Avant-propos
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Introduction à la controverse des Karmapa
Quelques données historiques
1959 : Le Karmapa s'exile en Inde
Les difficultés au temps du 16ème Karmapa
Les années 80 à 90
Les évènements de 1992
Les évènements de mai et juin 92
Campagne de propagande
Orgyen Trinley, le Karmapa de Sitou Rinpoché
Les événements de novembre et décembre 1992 à Rumtek
Informations concernant le Sikkim
Année 93 : la situation dégénère à Rumtek
Identification du 17ème Karmapa Trinley Thayé Dorje
L’année 1994
La controverse : confrontation des points de vues
Les rapports entre Shamar Rinpoché et le Dalaï-Lama
Survol des événements des années 1994 à 1999
Année 2000
Année 2001
Chronologie des événements
Bibliographie et sources d’informations
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Introduction à la controverse des Karmapa

Politique et Religion (Introduction aux "Karmapa Papers")

Introduction à "The Buddha cries, Karmapa conundrum" (l’énigme Karmapa)


Politique et Religion (Introduction aux "Karmapa Papers")

On considère souvent la vie religieuse, la recherche de la vérité suprême et le développement de qualités spirituelles, comme l’opposé d’un engagement dans la politique, ce qu’on appelle les affaires du monde. Si nous regardons la vie de Milarepa, il donne un exemple de ce point de vue. Il a laissé derrière lui toutes les complexités sociales, a mené une vie complètement indépendante, n'a fondé aucune organisation et a communiqué le Dharma d'une façon très directe. Cependant, il est difficile de séparer la religion, de la société dans laquelle elle est pratiquée. Avec la diffusion du Bouddhisme au Tibet, la politique et les questions religieuses sont devenues liées. Les rois et les familles nobles étaient les bienfaiteurs souvent actifs des monastères et des enseignants, ce qui a mené ces derniers à une large dépendance. Avec le temps, les monastères ont accumulé richesse et pouvoir et, en plus de leur importance religieuse, sont devenus des facteurs socio-politiques partout au Tibet.

Ainsi les détenteurs de lignées comme les Karmapa, ont eu deux rôles différents : d'une part ils représentent le sommet de la spiritualité, donnant des conseils à d’innombrables étudiants. D'autre part, ils sont les chefs des écoles influentes du Bouddhisme. Connaissant bien la propension des tibétains à mélanger Dharma et politique et comme un avertissement fort à ses disciples Occidentaux, le 16èmeGyalwa Karmapa avait répété à maintes reprises à ses étudiants : " Pas de politique dans mes centres ". Tout au long de l'histoire, plusieurs de ses incarnations ont évité l'enchevêtrement dans la politique au point de devenir de simples moines errants quand les questions mondaines devenaient trop envahissantes. Mais volontairement ou pas, de grands enseignants se sont parfois impliqués dans des affaires politiques. C’était une bonne chose quand ils pouvaient employer leur influence pour aider les gens et servir d'intermédiaire dans des conflits. Nous en trouvons des exemples dans les vies de tous les Karmapa. Mais d’un autre côté, il y a toujours eu des personnes qui ont essayé d'employer les grands lamas pour leurs propres intérêts politiques, parfois même en aboutissant à la guerre.

Voici un exemple pris à l’époque de Sa Sainteté le 5ème Dalaï-Lama et de Sa Sainteté le 10ème Karmapa, Choying Dorje. Un des partisans de Karmapa, le Roi de Tsang au Tibet du Sud, agissait contre les Gelugpa pendant son règne. Karmapa ne l'avait jamais approuvé. Les Gelugpa se tournèrent alors vers le chef mongol Gushri Khan afin d'obtenir une aide militaire. Il arriva au Tibet avec une grande armée. Karmapa fit son possible pour éviter une guerre. Mais le Dalaï-Lama avait perdu le contrôle des événements et le combat éclata entre les Mongols soutenus par les Gelugpa et le Roi de Tsang. Les Mongols gagnèrent la bataille. Le Roi de Tsang fut capturé, beaucoup furent tués et des milliers blessés. Bien que Karmapa ait informé le gouvernement du Dalaï-Lama qu'il n'avait aucun intérêt à nuire aux Gelugpa et qu’il prouverait volontiers sa sincérité sur ce point, des forces furent envoyées pour attaquer le monastère de Tsurphou. Beaucoup furent tués, le Karmapa parvint à s'échapper, quittant le Tibet durant trente ans.

Plus tard, le 10éme Shamarpa devint la cible d’agressions politiques. Dans l'ouvrage "Karmapa, the black Hat Lama of Tibet" il est dit ceci : "... Tandis qu'il (Shamarpa) était au Népal, une guerre éclata entre ce pays et le Tibet. A Lhassa, un Ministre gelugpa influent, Tagtsag Tenpe Gonpo, pris conscience de l'occasion politique et prétendit que Shamar Tulkou incitait le Népal au combat. Il confisqua le grand monastère du Shamarpa, Yangpachen, donna l'ordre au gouvernement que tous les monastères de Shamar Tulkou devaient devenir gelugpa, et interdit au Shamarpa de se réincarner à nouveau. Sa Coiffe rouge de cérémonie fut enterrée sous le plancher du temple de Shamarpa à Lhassa et le bâtiment fut transformé en tribunal. En réalité, Shamar Tulkou essayait à cette époque de faire la paix avec les Népalais, et il visitait simplement ce pays pour des raisons de pèlerinage..."

Une loi fut promulguée : elle bannissait la lignée du Shamarpa en interdisant l'identification de ses futures incarnations. Dans "Karmapa, the black Hat Lama of Tibet", Sa Sainteté le 16ème Karmapa Gyalwa évoque cette période en ces termes : "le mérite décroissait. Il y avait beaucoup d'interférences politiques. Le noir devenait blanc. Le réel devenait irréel. En ce temps-là il n'était pas possible au Shamarpa d'être reconnu ou intronisé. Tout a été tenu secret. Les incarnations (de Shamar Rinpoché) ont continué d'apparaître, mais n'ont pas été révélées". C'est seulement en 1964, c'est-à-dire après presque 200 ans, que cette histoire a été résolue. A cette époque, Sa Sainteté le 14ème Dalaï-Lama, suite à des méditations et des rêves, a formellement annulé le décret de son prédécesseur interdisant la réincarnation du Shamarpa.

En plus des heurts entre les différentes traditions spirituelles, des disputes surgissaient parfois à l’intérieur même de la lignée Karma Kagyu.

L'autobiographie de Jamgueun Kongtrul Lodro Thayé montre qu'il y eut une période où il dût lui aussi quitter le monastère de Palpung, le siège de Tai Sitoupa. En 1873, alors que le Roi de Dergué visitait Palpung, un grand nombre de moines lui remirent un acte d'accusation concernant Jamgueun Kongtrul Rinpoché et Bontrul Rinpoché. Khyentse Rinpoché conseilla au roi de ne pas prêter attention à la question, en expliquant que cela nuirait grandement aux enseignements bouddhistes au Kham (Tibet oriental), mais le jeune Sitou Tulkou, Pema Kunsang, insista pour qu'une enquête juridique soit menée. Celle-ci prouva que la plupart des accusations étaient non fondées. Cependant, Jamgueun Kongtrul Rinpoché et Bontrul Rinpoché durent quitter Palpung. Ce dernier mourut peu de temps après, et Jamgueun Rinpoché ne revint à Palpung qu'à la mort de Sitou Pema Kunsang, quatorze ans plus tard.

Par ces exemples, nous pouvons voir que, bien que les grands bodhisattvas et les maîtres peuvent être au-delà des soucis égoïstes mondains, néanmoins ils peuvent être également impliqués dans des conflits et devenir les victimes d'intrigues politiques. Dans ces circonstances, ils n'ont que peu d'espace pour agir pour le bien d'autrui.

Egalement, le système des tulkous, qui a une grande utilité dans la transmission continue et authentique du Dharma, est parfois affecté par des intérêts politiques. L'identification d'un tulkou n'est pas toujours motivée par des vues religieuses. Pour une famille, le fait d’avoir un fils dans une telle position religieuse est une marque certaine de prestige social. Parfois, on a vu les fils de familles riches et influentes qui ont patronné un monastère, être reconnus comme tulkous. Mais il y a eu aussi d'autres raisons à l'identification des enseignants réincarnés.

Par exemple le grand Jamgueun Kongtrul Lodro Thayé, prophétisé par le Bouddha Sakyamuni lui-même, a été reconnu comme un tulkou Karma Kagyu non seulement à cause de ses qualités spirituelles, mais aussi pour lui éviter d'être emmené de Palpung par les fonctionnaires du roi de Dergué qui le voulaient comme secrétaire. Puisque certains des personnages clés dans la politique tibétaine étaient des enseignants réincarnés, leur identification était aussi un acte fortement politique. Cela est très clair dans l'institution qu'est le Dalaï-Lama.

Ainsi, lorsque l'on considère l'identification du Karmapa dans cette perspective politique, on comprend l'importance de cette question et les nombreuses implications que cela suppose.

Considérant le statut présent de la communauté tibétaine en exil et la souffrance du Tibet lui-même, il fallait s'attendre à de telles perturbations. De puissantes forces politiques allaient nécessairement entrer en action pour influencer le choix du nouveau Gyalwa Karmapa, l'un des leaders spirituels les plus connus du Tibet. Il faut en outre prévoir que les vœux politiques de la communauté tibétaine, les besoins spirituels de disciples tibétains et les espérances idéalistes des étudiants occidentaux ne peuvent pas tous être satisfaits. Heureusement, les manifestations du Karmapa dans notre monde sont très inhabituelles et dépassent toutes les limitations temporelles. Il y a une fraîcheur et une splendeur qui pardonne et oublie, qui montre le jeu des petits esprits être exactement ce qu’il est.

 

Introduction à "The Buddha cries, Karmapa conundrum" (l’énigme Karmapa)

Cette chronique raconte d’étranges querelles sans concessions dans lesquelles les protagonistes — des lamas tibétains de haut rang - sont impliqués. Conflits, machinations et médisances qui conviendraient mieux au monde dévoyé de la politique qu’au monde spirituel auquel ces échelons supérieurs des institutions religieuses prétendent appartenir.

L'étude dévoile une chaîne ininterrompue d'événements et de circonstances commençant il y a des siècles, et menant aux camps tibétains actuels et aux monastères de l'Himalaya, au Népal, en Inde, au Tibet, en Chine aussi bien qu'aux centres bouddhistes tibétains modernes en Occident.

Nyingmapa, Kagyupa, Sakyapa et Gelugpa sont les quatre ordres du Bouddhisme tibétain. Le Dalaï-Lama jouit du statut de chef temporel du Tibet. Son autorité religieuse est surtout suivie dans son propre ordre Gelugpa.

Par la taille, parmi les quatre ordres, la lignée Kagyu a le plus grand nombre d’adeptes en Occident. Le nombre de ses disciples non-tibétains est estimé, dans le monde entier, à plus de trois cent mille selon une évaluation minimaliste et à un million au Tibet sous l’occupation chinoise.

Le chef de l'ordre de Kagyu est le Karmapa. Le 5 novembre 1981, le 16ème Karmapa meurt du cancer à Chicago, aux Etats-Unis, laissant un réseau de plus de 430 centres dans le monde entier.

Seule une réincarnation du Karmapa peut hériter du titre. Les quatre régents de l'ordre Kagyu sont en désaccord sur la question de sa réincarnation. Ils sont divisés et, à l'heure actuelle, au moins deux candidats rivalisent pour le titre.

L’un d’entre eux est Orgyen Trinley qui "s'est échappé" de la captivité chinoise en janvier 2000. Shamar Rinpoché, le Régent senior de l'ordre Kagyu a décrit l'évasion d'Orgyen Trinley Dorje comme un stratagème chinois afin de revendiquer les biens du Karmapa. Sitou et Gyaltsab Rinpochés l’avaient identifié et reconnu suite à leurs investigations. Le Dalaï-Lama l’a reconnu. Orgyen Trinley est soutenu par plusieurs lamas de l'école et a été accepté par une partie des disciples du dernier Karmapa. Curieusement aussi, quoique athées avérés, les Chinois ont fait un geste conciliant vers ses fidèles au Tibet, en reconnaissant Orgyen Trinley. Il est le premier à recevoir une telle reconnaissance de la part de la Chine depuis 1959, date de la révolte tibétaine avortée contre les communistes chinois.

Cependant, l'annonce par la Chine a souligné que les Karmapa avaient régulièrement payé leur tribut aux empereurs chinois des dynasties Yuan (1271-1368), des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911) et avaient reçu des titres impériaux à plusieurs reprises. Ainsi, tandis que la Chine montre une façade de tolérance vers la tradition religieuse, ce pays paraît surtout intéressé à amener une nouvelle preuve de sa souveraineté ancienne sur le Tibet en s’intéressant particulièrement aux questions Kagyu.

L'école Kagyu précède celle des Gelugpa, l'ordre du Dalaï-Lama, de 300 ans. Le Karmapa assujetti au contrôle de Pékin serait un avantage pour la Chine, cela permettrait de dominer ses disciples au Tibet. Avec la connivence du jeune Karmapa, la Chine, en un seul coup, légitimerait sa revendication actuelle d’autorité sur le Tibet qui remonte au 12ème ou au 13ème siècle. C’est littéralement une prise de pouvoir de la Chine communiste sur l'ordre Kagyu par procuration dans laquelle la politique chinoise a vu l’opportunité de créer une unité de vues avec le Dalaï-Lama (bien que la confirmation par le Dalaï-Lama d'Orgyen Trinley comme la réincarnation du 16ème Karmapa soit venue trois semaines avant l'approbation chinoise).

La coterie du Dalaï-Lama éprouvait déjà l’envie de régler ses comptes avec l'école Kagyu. Mais elle se faisait des illusions en caressant l’espoir d'obtenir des concessions de la part de la Chine quant à la réincarnation du Panchen Lama, le deuxième dans la hiérarchie Gelug (l'ordre du Dalaï-Lama). À la déception de cette coterie, la Chine n’est pas reconnaissante.

Le seul lama qui ait évité le piège chinois est Shamar Rinpoché, le Régent senior de la lignée Kagyu. En rejetant toutes les ouvertures de l'Ambassade chinoise à New Delhi, il a recherché Trinley Thayé Dorje, un garçon né au Tibet. Et avant de le reconnaître comme la réincarnation du Karmapa, il l’a fait passer clandestinement en Inde avec ses parents. Trinley Thayé Dorje a été approuvé par plusieurs enseignants dans l'ordre Kagyu et par une partie assez importante des étudiants du 16ème Karmapa dans les pays occidentaux.

L'Inde, un pays laïc, ne s'immisce généralement pas dans des questions religieuses. Cependant, elle ne pouvait pas rester indifférente à cette controverse. Le siège de la lignée Kagyu est à Rumtek, au Sikkim, un état indien bordant la Chine. Cette dernière refuse encore de reconnaître le Sikkim comme une partie intégrante de l'Inde. Si le Karmapa reconnu par la Chine reçoit un jour la permission d’accéder à Rumtek, cette décision aura certainement des répercussions politiques sur l'Inde. Tout naturellement, l'Inde se met secrètement du côté de Shamar Rinpoché tandis que les politiciens du Sikkim, malgré leurs divergences, font des courbettes à Sitou Rinpoché, le numéro trois dans la hiérarchie de l'ordre Kagyu.

L'isolement a été une particularité du Tibet pendant des siècles. L'inaccessibilité géographique du pays et le désir véritable de ses habitants de n’avoir que peu de contacts avec des étrangers, ont créé une situation idéale pour son isolement. Cependant, l'asile des Tibétains en Inde, au Népal, en Europe et en Amérique était crucial pour la survie de la culture tibétaine. Bien qu'ils se soient enfuis du Tibet avec peu d'expérience du monde extérieur, les Tibétains ont conduit correctement leur transition vers le modernisme. Mais dans l'exil, ils ont dû travailler dur pour protéger leur culture de celle des pays qui les accueillaient. Ce problème a été renforcé par le très grand succès du Bouddhisme à l'extérieur du Tibet. Le Bouddhisme tibétain ne s'est pas isolé dans l'exil. Au lieu de cela, à la fin des années 60, il est apparu comme un mouvement de conversion actif en Occident. Pour les Occidentaux aux inclinations spirituelles qui n'étaient pas attirés vers les gourous hindous, le Bouddhisme tibétain s'est révélé être une alternative religieuse asiatique authentique faisant autorité.

Les partis pris actuels, les rivalités et les hostilités parmi les lamas de l'Himalaya ont un rapport direct avec ce qui est passé à l'intérieur du Tibet et en Chine durant les siècles précédents. L'histoire tibétaine représente un imbroglio mêlant la religion, la politique, les mythes et les miracles. Il est crucial de séparer ces fils pour distinguer les faits de la fiction.

Il n’est pas étonnant que les actions et la mentalité de la majorité des Tibétains soient dirigées, en grande partie, par les événements du passé. Les tibétologues disent que la période intervenant entre la mort d'un grand lama d'un ordre monastique et la confirmation de sa réincarnation était presque toujours marquée par des rivalités, des luttes, des intrigues et des machinations. Le processus entier de réincarnation des lamas et la transmission métaphysique de l'autorité religieuse et temporelle dans un ordre monastique tibétain peut avoir des nuances politiques.

Le tissu social du vieux Tibet a été largement déterminé par l'institution des tulkous, la tradition de reconnaître les renaissances consécutives d'un lama. Cette idée de tulkou est une institution politico-religieuse tibétaine unique, datant du 12ème siècle dans la lignée Kagyu. Elle a été empruntée ensuite par l'ordre Gelugpa.

Comment les grandes lignées reconnaissent leur Lama principal

L'école Nyingmapa a du faire face à une rivalité entre deux prétendants, en 1992. D’une part, le Dalaï-Lama soutenait un candidat comme la réincarnation de Dujom Rinpoché, le plus haut lama Nyingmapa. D'autre part, le lama Nyingmapa Chadrel Rinpoché avait reconnu un autre candidat. Tous les disciples Nyingmapa ont suivi le choix de Chadrel Rinpoché.

Le chef de l’ordre des Sakyapa est toujours un pratiquant tantrique, comme les lamas Nyingmapa. Il peut se marier et garder sa tresse de cheveux. Comme un vrai disciple de doctrine tantrique, il est capable durant l’acte sexuel de retenir sa semence. Cependant, lorsqu’il sent la nécessité d'avoir un successeur, il invite l’esprit d'une personne sainte morte à entrer dans l'utérus de sa femme. Le présent chef de l’ordre Sakyapa est le lama Ngawang Kunga Theckchen Rinpoché (Sakya Tridzin), de la Maison de Dolma Phodrang. Il demeure à Dehra Dhun en Inde. Deux autres lamas de la maison de Phuntsok Phodrang vivent à Seattle, aux Etats-Unis. La charge d’hiérarque des lamas Sakya est héréditaire.

Le chef de l'ordre Gelug transmet son trône Ganden à un successeur choisi par lui avant sa mort. La tradition continue jusqu'à aujourd'hui. Le 99ème successeur du trône Ganden et chef religieux de l'ordre Gelug est Yeshi Dhondup. Il vit en l'exil au monastère Ganden à Karnataka (Inde).

La principale fonction pratique de la notion de tulkou était d’institutionnaliser le charisme de quelques lamas qui possédaient des accomplissements extraordinaires. L'idée est basée sur le concept bouddhiste de renaissance après la mort. Cependant, les bodhisattvas, dont les grands lamas se disent être la réincarnation, sont des êtres supérieurs qui ont franchi le seuil de l’Eveil, mais qui délibérément se remanifestent dans le monde afin d'aider les êtres à s’éveiller eux-mêmes.

Ce qui distingue le Tibet des autres pays, est qu'il a pu transmettre les enseignements du Bouddha de façon ininterrompue et vivante. Ceux-ci incluent les instructions ultimes de la nature de la réalité avec les méthodes permettant sa réalisation. Et tandis que les Tibétains moyens ont continué leurs affaires sans se préoccuper de la vérité ultime - laissant ces questions à leurs lamas et aux institutions religieuses - un petit nombre d'individus ont employé les techniques uniques disponibles et ont réalisé les fruits ultimes. Parmi les quelques millions de personnes, une précieuse poignée de lamas et de yogis a été capable d'accomplir, de génération en génération, le potentiel le plus haut de l'esprit humain.

Ainsi, les Tibétains pensent que les grands lamas ont un certain degré de liberté sur la mort et la renaissance, particulièrement en ce qui concerne, où et quand, ils se réincarnent. C'est cette énigme ressemblant à un véritable puzzle que les lamas essayent de résoudre après la mort de chaque grand lama par des rêves et des visions, des oracles et des divinations, des signes mystérieux et de minutieuses observations.

Le Karmapa a continué à se remanifester en une lignée ininterrompue d’incarnations depuis 900 ans jusqu'à aujourd’hui. De la même façon, d'autres lamas hautement réalisés ont commencé à se réincarner consciemment et à être alors reconnus par leurs disciples accomplis. Des centaines de lignées de tulkous se sont manifestées partout au Tibet et tout ce système a servi comme un mécanisme unique pour préserver une transmission intacte des enseignements du Bouddha.

Cependant, au cours des siècles, les monastères et leurs tulkous ont accumulé des richesses tout en exerçant une influence considérable sur la vie sociale et politique du pays. Un certain nombre de tulkous ont assumé un rôle politique en plus de leur charge d’enseignants religieux. Trouver et établir une nouvelle réincarnation d’un important tulkou dans son ancien monastère signifie un gain de pouvoir. Depuis, dans de nombreux cas, les critères de reconnaissances de ces tulkous ont laissé une large place aux manœuvres en tout genre, le processus devenant un instrument de conflits politiques internes. La méthode traditionnelle consistant en l'examen minutieux des objets ayant appartenu aux prédécesseurs par les jeunes espoirs a souvent été détournée. On ne consulte pas toujours les maîtres qualifiés. En leur place, l'influence politique, l'argent ou l'épée sont devenus des facteurs décisifs et le nombre des tulkous authentiques a commencé à diminuer.

Il n'est pas rare d'avoir deux ou plusieurs candidats — chacun étant supporté par une faction puissante — se disputant ouvertement et violemment le siège d’un tulkou réputé. Tandis que les jeunes candidats n’ont pas conscience de la rixe qui continue derrière leur dos, leurs puissants protecteurs sont parfois prêts à se faire la guerre pour voir leur choix prévaloir.

Une fois que le trône d'un tulkou est gagné, son éducation commence, strictement conforme au rôle qu'il aura à jouer à l’âge adulte. Encadré par un entourage essentiellement masculin de tuteurs et de serviteurs, dont la tâche peut être héréditaire, le jeune est généralement soumis à une discipline sévère, et gardé exclusivement par un cercle de serviteurs zélés. Cela doit autant permettre au tulkou de recevoir une transmission des enseignements du Bouddha en sa forme la plus pure, que, par la même occasion, le garder comme la valeur la plus précieuse du monastère. Le plus souvent, cette solitude donne au tulkou une connaissance plutôt vague de la vie à l'extérieur des murs de son monastère. En même temps, son entourage joue un rôle de régence, dépassant parfois largement le cadre de leurs prérogatives, maintenant ainsi leurs avantages acquis durant la vie précédente de leur maître. Un tel état de fait est, bien sûr, terre fertile pour des interférences étrangères.

Du fait de ces interférences, dues aussi bien à l’entourage qu’à des puissances étrangères, le choix purement religieux d’un tulkou, au cours des siècles, est devenu une exception plutôt que la règle. Des lamas authentiques se sont, bien sûr, manifestés. L'histoire tibétaine est riche en exemples de lignes de tulkou hautement accomplies et, en théorie, le système entier est adapté pour maintenir et promouvoir une telle qualité de réalisation. Mais ce système, après des siècles d'abus, a permis à un grand nombre de tulkous de devenir des marionnettes politiques ou des princes absolus. Ils deviennent des instruments dans les mains de leurs familles dont les membres, en gardant le contrôle sur le tulkou, arrangent leurs propres intrigues. Les tulkous se comportent souvent comme des politiciens et n’ont de compte à rendre à personne. Conseillés par quiconque a gagné leur faveur, ils se plongent, souvent mal préparés, dans les eaux troubles de la passion politique. En conséquence, les affaires sont souvent dirigées par une foule d'individus incompétents dont leurs seules qualifications sont d’être en possession d'un titre ou affiliés à un nom.

Le récit qui suit doit être perçu dans le contexte de cette situation particulière. Il s’agit du mélange explosif d’une touche d'animosité personnelle, d’hostilité et de haine qui ajoute de l’huile sur le feu à un processus historique aride.

Les montagnes émeraudes et les nuages blancs comme neige au-dessus du monastère de Rumtek s’obscurcissent comme la lumière du soleil qui se dissout dans l'horizon éloigné. L'obscurité s'approfondissant rend les choses sombres. Le son de cloches donne une note sombre et les traditionnels gongs ornés résonnent à un rythme lent et gracieux. Les bannières de prière colorées flottent dans la brise douce autour du monastère majestueux qui se blottit sur la montagne. Un air de mysticisme oriental se répand dans le lieu et évoque spontanément des sentiments de dévotion profonde et impressionnante. Des ascètes tibétains et leurs disciples sont là. Les peintures murales, les tapisseries et les tankas (des rouleaux de peinture) brodées avec des motifs traditionnels et religieux sont en place. Mais, l'atmosphère sereine primitive du monastère est aigrie et semble être irrécupérable. Un chancre est apparu et, comme la gangrène, pouce par pouce, la chair se putréfie bien que l'esprit soit ardent.