comment cela (la controverse des Karmapa) se terminera", dit-il à "Asiaweek". Et que penserait-il d’une rencontre avec Orgyen Trinley ? "Ce serait bien", répond Thayé Dorje. "Ce serait intéressant".

Le vif Orgyen Trinley d'un mètre quatre-vingt, est quant à lui plus difficile à sonder. "Asiaweek" a obtenu une audience, mais la paranoïa qui entoure "l'oiseau en cage", comme l'a murmuré un assistant, est telle qu'il n'a pas été possible de l'interviewer. Les gardes indiens ont été doublés le mois dernier, lorsque les services de renseignements ont pressenti une tentative d'évasion, probablement pour le monastère de Rumtek. Le Dalaï-Lama parle d'un poème exquis que le jeune lama est supposé lui avoir écrit. "Je vois un grand potentiel concernant sa spiritualité", dit-il. Un disciple occidental le décrit comme "spectaculaire", pourtant, d'autres parlent de tempérament colérique et de faible QI.

C'est la politique qui décidera du Karmapa. Au cours des deux derniers mois, les partisans d'Orgyen Trinley ont mis la pression sur l'Inde afin qu'elle l'autorise à s'installer au monastère de Rumtek, siège des Karmapa. En août, des centaines d'entre eux sont venus du monde entier à Dharamsala, pour prendre part à une conférence organisée sur ce sujet. Un imminent statut d'asile politique serait examiné. Mais New Delhi est circonspect. Un pratiquant occidental Karma Kagyu affirme que "Le gouvernement indien, en effet, a reconnu Thayé Dorje en l'invitant à demeurer à Delhi. (…) Et il a depuis longtemps reconnu Shamarpa comme le régent le plus important de notre lignée".

À tort ou à raison, New Delhi craint aussi que Beijing puisse jouer un double jeu. Il est peu probable que la Chine, comme le suggèrent quelques officiels indiens, ait manigancé la fuite d'Orgyen Trinley du Tibet (la plupart des sources affirment que Dharamsala, et peut-être Tai Sitou, ont joué un rôle dans cette affaire). Mais les Chinois pourraient en tirer des bénéfices s'ils étaient capables, dans le futur, de négocier avec lui en tant que représentant de la communauté tibétaine en exil.

C'est pourquoi la question de savoir si Orgyen Trinley pourrait succéder au 14ème Dalaï-Lama en tant que chef de file des Tibétains, est cruciale. Ce scénario n'est "pas possible", insiste Sonam Topgyal, Président du cabinet du Gouvernement en exil. "Le Karmapa sera comme tout autre lama, il donnera des enseignements". Mais d'autres ne sont pas d'accord, notant que bien que l'école Gelug soit actuellement dominante, d'autres lignées - incluant les Karma Kagyu - ont gouverné dans le passé. "De nombreuses personnes sont fixées à l'idée que le Dalaï-Lama gouverne, mais ceci n'est pas une nécessité", dit Akong Rinpoché à Asiaweek. "Une autre école peut s'en charger". Sonam reconnaît également : "Il y a d'autres lamas - que le Dalaï-Lama. Les Tibétains pourraient même décider d'élire une personne non religieuse."

Pour sa part, Beijing préfère attendre la mort du Dalaï-Lama. Les Chinois espèrent que ce décès mettra enfin un terme à cinq décennies de "question tibétaine". Cependant, certains Tibétains estiment que cela pourrait n'être, en fait, que le début des vrais ennuis pour Beijing. "Lorsque le Dalaï-Lama mourra, ce sera le chaos", confie Pema Lhundup, Secrétaire général du Congrès de la jeunesse tibétaine à "Asiaweek", en juillet. "Le sentiment d'impuissance à l'égard de l'occupation chinoise est à peine freiné par Sa Sainteté. Son décès pourrait être l'étincelle qui amorce un soulèvement". (Les mots de Lhundup pourraient se révéler terriblement justes. Ce franc acteur en politique est d'ailleurs décédé quelques semaines après l'interview, en tombant d'un immeuble. Un accident selon la police indienne). Un soulèvement ne ferait pas partir les soldats chinois du Tibet et serait probablement violemment réprimé. Mais ce serait une épine dans le pied pour Beijing qui s’efforce d'ouvrir plus largement son économie et d’améliorer son image internationale.

Même au Tibet, les autorités chinoises semblent se crisper. "Sans doute, pour la première fois depuis la Révolution culturelle, de simples actes de pratique religieuse font de quelqu’un un suspect", dit Ronald Schwartz, auteur de "Circle of Protest", ouvrage sur la politique tibétaine. "Cela va bien au-delà du Dalaï-Lama, et le bouddhisme tibétain est perçu lui-même comme une menace potentielle pour le pouvoir chinois. Il n'est pas impossible qu'il soit traité comme le "Falungong" ou tout autre culte défiant le pouvoir du Parti communiste".

Afin d'éviter les scénarios les plus violents, Beijing espère gagner la bataille du Tibet en contrôlant les réincarnations des grands lamas. La mort du Dalaï-Lama donnera certainement lieu à la reconnaissance du prochain Dalaï-Lama par le Panchen Lama reconnu lui-même par le Gouvernement chinois. Les Chinois ont indiqué l'année passée, que le futur Dalaï-Lama renaîtra au Tibet - et donc, sous leur contrôle. Ils considèrent comme nulle la prédiction du Dalaï-Lama annonçant qu'il renaîtra en exil. Ils s'en moquent et disent que s'il revenait en dehors du Tibet, il aurait alors les yeux bleus d'un occidental. Mais peu importe, la plupart des Tibétains n'accepteront jamais le choix chinois. Si le fait d'avoir deux Karmapa a déjà produit une telle agitation au sein même de la diaspora tibétaine, le duel entre deux Dalaï-Lama créera encore alors plus de tensions. "Les Chinois saisissent nos divisions religieuses et idéologiques et cherchent à les exploiter afin de détruire la communauté en exil", explique Sonam de Dharamsala.

C'est pourquoi la saga des Karmapa a été si destructrice pour les Tibétains. Elle a paralysé la puissante école Karma Kagyu et ouvert la porte à l'infiltration chinoise dans la politique tibétaine des réincarnations. Quel que soit celui qui l'emportera dans la course au trône du Karmapa et revêtira la coiffe noire, il trouvera une lignée déchirée. Le vainqueur devra tenir sa coiffe très fermement. Le perdant pourrait bien être le Tibet et le peuple tibétain.